Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

bozar - Page 11

  • Le monde de Frida

    Frida Kahlo y su mundo : dans le cadre de ses « Pleins feux sur le Mexique et l’Espagne », le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar) montre jusqu’au 18 avril prochain le monde de Frida Kahlo (1907-1954), une petite exposition de vingt-six œuvres du musée Dolores Olmedo (Xochimilco, Mexique). L’engouement pour l’artiste mexicaine au destin tragique, l’espace limité de la salle valent aux visiteurs des horaires élargis jusqu’à vingt et une heures du jeudi au dimanche.

    Kahlo, Autoportrait au petit singe (détail) (couverture Taschen).jpg

    J’avais voulu visiter cette exposition en soirée il y a quelque temps, mais pas de chance, une alerte à la bombe dans une banque voisine avait entraîné le blocage de tout le périmètre – explication du lendemain : un aspirateur avait été livré en fin de journée à la banque, colis suspect qui a valu à tous les amateurs d’expositions et de concerts d’annuler leur soirée ou de la passer dans les cafés et restaurants des environs. C’est en buvant un délicieux thé « Klimt » (merci, B.) non loin de là que j’ai appris par des gardiens (eux aussi évacués) que le lundi, habituellement jour de fermeture, l’accès ne pose aucun problème d’attente.

    Regarder les œuvres de Frida Kahlo, devenue, comme il l’avait prédit, plus célèbre que son mari Diego Rivera, le grand peintre mexicain de fresques sociales, c’est entrer dans l’univers d’une femme ardente qui a choisi de peindre ce qu’elle vivait : « Je n’ai jamais peint des rêves, j’ai peint ma propre réalité. »  Le Bus (1929) montre,
    assis côte à côte sur une banquette, dos à la rue, une ménagère, un ouvrier, une
    femme enveloppée dans un châle en train d’allaiter son enfant, un petit garçon qui
    s’est retourné vers la fenêtre et un bourgeois en costume, enfin une jeune femme écharpe au vent, élégante et sereine comme l’était Frida Kahlo avant le terrible accident d’autobus qui lui a brisé les vertèbres et d’autres os en 1925 et qui, après
    une enfance déjà marquée par la polio, a bouleversé ses projets d’étudiante en médecine, sa vie tout entière. A sa manière naïve, c’est déjà une peinture de la vie populaire au Mexique.

    Pas de chronologie dans la présentation : les œuvres (de 1929 à 1954) sont en
    général isolées les unes des autres, violemment éclairées, adossées à de grands panneaux inclinés qui structurent l’espace d’exposition plongé dans la pénombre. L’autoportrait avec petit singe (1945) est la première œuvre puissamment personnelle du parcours : elle s’y est peinte de face avec ses sourcils épais qui se rejoignent, son ombre de moustache, les lèvres serrées, les yeux fixes, les cheveux tressés à la manière traditionnelle, en compagnie d’un petit singe et d’un chien et aussi d’un animal en céramique précolombienne. Un ruban doré les relie l’un à l’autre dans un décor de feuillages entrelacés. (Quasi toutes les œuvres exposées sont illustrées dans la monographie consacrée à Frida Kahlo chez Taschen.) C’est avec La colonne brisée (1944) une des œuvres les plus connues, celle-ci relatant son calvaire avec la colonne vertébrale brisée en plusieurs endroits, les arceaux du corset qui enserrent le torse et les clous enfoncés sur toute la surface du corps, pointes sombres sur la peau auxquelles répondent des larmes blanches sur le visage.

    Frida Kahlo représente aussi les autres : une Eva Frederick amicale, un collier de perles vertes autour du cou ;  une fillette en robe verte à pois rouges (le col attaché par une épingle de nourrice) assise sur une chaise devant un mur mauve et ocre, le regard sérieux ; la douce doña Rosita Morillo en train de tricoter, vieille femme aux cheveux blancs, un châle sur les épaules, devant des cactus en fleurs et des branches mortes. Particulièrement frappant, le Portrait de Luther Burbank, un spécialiste des hybrides de fleurs et de légumes qu’elle a représenté sortant d’un tronc d’arbre dont les racines puisent leur sève dans un cadavre enfoui sous la terre, et tenant à la main de gigantesques feuilles, devant un paysage planté de deux arbres fruitiers.

