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Littérature anglaise - Page 48

  • Compliquée

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    « Ma vie, qui paraît si simple, si monotone, est en réalité une affaire compliquée de cafés où l’on m’aime bien et de cafés où l’on ne m’aime pas, de rues bienveillantes et de rues qui ne le sont pas, de chambres où je pourrais être heureuse et de chambres où je ne le serai jamais, de glaces dans lesquelles j’ai l’air en beauté et de glaces dans lesquelles j’ai mauvaise mine, de robes qui vont me porter bonheur et de robes qui ne me porteront pas bonheur, et ainsi de suite. »

    Jean Rhys, Bonjour minuit

  • Jean Rhys à Paris

    Le nom de Jean Rhys (1890-1979) vous dit-il quelque chose ? Née aux Antilles, elle a écrit quelques romans – La prisonnière des Sargasses ou l’enfance et l’adolescence d’une jeune créole à la Jamaïque – et des nouvelles. Bonjour minuit (1939, traduit de l’anglais par Jacqueline Bernard) vient d’être réédité, voici le début de la préface signée Fanny Ardant. 

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    « Vous la rencontrerez peut-être un après-midi dans le jardin du Luxembourg. Elle est blonde, elle a un manteau de fourrure, elle marche les mains dans les poches, le regard par terre, elle sait que les yeux des hommes sont cruels. Elle s’arrête et parle toute seule. Si elle dit : « Curieux comme cela peut être triste, le soleil de l’après-midi. » C’est elle. »

    Le titre est emprunté à un poème d’Emily Dickinson : « Bonjour, Minuit ! / Je rentre chez moi, / Le Jour s’est lassé de moi – / Comment pouvais-je me lasser de lui ? » Dans une chambre d’hôtel bon marché, une femme arrange son existence entre « un endroit pour manger à midi, un endroit pour manger le soir, un endroit pour boire après le dîner ».

    C’est une amie qui ne supportait pas de la voir « avec un air comme ça » qui lui a suggéré de se changer les idées, de retourner un peu à Paris, en lui prêtant de l’argent si nécessaire, pour s’acheter de nouvelles robes. A Paris, elle a partout des souvenirs. Dans les années vingt, elle avait choisi de s’y faire appeler « Sasha » – « J’ai pensé que mon sort changerait peut-être si je changeais de nom. » 

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    Du Gardénal pour dormir. Le matin, croiser sur le palier « ce foutu type » squelettique en robe de chambre qui occupe la chambre d’à côté. Son programme du jour ? « Ne pas trop boire, éviter certains cafés, certaines rues et certains endroits, et tout ira très bien. Ce qu’il faut c’est avoir un programme, ne rien laisser au hasard – pas de trous. »

    Un dimanche après-midi dans un cinéma des Champs-Elysées, et quand elle en sort, « il fait nuit et les réverbères sont allumés », Paris a un air pimpant. La voici à l’endroit d’où elle a vu passer le cortège funèbre d’Anatole France. Elle a travaillé autrefois dans ce quartier, elle accueillait les clientes d’une maison de couture. Elle raconte ses débuts, son renvoi, ses autres emplois.

    A l’hôtel, au restaurant, dans les bars, elle écoute les conversations, surveille les regards posés sur elle : elle tient à avoir l’air respectable, même s’il ne s’agit plus à présent d’être « aimée, belle, heureuse ou capable ». La tranquillité, avant tout. Elle a bien essayé de se tuer à force de boire, mais elle est toujours là, à lire les menus et observer les autres clients. Un soir, elle se laisse approcher par deux Russes, elle trouve le plus jeune « assez beau dans un genre doux et mélancolique ».

     « Jean Rhys disait de son roman : "Les gens le trouvent trop triste, je ne sais pas pourquoi. Je ne voulais pas montrer les choses sous un jour particulièrement noir. Il me faut reconnaître que mon livre en a vu de toutes les couleurs. On me conseille d'être moins sinistre alors que je veux simplement raconter quelques-unes des choses qui me sont arrivées, telles quelles". » (Au bonheur de lire)

    Chaque journée, pour Sasha, est une traversée périlleuse, mais elle s’accroche, entre souvenirs, résolutions et rencontres de hasard. Bonsoir minuit est le roman d’une errance au féminin, lucide et parfois drôle. « Champagne pour les perdants », titre Marie-Noël Rio dans Le Monde diplomatique. Un méli-mélo de désespoir et d’élégance dans le Paris bohême.

