Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

amour - Page 49

  • Cataclysme

    « En début de soirée, les manchettes des journaux feraient état d’un cataclysme.

    La vérité est que le ciel, par un jour sans ombre, s’abaissa soudain comme une grande toile de tente. Un silence violet pétrifia les branches des arbres et fit se dresser les récoltes dans les champs comme des cheveux sur une tête. Une trace de peinture blanche récente jaillit ici au flanc d’une colline, là sur une dune, plus loin déchira un bord de route d’un trait de clôture. Cela se passait peu après midi, un lundi d’été, dans le sud de l’Angleterre. »

     

    Shirley Hazzard, Le passage de Vénus (Incipit) 

    Nuage sombre.jpg
  • L'enfant de Vénus

    Publié en 1980, Le passage de Vénus a révélé la romancière australienne Shirley Hazzard. La traduction française par Claude Demanuelli date de 2007. S’il s’ouvre sur l’arrivée de l’astronome Ted Tice chez le professeur Sefton Thrale, un été, dans le sud de l’Angleterre, quelques années après la deuxième guerre – sa mission est de l’aider à choisir l’emplacement idéal d’un nouveau télescope –, le roman commence lorsque Ted rencontre dans la maison de son hôte Caroline Bell, une jeune femme aussi brune que sa sœur est blonde.

    Grace Bell est fiancée au fils Thrale, Christian, un parti inespéré pour cette Australienne venue tenter sa chance en Anglerre avec Caro et leur demi-sœur Dora, à la suite d’une infortune familiale. Ce n’est pas à sa beauté ni à ses gestes parfaits que Caro doit d’être « élevée au rang d’enfant de Vénus », mais au passage de la planète Vénus devant le soleil en juin 1769, raison pour laquelle James Cook a mis le cap sur l’Australie, comptant observer le phénomène en route, à Tahiti – voilà le genre d’anecdote prisé par le professeur Thrale. Ted, auprès de lui, se sent traité en « domestique de haut rang », toléré parce qu’il le faut, un peu agaçant par ses compétences indéniables.

    Lever de soleil.jpg

    Pour les Thrale, la situation des deux soeurs laisse à désirer : l’aînée, tout en préparant un concours dans l’administration, travaille dans une librairie, Grace au service des réclamations chez Harrods. Christian Thrale a choisi cette dernière, gracieuse et soumise – « Caro, elle, dépassait ses moyens, c’était une évidence. » Ted Tice emmène Caroline Bell visiter une grande maison où il a vécu, enfant, pendant le Blitz. La visite guidée intéresse moins l’homme aux cheveux roux que la belle Caro en robe bleue. Il l’écoute raconter l’Australie, où, dit-elle, on ne connaissait le vert qu’à travers les livres et la poésie : « on croyait aux saisons humides, caduques et disciplinées de la littérature anglaise, au velours émeraude des pelouses ou à des fleurs qui, en Australie, ne pouvaient pousser qu’une fois la sécheresse finie et la terre fertilisée. » Tice lui parle de ce qu’il a vécu à la guerre, d’Hiroshima, de sa vie à l’université – et même d’un secret qu’il n’a confié à personne d’autre. Caro, qui lit beaucoup, est heureuse de parler avec lui, mais Ted mesure vite à quel point elle se tient éloignée de l’amour fou qu’il a d’emblée ressenti pour elle.

    Paul Ivory, bien plus séduisant que lui, confirme cette intuition  lorsqu’il apparaît avec « son beau visage clair d’homme comblé ». Le fils du poète Rex Ivory s’est déjà fait un nom au théâtre, il est fiancé à Tertia, la fille d’un Lord propriétaire du château voisin. « Jeune homme charmant et vraiment béni des dieux », aux dires de Mrs Thrale, il a « un grand avenir devant lui » selon Sefton Thrale lui-même, aux opinions rarement contestées – « Paul éclairait l’atmosphère, autant que Ted l’assombrissait. » Avant de partir, celui-ci ouvre son cœur à Caro. Pour elle, après des années à subir l’exigeante et toujours insatisfaite Dora, « être enfin libre compte beaucoup ». Paul Ivory, lui, malgré Tertia, séduit Caro avec l’aisance qui le caractérise : « Les femmes ont une aptitude à la solitude, mais ne veulent pas être seules. Les hommes, eux, désirent la solitude, et ils en ont besoin, mais la chair ne tarde pas à les faire se comporter comme des idiots. » Au milieu des mégalithes d’Avebury Circle, que Caro a voulu voir parce que Ted lui en avait parlé, Paul l’embrasse, et la suite est inévitable.