    La maternité et l’art forment un autre fil conducteur, de l’extraordinaire représentation qu’elle fait d’elle-même avec sa figure d’adulte et un corps d’enfant en train de téter le sein d’une nourrice indienne à la peau sombre et au visage masqué (Mi nana y yo,
    Ma nounou et moi
    ) aux scènes sanglantes qui évoquent ses fausses couches ou un assassinat sordide, jusqu’à cette lithographie où elle se représente divisée en deux, le fœtus perdu d’un côté, la palette à la main de l’autre. Diego Rivera la voyait comme « la première femme dans l’histoire de l’art à avoir repris, avec une sincérité absolue et impitoyable, les thèmes généraux et particuliers qui concernent exclusivement les femmes. »

    Quelques œuvres moins narratives, pas vraiment surréalistes, relèvent plutôt d’un symbolisme fantastique comme La fleur de la vie (1944) – une plante rouge hermaphrodite, allusion à sa bisexualité, ou Le poussin (1945), évocation de l’humanité menacée par la guerre nucléaire (œuvre inspirée, dit-on, par Hiroshima).
    Un diaporama sur grand écran feuillette le journal intime que Frida Kahlo a tenu pendant les dix dernières années de sa vie, combinant textes et dessins.

    Trop peu d’œuvres pour juger de l’apport de cette artiste à l’histoire de l’art pictural, mais assez pour ressentir l’authenticité de son engagement artistique. Au-delà de son cas personnel, Frida Kahlo crée un univers original nourri par la culture mexicaine traditionnelle (couleurs fortes, parures, cohabitation de la vie et de la mort), par l’attention aux personnes, par le questionnement existentiel. Quel est le sens de ce que nous vivons ? Comment peindre la souffrance physique ? la douleur morale ? Ce ne sont pas des questions exclusivement « féminines », c’est le défi que lancent au monde ceux qui ne se contentent pas de la vie telle qu’elle se présente, mais la réinventent quand ils créent. C’est le monde de l’art.

  • Vers l'Europe

    « On ne connaît pas Turin et l’importance de sa cour. On pense surtout à Venise, Rome, Florence. Cette exposition à Bruxelles est nécessaire pour montrer qu’à Turin existait un goût international, qu’on savait regarder vers l’Europe, ne fût-ce qu’au travers des liens dynastiques. Et cela se voit dans la peinture. »

     

    Carla Enrica Spantigati, commissaire de l’exposition Da Van Dyck a Bellotto
    (propos recueillis par Xavier Flament, Bozar magazine, Bruxelles, février 2009)

     

    Bozar magazine.jpg
  • Turin - Bruxelles

    Pour découvrir Da Van Dyck a Bellotto, Magnificenza alla Corte dei Savoia, la grande exposition du Palais des Beaux-Arts (jusqu’au 24 mai prochain), les visiteurs tombent d’abord nez à nez avec une installation de Maurizio Cattelan, adepte du détournement et de la provocation. Dans le grand hall Horta, juché sur un énorme cube de terre fraîche, un olivier tutoie la verrière, déplacé, en exil. A-t-il de quoi abreuver ses racines ou est-il voué à la mort ? L’argent de ses feuilles semble déjà pâli.

    Derrière lui, en haut des marches, sur son cheval cabré, Le prince Thomas de Savoie Carignano, la grande toile de Van Dyck qui sert d’affiche à l’exposition, est l’œuvre phare prêtée par la Galleria Sabauda de Turin. D’autres portraits de la cour des Savoie, dont un raffiné Charles-Emmanuel I de Savoie à dix-huit ans (une œuvre de Jan Kraek, dit Giovanni Caracca), présentent le motif du huit, symbole d’amitié, sur les riches vêtements et bijoux : le nœud des Savoie.

