Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

écrivain belge - Page 16

  • Balade à Saint-Amand

    Verhaeren y est né et célébré, il est partout chez lui à Saint-Amand (Sint-Amands), jolie localité sur l’Escaut propice aux balades, où il repose pour l’éternité. Quelques instantanés d’une balade estivale – oui, c’était vraiment l’été en Belgique à la fin du mois de juillet, depuis le ciel est plutôt changeant, mais nous ne sommes qu’à la mi-saison, n’est-ce pas ?

    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture

    En face du Musée provincial consacré au poète, on peut encore voir le grand « Christ au carrefour » évoqué dans « Mon village » (« Mijn dorp », dont des extraits sont affichés un peu partout à Saint-Amand, notamment près de l’ancien pilori – « schandpaal »). Enfant, Emile Verhaeren voyait ce Christ de la maison familiale. Du même côté, plus loin, un Musée des moulins annonce clairement son sujet sur sa façade aux fenêtres décorées : « Vlaams Centrum voor Molinologie ». En pousser la porte un jour pour compléter la visite du Moulin d’Evere ?

    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture

    Des maisons des XVIIe et XVIIIe siècles sont classées dans la rue de l’Eglise (Kerkstraat), mais c’est d’abord un imposant monument funéraire qui attire le regard au pied du clocher, surmonté d’un calvaire, avec une inscription en médaillon : « Onder de schaduwe der Kruises rust ik en wacht de verrezen » (A l’ombre des Croix je repose et attends la résurrection).

    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture

    Avant de s’installer dans la Bibliothèque communale en 1997, le musée Verhaeren occupait depuis 1955 une jolie maison ancienne, Het Veerhuis (maison du passeur), sur le quai devant l’Escaut. Du temps de Verhaeren, elle était occupée par une auberge où le poète buvait régulièrement un petit verre. C’est aujourd’hui un Office du tourisme où l’on est accueilli très aimablement, qu’il s’agisse de trouver des itinéraires à vélo ou un restaurant. On n’a pas manqué de nous y signaler que le bac permet de passer d’une rive à l’autre, gratuitement.

    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture

    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture

    Du quai, la vue sur l’Escaut est superbe. Avant d’arriver au sarcophage du poète et de son épouse, entièrement reconstruit en 2008-2009, on aperçoit déjà une statue de Verhaeren (par Léopold Van Esbroeck) debout, en train de déclamer, sa jaquette soulevée par le vent, ses vers à la main. J’ai été davantage touchée par une sculpture très originale de Jan Mees dans le jardin communal Marthe Massin tout proche : « Liefdegetijden » (Heures d’amour), tendre évocation de la poésie amoureuse de Verhaeren et de ce beau couple.

    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture

    Si les cyclistes sont nombreux les jours de beau temps à longer les rives, quatre « promenades avec Verhaeren à Saint-Amand » sont proposées aux promeneurs à vitesse réduite. En suivant la berge en direction des « Steenovens » (fours à briques), on rencontre une autre sculpture intéressante, celle du Veerman (Le Passeur) par Marc Macken, d’après « Le passeur d’eau » de Verhaeren.

    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture

    A pied, il faut prendre garde aux vélos qui arrivent d’en face ou de l’arrière. Beaucoup de cyclistes du plat pays se donnent rendez-vous à la taverne Den Amandus dont la terrasse avec vue sur le fleuve affichait complet ce jour de grand soleil. Une fois cette « fietsroute » quittée, peu après la vieille ferme des Steenovens, c’est le grand calme de la campagne sur la drève des Moulins où les peupliers bruissent.

    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture

    On revient vers le centre de Saint-Amand par le Dam, « misérable et lépreux », écrivait Verhaeren (Mon village) à propos de ce quartier nommé d’après l’ancienne digue qui protégeait le village des eaux de l’Escaut. De petites maisons de pêcheurs bordent la rue, chacune avec son bateau en façade.

    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culturesaint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture
    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture

    Ici, un vieux filet pend au-dessus des pots qui ornent une maison toute blanche sous son toit de briques orange ; celle-ci arbore de jolis décors sculptés, y compris pour le numéro de la maison, on y voit une vieille barque entre les arbres. Là, un voilier flotte sur une boîte aux lettres. Au n° 78, voile, musique et poésie font bon ménage, sans oublier les fleurs offertes aux passants.

