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Passions - Page 309

  • Piot le japonisant

    A la fin de l’exposition « Ukiyo-e », aux MRAH, une salle est réservée à Dimitri Piot, dessinateur et illustrateur, né à Bruxelles en 1979. Il crée des images sur des sujets contemporains dans le style de l’ukiyo-e, jouant sur l’anachronisme volontaire. Par exemple, dans une série sur l’histoire du Japon moderne, il montre un trio en kimono traditionnel regardant le lancement d’un satellite ou encore des flâneurs sur un paisible bord de mer tandis qu’au loin explose le champignon nucléaire d’août 45 (voir le site de l’éditeur).

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    © Dimitri Piot, Osumi, 2012

    Ses couleurs sont très douces, très nuancées. Une quarantaine d’œuvres sont exposées, de genres variés. Pour une exposition de design, Options of Luxury, il a dessiné des produits de mode sous un angle japonisant (à voir sur son site). Une série de doubles pages extraites de ses petits romans dessinés – un dessin par page, « de la taille d’un paquet de cigarettes » (note de l’éditeur) conjuguent sobriété et contemplation. Ses dessins du monde du travail, très graphiques, sont surprenants.

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    © Dimitri Piot, Salaryman

    Invité spécial de l’exposition « Ukiyo-e », Dimitri Piot y montre aussi Bruxelles. La jolie vue vers la Grand-Place depuis le Mont des Arts, avec le mont Fuji dans le lointain, fait partie d’une série consacrée aux 150 ans des relations belgo-japonaises. Conçues pour la circonstance, les trois vues verticales des arcades du Cinquantenaire, Après les nuits (2016), sont plus personnelles, inspirées par sa vision du site où il arrivait à pied en revenant du centre, dans différentes ambiances et à des heures peu fréquentées : neige, pluie, couchant – un haïku visuel.

    Ukiyo-e, les plus belles estampes japonaises, Musées royaux d’Art et d’Histoire, 21/10/16 > 12/2/2017
    Prolongation : 18 & 19/2, 25 & 26/2 et 4 & 5/3

  • Ukiyo-e, II

    Si vous n’avez pas encore vu « les plus belles estampes japonaises » au Cinquantenaire, vous avez jusqu’au 12 février pour visiter « Ukiyo-e » (ou Images du monde flottant) aux Musées royaux d’Art et d’Histoire, et même trois week-ends supplémentaires, vu le succès. J’y suis retournée pour la seconde série et je me suis régalée.

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    Suzuki HARUNOBU, La bienséance (Suite : Les cinq vertus
    cardinales), 1767

    Au début du parcours, la salle consacrée à Suzuki Harunobu (1725 ?-1770) justifie à elle seule une seconde visite. Jeune fille portée par un serviteur (tout en mouvement), Jeune homme au parapluie (assorti à son manteau) forment une belle entrée en matière, mais le meilleur vient après avec une suite, « Les cinq vertus cardinales » : bienséance, bienveillance, fidélité, sagesse et droiture.

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    Suzuki HARUNOBU, La fidélité (Suite : Les cinq vertus cardinales), 1767

    Une servante aide sa maîtresse à mettre son manteau, où est la bienséance ? Dans le fait de se couvrir, le choix d’une couleur, l’attitude, le geste ? La fidélité (ci-dessus) : sur une terrasse au bord de l’eau, une jeune femme regarde vers le ciel, assise à sa table où une feuille blanche attend l’inspiration. Etonnant : La droiture (4e illustration dans le billet précédent) : deux jeunes prostitués dans un lupanar discutent d’un exemple de loyauté envers un seigneur dans un livre illustré, le milieu homosexuel était attaché à cette vertu (notice). Peu importe le thème, on s’émerveille du dessin, du décor, des couleurs, de la composition. Le dessinateur dispose chaque fois ses figures près d’un angle fourni par un paravent, une balustrade, un mur – merveilleux cadrages.