    Cattelan Maurizio,Sans titre.JPG

    Parmi les peintures religieuses, une Conversation sacrée d’un peintre du Piémont, nettement inspirée d’un Mantegna qui la jouxte, montre une Vierge à l’Enfant entourée d’anges musiciens. Quelle merveille de découvrir des enluminures aux couleurs si fraîches sur le vieux papier, comme cette page de Missel où des fleurs (l’ancolie par exemple, parfaitement dessinée) et des anges entourent joyeusement le texte. Abraham et les trois anges, de Guglielmo Caccia, tranche avec ce qui précède par le mouvement : les anges descendent en diagonale vers Abraham, une ville occupe l'arrière-plan  le paysage commence à apparaître dans la peinture.

    Même prévenue, j’ai ressenti une grande émotion devant l’Annonciation d’Orazio Gentileschi, un chef-d’œuvre qui justifie à lui seul le déplacement au Palais des Beaux-Arts. Sur une toile de près de trois mètres sur deux, dans la lumière de la fenêtre par laquelle est entrée une colombe, Marie ramène sur elle un manteau bleu qui couvre à demi sa robe rouge, écho au coin de ciel visible par la fenêtre ouverte. Elle lève la
    main droite, comme pour se protéger, vers l’ange Gabriel qui a mis un genou à terre. Le visage modestement penché se détache sur le somptueux drap rouge suspendu derrière elle. L’ange pointe l’index juste au centre du tableau, il tient un lys immaculé dans l’autre main. Les nuances de son vêtement chatoient elles aussi à l’ombre de ses ailes. C’est magnifique.

    Après avoir souri devant la Procession des Pucelles du Sablon par Antoine Sallaert, je me suis attardée devant Amaryllis et Myrtille, une étonnante bacchanale féminine de Van Dyck – en fait, Mirtillo s’y est déguisé en femme pour un concours de baisers, d’après un drame pastoral de Guarini. A côté, Les enfants de Charles Ier d’Angleterre, délicieux trio en longues robes comme en portaient alors garçons et filles jusqu’à l’âge de sept ans. L’aîné, en rouge royal, caresse son chien. Sa sœur, en robe claire, est plus concentrée sur sa pose que la cadette, en robe bleue et bonnet,
    de profil, une pomme dans les mains. Des roses, sur le tapis et derrière la petite l’ensemble est ravissant.

    Dans la salle des natures mortes, une grande coupe de fruits aux raisins dorés, près d’un délicat pot de porcelaine rempli de mûres, signée Isaak Soreau. Les bouquets de Cornelis de Heem et d’Abraham Mignon sont éblouissants par le rendu des tulipes perroquets, roses, pivoines, coquelicots et insectes typiques de ces natures mortes du XVIIe siècle.

    Après cette luxuriance, les paysages qui clôturent l’exposition apaisent. Un petit Paysage avec cours d’eau de Gottfried Wals aux personnages minuscules rend sa place à la nature. Place aux peintures du XVIIIe. Des marines, des ports, une Vue de Turin depuis le jardin royal par Bellotto. Enfin, deux scènes bucoliques de Jules César Van Loo - les alentours de Turin à l’aurore et au couchant - terminent ce parcours pictural d’une grande richesse. J’ai aimé dans cette dernière salle les deux Etudes de caractère de Nogari, un jeune homme à la pêche et une jeune fille.
    La vérité du visage y a pris le pas sur les atours. Annonce d'une autre époque.

  • Bouddha en Corée

    Si vous vous rendez au Palais des Beaux-Arts pour « Le sourire de Bouddha », exposition exceptionnelle consacrée aux seize cents ans d’art bouddhique en Corée, ne manquez pas de monter à l’étage : vous y verrez « Sacred Wood » de Bae Bien-U, qui photographie depuis 1981 les forêts de pins typiques de son pays. Le pin y symbolise la longévité et, pour le photographe coréen, l’arbre dans la forêt, comme l’homme parmi ses semblables, est à la fois pareil et unique. Ses grands paysages où
    la lumière joue un rôle essentiel veulent restituer « l’essence du réel ». C’est superbe.