    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture

    Encore aujourd’hui, ce quartier pittoresque garde une atmosphère singulière. Une bicyclette peut aussi faire de la figuration, sous de belles fenêtres. Mais après les deux bateaux du sympathique n° 144, aux encadrements de fenêtre d’un bleu soutenu, et la façade pleine d’allure du n° 112 avec son bateau sculpté dans la pierre, voilà la maison la plus bizarre du Dam, sur un angle. Un adepte de Gaudi, ennemi de la ligne droite, y a réinventé le mur de briques pour y faire apparaître des figures, des motifs, dans un joyeux désordre.

    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture

    Une galerie d’art et de décoration loge dans cette architecture improbable : si elle avait été ouverte, j’y serais entrée. Mais j’ai suivi un autre musicien, notre Toots Thielemans national, sur son Boulevard : une rue étroite de Saint-Amand située sur la « SIM-route » (route touristique musicale le long de l’Escaut) porte ce nom depuis 2003, le célèbre jazzman à l’harmonica est citoyen d’honneur de la commune.

    saint-amand,sint-amands,balade,escaut,verhaeren,patrimoine,llittérature,poésie,écrivain belge,culture

    De retour à l’église de Saint-Amand, dont le clocher est comme un phare pour se repérer de loin, on embrasse une dernière fois le paysage grandiose avec le fleuve, le bac, la tombe, la maison du passeur, en se promettant d’y revenir un jour. Alors on prendra le bac, on marchera sur l’autre rive, pour découvrir Saint-Amand de l’autre côté de l’Escaut, en songeant au Passeur de Verhaeren, « un roseau vert entre les dents ».

  • Blanc et or

    « C’était encore une sorte d’hôtellerie rustique, mais aménagée avec un soin raffiné. Je compris qu’Ambrucci renversait les rôles et me rendait à son tour les devoirs de l’hospitalité, quand il m’invita à me débarbouiller dans l’eau glacée dont un dauphin de marbre emplissait une vasque débordante. Lorsque nous fûmes séchés, m’accoudant à la balustrade, je me penchai machinalement vers le gouffre blanc et or qui s’étendait à nos pieds. Dans les déchirures du brouillard, je distinguai de lointaines ondulations de terrain, couvertes d’une végétation rousse et pelée. Sur la droite s’allongeait une série de maisons modernes aux arêtes vives, semblables à des morceaux de sucre. Les oiseaux se taisaient dans l’attente du soleil qui posait çà et là ses premières touches lumineuses. Le nommé Gino ouvrit sa porte et nous cria que le café était prêt. Avant de lui obéir, je m’informai :
    Mais où sommes-nous ?
    Sur le Monte Mario, répondit Ambrucchi qui s’éloignait déjà.
    Et qu’est-ce que c’est que ce patelin qu’on aperçoit dans le fond ?

    Il s’arrêta et, très grand seigneur, avec un geste de présentation, déclara :

    C’est Rome. »

     

    Alexis Curvers, Tempo di Roma

    curvers,tempo di roma,roman,littérature française,belgique,écrivain belge,italie,rome,guide touristique,beauté,art,culture
    Turner, Rome from Monte Mario (1820)

     

     

  • Vacance romaine

    C’est un roman que je relis chaque fois avec délectation, le chef-d’œuvre d’Alexis Curvers (1906-1992), intitulé d’après une toile de Giorgio de Chirico, Tempo di Roma (1957). Vous avouerai-je n’avoir jamais encore mis les pieds à Rome ? Ce serait mensonge,  après y avoir suivi Jimmy, mauvais garçon que la guerre a mené loin de son pays « aux fourneaux astiqués, aux pommes de terre frites et à la bière », échoué par hasard en Italie – « La vie est légère en ce pays. Je fus amoureux de Milan. »

    curvers,tempo di roma,roman,littérature française,belgique,écrivain belge,italie,rome,guide touristique,beauté,art,culture

    1944. Avec Enrico, le jeune homme que des études d’histoire de l’art ont détourné de la vie d’artiste s’initie aux multiples façons de voler les voyageurs de passage dans une ville où la « furberia » est « un art entre les autres » et « une vertu de l’intelligence ». Mais ses compères allant de plus en plus loin, Jimmy qui était d’accord « pour faire de jolies choses » décide d’en rester là. Quelque temps après, Enrico est arrêté et il lui faut quitter Milan, par prudence. Sa vieille amie Lala, la marquise Mandriolino, « relation d’affaires » et grande protectrice des animaux en tous genres, lui conseille d’aller à Rome. C’est chez elle que Jimmy avait admiré Il tempo di Roma – un signe –, un des rares trésors sauvés de son palais mis en location.

