Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Culture - Page 572

  • Petits matins

    « Tôt le matin, la cuisine m’appartenait exclusivement. Je faisais le thé. Je disposais sur la table le nécessaire du petit déjeuner, sans cesser de parler tout seul. Avec moi-même, ou avec d’autres : mon père, ma mère, mes professeurs, ma tante ou ma grand-mère. Les personnages de mes petits matins étaient comme j’aimais qu’ils fussent : mon père courtois et affable, ma mère riant tout le temps, mes professeurs indulgents. Ma tante et ma grand-mère éprouvaient pour ma mère de l’affection. Moi, j’avais des réponses justes et raisonnables pour chacun. »

    Zoyâ Pirzâd, Un jour avant Pâques

    Maamoul de Pâques sur Paperblog.jpg

     

  • Pâques en Iran

    Traduit du persan (Iran), Un jour avant Pâques de Zoyâ Pirzâd (2008) raconte l’histoire d’une famille d’abord installée au bord de la mer Caspienne puis à Téhéran. Edmond Lazarian a grandi dans une maison mitoyenne avec l’église et l’école arméniennes. A douze ans, il est surtout l’ami de Tahereh, la fille du concierge de l’école – son père ne voit pas d’un bon œil qu’il fréquente une famille musulmane. Quelques jours avant Pâques, lorsque les orangers de la cour intérieure fleurissent,
    il capture une coccinelle : la légende dit qu’à la première coccinelle aperçue, on peut faire un vœu qui sera exaucé avant Pâques. Toute la journée, il se tracasse en classe,
    il a oublié de trouer la boîte d’allumettes et craint pour la vie de sa prisonnière. Et comme son père, à la sortie de l’école, l’oblige à l’accompagner chez le coiffeur, au retour, il est trop tard. La coccinelle est morte, et l’enfant en pleurs.
     

    Miniature arménienne.jpg

     

    Ainsi commence l’évocation d’une enfance marquée par la culture arménienne – Madame Grigorian, une amie de sa grand-mère, en est la dépositaire respectée, « la seule Arménienne de la ville à avoir vu l’Arménie ». Au cimetière de l’église, où il est interdit de jouer, mais dont Tahereh qui est un peu sorcière aime faire un terrain de cache-cache, Edmond est particulièrement impressionné par la tombe « de la femme du marchand ». A la mort de son mari, celle-ci s’est fait sculpter en train de lire, grandeur nature, pour lui tenir compagnie – avant de partir avec le sculpteur. Mais
    « la plus belle femme du monde », pour le garçon, c’est la mère de Tahereh, grande et mince, discrète, malheureuse victime des mauvais traitements de son époux. Edmond l’aperçoit un jour, en larmes, qui se confie au directeur de l’école dans sa pièce « pleine de livres ».

     

    Dans la deuxième partie du roman, un jour avant Pâques, Alenouche, la fille d’Edmond, annonce à ses parents qu’elle va se marier avec Bezhad, ce qui laisse sa mère Marta sans réaction. Heureusement, se dit le père, que sa grand-mère est morte : épouser un non-arménien ! Depuis l’enfance, sa fille se montre rebelle à la religion. Edmond est maintenant le directeur de l’école, mais se laisse remplacer de plus en plus souvent par Danik, la surveillante-générale, devenue la meilleure amie de Marta. A la naissance d’Alenouche, sa femme qui s’entendait particulièrement bien avec la grand-mère d’Edmond avait reçu d’elle sa bague de fiançailles en diamant.

     

    Si le récit, de chapitre en chapitre, change de génération, Zoyâ Persâd intègre dans chacun d’eux de multiples flash-backs. Par exemple, Edmond se souvient des disputes entre ses propres parents et du jour où sa mère avait récupéré une armoire et un lit pour les installer dans un débarras non loin de sa chambre de garçon : ce serait dorénavant la chambre de sa mère, ornée avec soin, une pièce très agréable où il aimait à se tenir près d’elle. Quant à Bezhad, l’étudiant dont Alenouche ne cesse de faire l’éloge, à sa première invitation chez eux, il déclare : « Il n’y a qu’une seule chose que je ne tolère pas, c’est l’intolérance. » Pas étonnant qu’il s’entende avec sa fille qui, du haut de ses six ans, avait un jour répliqué à sa mère : « Maman, je n’ai pas la patience d’écouter tes sermons ! » Les souvenirs d’Edmond envahissent de plus en plus le récit, concernant sa mère, son enfance, son mariage, les déménagements.