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    Suzuki HARUNOBU, La sagesse (Suite : Les cinq vertus cardinales), 1767

    Les estampes de théâtre sont très différentes, centrées sur l’acteur, l’attitude, le costume. Katsukawa Shunshō (1726-1792) dessine un acteur dans le rôle du dieu Hotel, un des sept dieux de la bonne fortune : un bonhomme pansu et hilare, portant un énorme baluchon blanc rempli de cadeaux pour les enfants – magistralement campé en format vertical sur fond noir.

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    Katsukawa SHUNSHO, L'acteur Nakamura Nakazo I dans le rôle du dieu Hotel, 1780

    Torii Kiyonaga (1752-1815) renouvelle l’estampe d’acteur en déployant une scène sur plusieurs feuilles, ce qu’il applique aussi aux représentations de jolies femmes – une belle se doit d’être sereine, élancée et de proportions parfaites, comme il le montre dans une suite consacrée au « Concours de beautés contemporaines dans les quartiers réservés ». Le restaurant Kankanrô, réputé, se situait à proximité des maisons closes « de première classe » et les courtisanes célèbres y paradaient.

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    Torii KIYONAGA, Le restaurant Kankanrō, 1794

    L’élégante Courtisane Takigawa de Gomeirô peinte par Utamaro (1753-1806) porte un ruban en papier au petit doigt, signe qu’elle est déjà réservée pour un prochain rendez-vous. Utamaro a souvent dessiné les courtisanes avec leur enfant : l’une retient par son vêtement celui qui joue dans une bassine avec son poisson-jouet, une autre s’incline vers le sol avec le bébé qu’elle allaite, c’est plein de fraîcheur et de grâce. (Je vous renvoie aux illustrations dun ancien billet sur les belles d’Utamaro.)

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    Kitagawa UTAMARO, La courtisane Takigawa de la maison Gomeirō, vers 1794-1795

    Un panneau avertit les parents à l’entrée de la salle consacrée aux « images de printemps » (« shunga »), le cabinet des estampes érotiques. Plaisir esthétique assuré, quant à l’érotisme, je ne sais (voir l’article de Lunettes rouges à ce sujet). La plupart des couples ont gardé leurs vêtements – certains sont somptueux – et seules leurs parties génitales sont découvertes, crûment. Le blanc de la peau contraste et souligne le dessin précis de l’action et du sexe, d’une taille exagérée, parfois tatoué. Mais les visages restent impassibles, à la limite de l’ennui, comme étrangers à l’affaire, c’est curieux. Une estampe dite « rouleau de manches » signée Kiyonaga est plus suggestive : une coupe horizontale (11 x 66 cm) montre un couple à l’œuvre des pieds à la tête, les yeux clos, l’homme y embrasse la femme dans le cou.

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    Torii Kiyonaga, Fille d'Ohara et un paysan (Suite : Rouleau de manches), détail, 1785

    Neige du soir et incandescence du crépuscule, un diptyque de Chôbunsai Eishi (1756-1829), fait partie d’une suite : « Une courtisane de haut vol admire une peinture qu’on lui déroule ». Sur deux feuilles juxtaposées, un fond clair uni, quatre femmes assises. Au-dessus d’elles, en contrepoint, les images du titre, sinon les attitudes, les regards, les coiffures et les vêtements qui se déploient sur le sol suffisent par eux-mêmes à exalter la beauté féminine.

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    Chôbunsai EISHI, Neige du soir et Incandescence du crépuscule, 1796

    Chōkōsai Eishō, actif de 1793 à 1800, excelle à rendre tantôt la physionomie d’une hôtesse de maison de thé souriante, tantôt le défilé de courtisanes avec leur suite dans un jardin d’iris, sous les lampions – une évocation magnifique (ci-dessous).