     

    Ambrucci, un voyageur de commerce « depuis peu sur le pavé » accepte de l’emmener sur sa motocyclette, à condition que Jimmy assure en route le vivre et le logement. Délicieux voyage : Ambrucci connaît les étapes agréables, les villages accueillants, il lui montre au passage « les choses qui lui semblaient belles » : « Les meilleurs ponts, les meilleurs aqueducs, les meilleures motocyclettes sont l’œuvre d’un peuple d’artistes, de flâneurs, de joueurs de mandolines. Je n’en suis pas surpris. Mais cela s’ignore chez les barbares, lesquels sont convaincus qu’il est raisonnable de « sacrifier la beauté au pratique », comme on disait chez moi, et vivent par conséquent à la fois dans la laideur et l’inconfort. Pauvres barbares,  si contents d’eux-mêmes ! »

    curvers,tempo di roma,roman,littérature française,belgique,écrivain belge,italie,rome,guide touristique,beauté,art,culture
    De Chirico, Mélancolie et mystère d’une rue (1914)
    faute d’avoir trouvé « Il tempo di Roma », œuvre citée ou imaginaire ?

    A Rome, Jimmy se sent d’emblée « dans la capitale, non de l’Italie, mais d’un monde très vieux et très particulier ». Il s’y refait une éducation. Au café où Ambrucci et lui ont bu leur dernier expresso du voyage, Jimmy converse avec un Anglais bavard et amical lorsque son chauffeur de fortune le plante là, en face d’un garage, près de la Porta del Popolo. Sir Craven (surnom dû aux cigarettes que sa famille lui envoie d’Angleterre et qu’il offre à la ronde) lui donne un simple conseil : « Ne sollicitez jamais. Wait and see. »

    Jimmy décide de rester dans les parages et ne se risque plus loin que lorsque l’Anglais l’accompagne : celui-ci lui explique la ville, l’esprit des lieux, la beauté des proportions. Le gardien de nuit du garage, sur la recommandation de Sir Craven, lui permet de dormir la nuit sur les coussins d’une Lancia, après le départ des clients. La chance lui sourit bientôt : on cherche quelqu’un qui sache l’allemand pour accompagner trente Zurichois qui disposent d’une seule journée pour visiter Rome en autocar. Comme le « docteur en art et archéologie » a l’air débrouillard, le patron du garage lui donne une cravate et lui promet de faire fortune s’il se révèle un bon guide. L’agence « Roma in un giorno » étant régulièrement débordée, il rêve de lui faire concurrence.

    curvers,tempo di roma,roman,littérature française,belgique,écrivain belge,italie,rome,guide touristique,beauté,art,culture
    Manifestation pour la restauration de la fontaine Giorgio De Chirico en mai 1994
    © Mario Gorni sur Wikimedia Commons

    Et nous voilà mêlés à la nouvelle carrière de Jimmy. Places, monuments, palais, fontaines, nous découvrons Rome avec les touristes qu’il promène dans la Ville Eternelle, puis emmène au restaurant de Gino qui l’avait tant charmé, sur le Monte Mario. En repartant, ils ramènent chez elle la servante de l’auberge, Pia, inquiète pour sa « ragazza », sa fille de seize ans dont le père a disparu sur le front russe, Geronima. La jeune fille « à l’air grave, un peu anxieux » va devenir la plus belle obsession du jeune guide. Celui-ci a gagné un toit : on le loge, on lui promet un salaire et une casquette.