  • La Voie du thé

    Si le thé compte de plus en plus d’amateurs en Occident, il est encore loin d’y être comme en Asie le pivot d’une civilisation. Soshitsu Sen, qui a succédé à son père comme Grand Maître de l’école de thé Urasenke en 1964, livre dans Vie du thé, esprit du thé (traduit de l’anglais par Sylvie Seiersen) son témoignage et ses pensées sur « la Voie du thé », une « manière de vivre ». 

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    http://www.quefaire.be/ceremonie-du-the-japonaise-466540.shtml

    « Le simple geste de servir le thé et de l’accepter avec reconnaissance » en est le fondement, explique-t-il, et « dans un seul but : atteindre la sérénité de l’âme, en communion avec ses semblables dans le monde ». Cela dépasse donc de loin les limites d’une cérémonie dans une salle de thé, Urasenke désigne une conception de l’existence, vieille de plus de 450 ans.

    Des moines qui avaient fréquenté les grands monastères zen dans la Chine du XIIe siècle ont introduit au Japon la pratique de boire du thé vert en poudre (matcha) pour stimuler leur méditation. Soshitsu Sen rappelle les noms des maîtres qui ont montré la voie, et en particulier Sen Rikyû, au XVIe siècle, qui en a énoncé les quatre principes fondamentaux : harmonie, respect, pureté et sérénité. C’est à la fois concret – les gestes à accomplir – et spirituel – l’attitude de l’hôte et de l’invité reflétant une manière de s’ouvrir au monde et aux autres.

    Elevé « avec du thé plutôt qu’avec du lait », l’auteur a commencé à suivre des leçons de thé avec son père dès l’âge de six ans, «  le sixième jour du sixième mois ». Manier les bols à thé, les louches de bambou, tenir le brasero… Son père était sévère et exigeait de lui de ne pas se comporter alors comme un fils avec son père, mais comme un élève avec son maître.

    Après le récit de son apprentissage, d’un premier séjour d’un an aux Etats-Unis, Soshitsu Sen décrit le déroulement d’une cérémonie de thé avec toute la symbolique du rituel selon les sept règles de Rikyû, qu’il explicite une à une. Des citations, des anecdotes aident à illustrer l’état d’esprit, à comprendre comment décorer la salle de thé avec simplicité.

    Au XVe siècle, les invités du Pavillon d’argent et du Pavillon d’or à Kyoto, deux temples bouddhistes, appréciaient le faste et les raffinements chinois, n’utilisaient que de beaux objets de thé venus de Chine : céramiques, parchemins, ustensiles… Rikyû opte pour un style plus rustique, des poteries ordinaires, locales, et on lui doit en partie le développement de la céramique d’art japonaise.

    L’auteur ne cache pas le côté fastidieux de l’apprentissage des gestes justes et de la maîtrise du corps. Une fois la technique acquise, elle offre cependant une grande liberté. Soshitsu Sen porte le nom traditionnel du Grand maître dans la tradition Urasenke, il est le quinzième descendant de Sen Rikyû.

    L’Association belge Urasenke organise des cérémonies du thé au jardin japonais d’Hasselt et au musée de Mariemont, elle propose aussi des cours. Vie du thé, esprit du thé parlera sans doute davantage à ceux qui ont déjà une certaine pratique de la cérémonie du thé japonaise, mais pour de simples lecteurs curieux, c’est une invitation à aller au-delà de la gestuelle, de l’exotisme, et à comprendre un peu de la conscience subtile qui s’y déploie.

  • Liberté

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    « L’incapacité de Phyllida à réaliser ses rêves avait forgé ceux de Madeleine. La vie de sa mère était l’exemple à ne pas suivre. Elle incarnait l’injustice que Madeleine allait réparer. Entrer dans l’âge adulte en pleine poussée progressiste, grandir à l’époque de Betty Friedan, des manifestations pour l’égalité des droits entre les sexes et des chapeaux conquérants de Bella Azbug, affirmer son identité au moment où celle-ci connaissait une profonde mutation, était une liberté digne des plus grandes libertés américaines que Madeleine avait étudiées à l’école. »

    Jeffrey Eugenides, Le roman du mariage

  • Le roman de la vie

    Y a-t-il période plus propice aux rencontres que le temps des études sur un campus universitaire ? Le roman du mariage de Jeffrey Eugenides (The Marriage Plot, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Deparis) continue à captiver ses lecteurs en format de poche – un gros roman d’amour, mais pas seulement. 