     

    Mais commençons par le commencement, à savoir l’énorme Bouddha du VIIIe siècle, en granit, qui accueille les visiteurs en face du grand hall. Au pays du matin calme, le bouddhisme fut la seule invasion pacifique, au IVe siècle. Avant cela, les Coréens partageaient avec le peuple sibérien le culte de l’Ourse, la mère originelle. Dans la première salle d’un parcours chronologique, j’ai admiré un très fin petit Bouddha debout (Chine, VIe s.), plein de douceur. Il précède le trésor de tombes royales, dont une grande couronne et une ceinture en or massif sont les pièces maîtresses. Le motif de la couronne rappelle que l’arbre fait le lien entre les enfers et les cieux. Au mur,
    une vidéo reconstitue virtuellement les anciens palais et anime de belles fresques consacrées aux activités quotidiennes : musique, danse, arts martiaux et chasse.

     

    DSC09997.JPG
    Contemplative Bodhisattva, National Museum of Korea (Seoul)
    (d'après Bozarmagazine, novembre 2008)

     

    Des panneaux rappellent, entre autres caractéristiques de la représentation du Bouddha, la protubérance crânienne, les lobes d’oreilles étirés, les trois plis au cou.
    Le geste de la main droite rassure, celui de la main gauche donne. Les bodhisattvas sont ceux qui se sont strictement engagés dans la voie de la foi. Parmi eux, Avalokitesvara, figure de la compassion, est considéré comme le sauveur des âmes sensibles. Il y a aussi des Bouddhas médecins, un bol à la main. Au bout de la première aile apparaissent des Bouddhas méditants, conjuguant élégance et spiritualité : jambe droite repliée, pied sur le genou gauche, doigts de la main droite contre la joue, voici la merveilleuse sculpture en bronze doré, Contemplative Bodhisattva, qui sert d’affiche à l’exposition, image gracieuse de la méditation.

     

    On découvre ensuite l’art des pagodes : tuiles faîtières, pierres sculptées, urnes funéraires. Une première magnifique photographie de Bae Bien-U en noir et blanc montre dans un très grand format (135 x 260 cm) le site des tumuli funéraires abritant les tombes royales. Des vitrines exposent le contenu de reliquaires : petites statues de Bouddha, minuscules stupas votifs à base carrée. Cloches de bronze, encensoirs, coupes en céladon, toutes sortes d’objets rituels et usuels illustrent l’art bouddhique typiquement coréen. Puis de riches statues dorées : couvert de bijoux, un Avalokitesvara assis du XIVe siècle se déhanche, un coude sur le genou, décontracté. Il contraste avec un Vairocana en fonte du Xe siècle, assis traditionnellement en position du lotus, qui offre un extraordinaire sourire.

     

    Dans les peintures bouddhiques plus tardives, le rouge et le vert dominent. Les figures couvrent la toile et saturent l’espace. En contraste, les peintures sur soie privilégient la finesse, comme sur ces rouleaux où sont calligraphiés des textes sacrés, et les nuances subtiles, par exemple pour le Bouddha « lune - eau » représenté devant des bambous, les yeux baissés vers un lac où la lune se reflète. L’exposition se termine sur des œuvres contemporaines de Park Dae-Sung, un autodidacte inspiré par les temples anciens. Mais avant de passer dans cette dernière salle, n’oubliez surtout pas de prendre à droite l’escalier qui mène aux forêts magiques de Bae Bien-U.

     

    Quelle déception de ne trouver qu’une douzaine de cartes postales à la fin d’une si beau parcours ! Et dans cette série, aucun des plus beaux Bouddhas. Bien sûr, le catalogue reprend toutes les œuvres, mais les acheteurs du catalogue aimeraient aussi envoyer à leurs amis des reproductions des plus fameuses, d’une part, et ceux qui n’emportent pas le catalogue seraient heureux de repartir avec quelques cartes postales, d’autre part. Dommage. Espère-t-on qu’ils se consolent avec les fanfreluches du Bozarshop ? Les « Joyaux de la Nation » coréenne sont exposés jusqu’au 18 janvier 2009.