    A la fin de la première partie, « L’Ancien Monde », les cartes sont distribuées. Ted écrit régulièrement à Caro, qui retrouve Paul au théâtre, un soir, à Londres. Grace a choisi la sécurité ; elle, la passion. Leur liaison dure jusqu’à ce que Tertia se retrouve enceinte. Quand Paul s’éloigne, Caro garde cette « maîtrise de soi » qui subjugue les autres, mais elle se consume. Il y aura pourtant une vie sans Paul, un emploi au ministère, d’autres rencontres. Le destin de Caroline Bell se veut aussi intense que la lumière d’une étoile, sans demi-mesure. Elle se reconstruira dans « Le Nouveau Monde », troisième et avant-dernière partie de la passionnante intrigue de Shirley Hazzard. Des années quarante aux années septante, d’un continent à l’autre, c’est surtout Caro que l’on suit, son désir d’une joie véritable et partagée, un parcours dont Ted Tice reste le premier témoin.

    Le passage de Vénus ne se réduit pas aux péripéties sentimentales. Les dialogues sont vifs, les échanges sur la beauté, l’état du monde, la littérature, la société, l’art, la vérité et le mensonge s’inscrivent avec fluidité dans le récit. La romancière a une façon particulière de peindre les paysages, les intérieurs, les caractères par petites touches – surtout visuelles, souvent allusives. Femmes et hommes tâchent de se frayer dans le mouvement des jours, des années, une voie personnelle, entre heures sombres et heures claires. Comme nous tous.

     

  • Ce bel abandon

    « J’allais bientôt quitter ces rues, ce pays où je ne reviendrais jamais, mais j’étais enfin dans ce bel abandon, cette façon de respirer et de penser différemment dans une ville étrangère, d’être en apesanteur avec le sentiment d’appartenir au monde, à cette humanité rêvée que je cherchais sur les visages, dans la musique de la langue, les gestes, les détails infimes qui nous relient les uns aux autres, malgré tout. »

    Michèle Lesbre, Le canapé rouge 

    DSC03419.JPG
     

    Je suis en partance, mais mon blog gardera son rythme habituel.
    Au plaisir de lire vos commentaires sur Textes & Prétextes à mon retour.

    Tania

  • La dame qui marche

    « Il sera difficile d’oublier Le canapé rouge. Sa petite musique russe, universelle, retentira longtemps à nos oreilles. » (Jorge Semprun) Rarement citation en quatrième de couverture aura si bien traduit mon sentiment en refermant un livre. Parfois, attendre la sortie en format de poche d’une œuvre dont on a beaucoup parlé – Le canapé rouge de Michèle Lesbre (2007) est à présent disponible en Folio – laisse retomber la poussière des critiques, comme dirait Woolf, et offre une lecture vierge de tout commentaire. Quand il s’agit d’un texte aussi fort, aussi doux, aussi prenant, c’est un pur bonheur.

     

    Comme le titre ne le dit pas, c’est le récit d’un voyage. Anne, la narratrice, a pris le train pour Itkoursk, afin de revoir Gyl, avec qui elle a partagé des années de sa vie et la belle utopie d’« être soi, pleinement soi, mais aussi transformer la société tout entière ». Depuis qu’il est parti sur un coup de tête « vivre au bord du lac Baïkal, peindre, faire du théâtre avec les habitants » – Gyl est un homme que rien ni personne ne retient jamais – elle a reçu des lettres de lui, mais depuis des semaines, c’est le silence. L’angoisse, même s’ils étaient séparés depuis longtemps, l’a poussée à partir, à le retrouver là-bas. 