    Au dernier chapitre, c’est à nouveau la veille de Pâques – le moment le plus fort de la religion arménienne. Sa femme Marta n’est plus, ni sa mère qui lui avait offert, le jour de sa réussite au baccalauréat, un stylo-plume avec un flacon d’encre verte parce qu’elle aimait « tout et tous ceux qui se distinguent ». Alenouche s’est éloignée, mais Danik est toujours là pour fêter Pâques avec lui et lui donner un cadeau, un geste que Marta faisait si bien, elle qui avait toujours le cadeau approprié pour chacun, alors qu’Edmond ne sait jamais quoi offrir. Il y a beaucoup de délicatesse et de sensibilité dans Un jour avant Pâques, une délicieuse incursion dans les rituels et dans l’intimité d’une famille arménienne qui évolue avec son temps, mais garde ses traditions les plus précieuses.

  • Cuillères

    « Sans compter les énormes bénéfices réalisés sur le trafic des cuillères.
    Le Lager n’en fournit pas aux nouveaux venus, bien que la soupe semi-liquide qu’on y sert ne puisse être mangée autrement. Les cuillères sont fabriquées à la Buna, en cachette et dans les intervalles de temps libre, par les Häftlinge qui travaillent comme spécialistes dans les Kommandos de forgerons et de ferblantiers : ce sont des ustensiles pesants et mal dégrossis, taillés dans de la tôle travaillée au marteau et souvent munis d’un manche affilé qui sert de couteau pour couper le pain. Les fabricants eux-mêmes les vendent directement aux nouveaux venus : une cuillère simple vaut une demi-ration de pain, une cuillère-couteau, trois quarts de ration. Or, s’il est de règle qu’on entre au K.B. avec sa cuillère, on n’en sort jamais avec. Au moment de partir et avant de recevoir leurs vêtements, les guéris en sont délestés par les infirmiers, qui les remettent en vente à la Bourse. Si on ajoute aux cuillères des guéris celles des morts et des sélectionnés, les infirmiers arrivent à empocher chaque jour le produit de la vente d’une cinquantaine de ces objets. Quant à ceux qui sortent
    de l’infirmerie, ils sont contraints de reprendre le travail avec un handicap
    initial d’une demi-ration de pain à investir dans l’achat d’une nouvelle cuillère. »

    Primo Levi, Si c’est un homme (Chapitre 8 – En deçà du bien et du mal)

    Primo Levi, Le devoir de mémoire.jpg
  • Les rêves impossibles

     

    Promenade (novembre 2009).JPG

     

    Tout est à jamais perdu pour l’homme

    qui sans retour renonce à son passé

    aux jeux à l’enfance des jours ensoleillés

    et ce qu’il n’a pas reçu en partage il l’invente

    Le ciel laissait tracés sur la pierre sèche

    les échelons des marelles de craie blanche

    La tête couronnée de l’odeur des lilas

    cueillis derrière les murs de la cour de l’école

    où je faisais les cent coups sous la pluie d’été

    j’escaladais les remblais des chantiers en détresse

    et dans l’angoisse des veillées les orages épiés

    venaient délirer tout haut leurs rêves impossibles

    Au bord des champs troués de pauvres fleurs de sang

    j'écoutais balbutier les complicités de la terre

    le langage entêté des oiseaux en colère

    je découvrais les feintes les soupçons trompeurs

    dans les souvenirs de jeunesse chassés à grands cris

    Le temps qui a passé et les jours de reste

    n'ont pas arrangé toujours au mieux mon lot

    la mémoire n’a pas eu la peau assez dure

    pour que j’oublie le poids et la brûlure des larmes

     

    Albert Ayguesparse (1900-1996), La traversée des âges (1992)

     

  • Au diable

    « La tourmente sifflait comme une sorcière, hurlait, crachotait, s’esclaffait, tout avait disparu au diable et je ressentais un froid bien connu dans la région du plexus solaire à la pensée que nous perdrions notre chemin dans ces sataniques  ténèbres tourbillonnantes et que nous y passerions tous, Pelagueïa Ivanovna, le cocher, les chevaux et moi. »

    Boulgakov, L’œil volatilisé in Carnets d’un jeune médecin

    Boulgakov en grands caractères.jpg