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    Chōkōsai EISHO, Les courtisanes de la maison Kadotamaya visitant un jardin d'iris avec leur suite, vers 1796-1798

    Autre salle où je me suis attardée : les merveilleuses estampes d’Hiroshige (1797-1858). On y voit des truites fendre les eaux bleues, des voyageurs affronter une pluie battante, une foire aux chevaux en été, un banc de sable et d’autres vues des relais de la grand-route de Tōkaidō ou de la grand-route du Kisokaidō, des reflets de lune sur les rizières… Et ce fameux chat blanc sur un appui de fenêtre, intérieur-extérieur auquel donnent vie quelques objets (des épingles à cheveux, un bol, une serviette) et dans le paysage, évoqué par le titre, une procession au loin. Superbe !

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    HIROSHIGE, Les rizières d'Asakusa et le pèlerinage, le jour du marché du Coq
    (Suite : Cent vues d'endroits célèbres d'Edo), 1857

    Dire que je pensais faire un billet court. Je ne vous parlerai pas des estampes consacrées aux animaux, parfois très drôles, ni de ces deux visages (un homme, une femme) constitués de corps nus qu’on suppose inspirés d’Arcimboldo, ni des images plus modernes... Ne manquez pas, si vous en avez la possibilité, ce rendez-vous exceptionnel avec l’art japonais de l’estampe au Cinquantenaire, vous ne vous y ennuierez pas.

  • Jaloux

    Tirtiaux couverture.jpg« Luise, ma Luise, que n’as-tu commencé une seule de tes lettres par « Mon amour » plutôt que par ce « Mon grand frère adoré » qui maintient entre nous cette distance dommageable à mon cœur ? Tu me libérerais d’un poids terrible.

    Il y a un mot pour nommer ce sentiment, un mot qui me fait horreur parce qu’il rapporte tout à soi, qu’il juge et emprisonne l’autre, s’attribue ce qui ne nous appartient pas ; et ce mot n’est autre que « jalousie ». Je deviens jaloux de ton Daniel, de toi, de vous, d’un bonheur qui, dans ma petite tête, me revient de droit et qui m’est subtilisé. »

    Bernard Tirtiaux, Noël en décembre

  • Noël et Luise

    Un titre parfait pour un cadeau de Noël (merci) : Noël en décembre (2015) de Bernard Tirtiaux conte une histoire d’amour, celui de Noël pour Luise. Dans ce septième roman du maître verrier dont vous avez peut-être lu le premier, Le passeur de lumière, c’est Noël Molinaux qui raconte : « Je t’ai vue naître, Luise, de mes yeux vue, et, tout enfant que j’étais, ta venue est restée incrustée en moi comme si tu t’étais ramifiée à mes veines, greffée comme un écho aux battements de mon cœur, au timbre de ma voix. » (Incipit)

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    Sur les hauteurs de Saint-Jean-Sart (Aubel) © Isa (Les photos d’Isa)

    Un jeu de circonstances amène Klara von Ludendorff, fille unique d’un Berlinois fortuné, étudiante en chimie à l’Institut Solvay (Bruxelles), à accoucher en terre wallonne. Son amant enfui, elle a décidé de garder l’enfant. Ses parents chez qui elle rentre à la fin de l’année universitaire n’en savent rien. Le 27 juin 1914, dans un train en route vers Cologne, elle ressent les premières contractions.

    Au signal d’alarme, le train s’arrête « en pays de Herve entre bocages et prairies », près d’une route où Léopold, 13 ans, et Noël, 4 ans et demi, accompagnent le vieux Jeff sur une charretée de foin. Coïncidence, leur mère est sur le point d’accoucher en présence du Dr Duculot, un cousin. C’est la grand-mère de Noël qui vient en aide à Klara : Luise naît sous les yeux du gamin, juste avant sa petite sœur, Lucienne.