    DSC03781.JPG

     

    Anne écrit pour des revues, souvent sur des destins de femmes exceptionnels. Quand elle frappe un jour à la porte de la discrète Clémence Barrot, qui occupe l’appartement du dessous, sous le prétexte d’un dîner qui risque de faire un peu de bruit, elle découvre au fond d’un couloir, sur un canapé rouge, une vieille dame frêle qui la surprend : en contrepartie, celle-ci lui demande un peu de lecture, à son choix. Mais à la première séance, l’ancienne modiste préfère lui montrer son atelier et la trentaine de « bibis » qu’Anne est priée d'essayer, avant de repartir avec le panama rose que sa voisine tient à lui offrir.

     

    En regardant par la fenêtre du train « la lancinante fuite des paysages sans cesse répétée », Anne pense à l’enthousiasme de Clémence pour les aventurières ou les pionnières dont elle lui lit la vie. Milena Jesenska, surtout, qui un jour a traversé la Moldau à la nage pour être à temps au rendez-vous avec Ernst Pollak. « Voir des paysages par la fenêtre signifie les connaître doublement : par le regard et par le désir », a écrit Milena. Gyl n’a pas donné rendez-vous à celle qui le cherche, il ne l’attend pas, mais les pensées d’Anne sont pleines de lui et de ce qu’ils ont partagé. Clémence lui a montré une photographie de sa jeunesse qu’elle garde toujours entre le siège et le dossier de son canapé, « Paul et Clémence, 1943 ». A dix-neuf ans, le jeune homme a été fusillé au coin d’une rue avec un camarade de réseau. « Vous n’avez aimé que lui ? » avait osé Anne. « Je les ai tous aimés », avait répondu la vieille dame.

     

    Pour cette course « dans le tunnel de silence creusé par Gyl », Anne a emporté deux livres, un de Jankelevitch, avec Crime et châtiment. Mais la plupart du temps, elle observe ses compagnons de compartiment, les forêts immenses, les gens qui peinent sur le quai des gares. Elle aime écouter la langue russe qu’elle connaît un peu. « Enivrée par cette sorte de solitude qu’engendre le voyage, cet oubli momentané des habitudes, des repères », elle s’intéresse surtout à Igor, qui passe ses nuits dans le couloir à scruter l’obscurité. « Quel sens pouvait avoir pour lui ce mot magique, voyage ? » Anne se remémore des séjours à Moscou, Naples, Trinidad, Venise… Clémence Barrot, elle, n’a jamais quitté Paris, où elle a beaucoup marché et souvent au hasard. « Dans certains quartiers, on l’appelait la dame qui marche. »

    Entre souvenirs lointains et proches, entre Clémence et Gyl, entre rêves révolutionnaires et vie quotidienne, Anne prend conscience de ce qui est sans doute « le plus étrange » de tous ses voyages : « parce que plus que tous les autres il m’avait sans cesse ramenée à ma vie, à la simple vérité de ma vie. » Peu importe alors la destination, « le véritable voyage se fait au retour », dans le glissement d’un temps, d'un âge, à un autre. Le canapé rouge est le dixième roman de Michèle Lesbre, née en 1947. Il donne envie de remonter le temps avec elle, pour une autre rencontre entre hier et aujourd’hui.

  • Pour le mieux

    « Personne ne se consacre à une activité en cherchant dès le départ à accomplir quelque chose de merveilleux. Même quand c’est au-delà de nos capacités, on avance vers un but en s’efforçant de faire pour le mieux, c’est ainsi que les gens progressent. Et c’est ça qui fait avancer le monde. Je me demande si l’art, ce n’est pas ça aussi. »

     

    Haruki Murakami, Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil

     

    Vitrail du mémorial Kongolo à Gentinnes (détail).JPG