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    Le titre renvoie d’abord à un cours choisi par Madeleine Hanna, étudiante en lettres : « Le roman du mariage : œuvres choisies d’Austen, d’Eliot et de James ». Le jour de la remise des diplômes à Providence, Rhode Island, le coup de sonnette de ses parents rappelle à Madeleine le petit-déjeuner qu’ils ont convenu de prendre ensemble, mais elle n’a pas du tout la tête à faire la fête après une nuit agitée et trop alcoolisée.

    Phyllida et Alton sont en pleine forme, eux, ravis de féliciter leur lauréate. Malgré les années et leurs prises de bec, Madeleine observe sa mère « une fois de plus en parfait accord avec les circonstances », soignée, enthousiaste, de quoi se sentir encore plus déphasée. Ses projets de vie commune avec Leonard Bankhead inquiètent sa mère, qui lui préfère Mitchell, « le genre de garçon dont elle aurait dû logiquement tomber amoureuse et devenir l’épouse, un garçon intelligent et sain qui plaisait à ses parents. » 

    Après ses études de théologie, Mitchell Grammaticus  (à moitié grec, comme l’auteur) a prévu de faire un grand voyage jusqu’en Inde avec un ami. Madeleine, sans réponse à sa demande de troisième cycle, se sent perdue, sans endroit où aller sinon chez ses parents. Elle vient de rompre avec Leonard, rencontré au cours de « Sémiotique 211 » (question de se mettre au courant des théories littéraires en vogue), un des dix étudiants sélectionnés pour ce programme.  

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    Bien qu’il se spécialise en biologie, Leonard a suivi ce cours « par intérêt philosophique », et dès leurs premières conversations, Madeleine a découvert quelqu’un d’étonnant, d’une intelligence fulgurante, très différent de ses petits amis précédents. A la même époque, elle lisait Fragments d’un discours amoureux de Barthes, qu’elle ne lâchait plus. Mais Leonard a ironisé lorsqu’elle lui a parlé d’amour, et elle a décidé alors de rompre.

    Mitchell a eu sa chance, quand Madeleine l’a invité chez ses parents pour Thanksgiving, pour ne pas le laisser seul sur le campus. C’est alors qu’il a charmé ses parents mais s’est montré trop timide avec elle – elle l’a laissé tomber, et pourtant lui ne pense qu’à l’épouser. Et voilà que juste avant la cérémonie des diplômés, un ami de Leonard téléphone à Madeleine pour lui apprendre que celui-ci est à l’hôpital, pour une grosse dépression.

    Furieuse que ses colocataires lui aient caché son état, Madeleine oublie la cérémonie, file à l’hôpital : Leonard, sous lithium, estime qu’elle a bien fait de quitter un « handicapé affectif », les unités de cours à récupérer pour obtenir son diplôme l’obsèdent,. Madeleine, qui n’a reçu aucune réponse positive à ses demandes de troisième cycle, se trouve un nouvel objectif : aider Leonard à s’en sortir. 

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    Sur près de six cents pages, Eugenides décortique les états d’âme des uns et des autres, suit chacun des personnages dans ses pérégrinations, Mitchell dans son voyage autour du monde et ses interrogations spirituelles, Leonard entre les hauts et les bas d’un maniaco-dépressif, Madeleine dans ses lectures et l’analyse de ses sentiments personnels. « Un remake de « Jules et Jim » transposé dans l’univers drolatique de David Lodge », titre André Clavel (Le Temps) 

    Dans Télérama, Nathalie Crom fait l’éloge d’un « récit d’apprentissage de facture classique, remarquablement intelligent et infiniment séduisant. » Fallait-il tant d’adverbes ? Il y a des longueurs dans Le roman du mariage. Eugenides, qui dédie son roman à ses « colocs », décrit d’abord les mœurs universitaires à Brown, dans les années 80, avec pas mal d’ironie quant aux effets du structuralisme sur les approches littéraires, mais fait surtout place ensuite aux interrogations existentielles. Une fois le campus quitté, il faut choisir sa vie – pour ou contre, avec ou sans – et interviennent alors l’éducation, le milieu, les sentiments, les réponses du monde à nos attentes, et les circonstances, imprévisibles.