    « Mais vous n’êtes pas amoureux de Geronima. Vous êtes amoureux de Rome », lui dit souvent Sir Craven – « Il ne savait pas que Rome, pour moi, c’était Geronima. » Quand il la quitte après un rendez-vous, c’est d’ailleurs toujours avec ces mots : « Addio, Roma » et elle répond : « Non, pas comme ça. Arrideverci. »

    curvers,tempo di roma,roman,littérature française,belgique,écrivain belge,italie,rome,guide touristique,beauté,art,culture

    Peu à peu, Jimmy découvre que les Italiens regardent autrement que Sir Craven ou lui : « Ils regardaient Rome et quelque chose au-delà de Rome. Quoi donc ? C’était un mystère. Mais ces regards innombrables avaient suscité la beauté de Rome. Pour répondre à leur muette exigence, l’Italie était devenue la patrie des arts, où tout est spectacle et promesse de spectacle, non seulement les monuments majestueusement assemblés dans les villes, les richesses consacrées qui s’accumulent dans les églises et les musées, mais les masures, les grilles, le crépi de murs, les instruments de travail, les cruches, les paniers, les mouchoirs que les femmes nouent sur leur tête, et jusqu’à cette pompe à essence auprès de laquelle Oreste en salopette, comme un faune gardien d’une source magique, ne se lassait pas de scruter les ténèbres, d’y guetter l’approche du voyageur altéré et ralentissant qui serait peut-être Jupiter en automobile. »

    Tempo di Roma est une initiation à la beauté de Rome, à l’amour, à l’art, à la vie. Alexis Curvers décrit avec finesse le sens subtil des distances, des proportions, et aussi les amitiés qui se nouent, les amours qui se cherchent dans ce décor de théâtre.  Mais le jeune guide épris de l’Italie reste un étranger, et sa vie errante, après les camps en Allemagne, l’a comme détaché de lui-même, il ne sait plus qui il est – vacance romaine. Sa mère, d’abord inquiète de ne pas le voir rentrer, lui raconte à présent dans ses lettres sa vie nouvelle avec ses locataires, deux Italiens venus chercher du travail dans le Nord.

     

    Quelle surprise le jour où Jimmy reçoit de la surintendance des Beaux-Arts une convocation pour l’examen de guide touristique le mois suivant, un coup de l’agence rivale, c’est sûr ! Sir Craven, furieux contre les intrigants médiocres, l’assure de son soutien et de ses relations. Une autre surprise attend Jimmy place Sant’Ignazio : sa chère Lala, la marquise Mandriolino, « plus belle encore qu’autrefois », y loge désormais chez une comtesse, une amie d’enfance,  et cherche des fonds pour créer un ordre religieux qui s’occuperait des animaux.

     

    Fêtes, travail, intrigues, flâneries, le spectacle à Rome est permanent, mais Jimmy a un examen à préparer. A-t-il ses chances ou a-t-on décidé de l’évincer ? Tout finira-t-il par un mariage ? La destinée du jeune amoureux de Roma, dans ce récit daté « Pérouse, 1949 – Tilff, 1956 » où l’ennui n’a aucune place, va connaître encore des rebondissements. Pour des lecteurs curieux et amoureux d’un français à la fois classique et vif, lyrique et plein d’humour, c’est un enchantement.

  • Vent de Pâques

    Pause en poésie / 8      

    vivier,poésie,littérature française,belgique,écrivain belge,culture

    Les foules du bleu m’environnent,

    Leurs voix se détruisent sans trêve.

    Qui les interroge ? Personne.

    L’une commence et l’autre achève.

     

    Et le chœur solaire élabore

    Des villes sans murs et sans portes,

    Folles de fenêtres sonores

    Et de tours qu’un silence apporte.

     

     

    Robert Vivier, Pas des saisons (Tracé par l’oubli, 1951).

  • Maison du temps

    Pause en poésie / 7      

    vivier,poésie,littérature française,belgique,écrivain belge,culture

     

    Où s’est-il caché, l’enfant siffleur

    Qu’un bleu soleil bombardait d’oranges

    Et qui dansait au bruit des couleurs

    Comme dansent l’herbe et la mésange ?

     

    Pour la maison qui touche à la nuit

    Une main défunte pianote

    Le début d’un songe, mais l’ennui

    Fane en plein vol le bouquet des notes…

     

    Tout s’est tu dans les chambres du Temps

    Où l’hier et le demain s’embrouillent,

    Où l’hôte brun s’arrête hésitant

    Devant soi-même, aux miroirs de rouille.

     

    Robert Vivier, Rites et fables (Tracé par l’oubli, 1951)