    Klara n’a pas de lait – la mère de Noël allaite donc aussi « ce petit chat blond aux yeux très bleus dont la fixité (le) fascinait ». Sur les conseils du grand-père, ancien maïeur du village, Klara regagne Berlin seule, à la mi-juillet, « pour se donner le temps d’arrondir les angles ». Mais elle ne revient pas en août 1914, entre-temps l’Allemagne a envahi la Belgique.

    Le père de Noël est appelé ; il compte sur Léopold, « un débrouillard de première » pour veiller sur la ferme avec ses grands-parents. Bientôt les bombardements autour de Liège leur font prendre la route de l’exode. Deux mois plus tard, ils retrouvent la maison pillée, tout sens dessus dessous.

    Noël 2014 est le premier des nombreux Noëls racontés dans ce roman, un moment fort dans la famille, « l’événement majeur de l’année ». Malgré la guerre, on décore le sapin, on prépare le banquet familial, l’abbé Varlet est convié : grives et sandres de Meuse en entrée, purée de marrons et biche rituelle, grâce au grand-oncle braconnier. La cave a été dévalisée, mais Léopold a ramené du vin et du champagne d’une maison en ruine.

    Le grand-père tient son interminable discours de circonstance quand des soldats « boches » font irruption, les enferment tous dans l’arrière-cuisine pour se rassasier de toutes ces bonnes choses. Il ne leur reste que les bûches à se partager. Fou rire tout de même quand un oncle reprend alors un passage du discours tenu juste avant : « Ayons une pensée solidaire pour nos braves soldats et les quelque 600 000 prisonniers… » !

    Ambiance de guerre, passage des saisons. Noël entre à l’école primaire en septembre 1915. Son père est prisonnier en Allemagne, ses sœurs grandissent – Luise est considérée comme telle – et Noël veille sur elles quand sa mère ou sa grand-mère sont trop occupées. Doué pour le dessin, il aime les croquer, Lucienne la ronde et Luise la claire qui chantonne, matin, midi et soir.

    Leur grand frère Léopold s’amuse de tout, ose tout. A la messe de minuit de Noël 1917, à laquelle des Allemands assistent aussi, Léopold disparaît après la communion. Une embuscade attend au retour la voiture de l’officier et de ses acolytes, attaquée, brûlée. La réponse est terrible : les trois fils aînés des voisins sont fusillés et cinq autres adolescents. Quand Léopold réapparaît à la fin de la semaine, sa mère lui donne une gifle monumentale et il s’en va.

    La guerre terminée, le père revient, affaibli. Léopold donne rarement des nouvelles, ne parle que de lui et de ses exploits dans ses lettres. Tous craignent à présent le retour de Klara pour venir reprendre Luise, mais elle ne se manifeste pas. Quand la petite « va sur ses huit ans », on décide de lui raconter d’où elle est venue. Elle confie à Noël sa tristesse de ne pas être de leur sang. Il la rassure : depuis sa naissance, elle est son « étoile » et il la défendra toujours, y compris contre ceux qui l’accusent d’être allemande ou juive.

    Ce n’est qu’en 1922 qu’une lettre arrive de Vienne : Klara y explique son silence par obéissance à son mari épousé pendant la guerre, mort depuis deux ans. Elle vient de se remarier avec Josef Stern, un juriste, et ils sont prêts à accueillir Luise. Quand ils l’emmèneront, Noël, le cœur arraché, les traitera de « Sales Boches ! Voleurs d’enfants ! » Son premier Noël sans Luise est d’une tristesse à peine consolée par un merveilleux cadeau : un appareil photographique.

    Noël en décembre suit les péripéties de cet amour indéfectible de Noël pour Luise. Entre les deux familles, des liens forts subsistent, on se revoit, on s’écrit, on fête Noël ensemble, en Belgique ou à Vienne. Noël devient journaliste, Luise musicienne, une pianiste très appréciée. Mais la deuxième guerre mondiale les entraînera tous dans la tourmente : sans nouvelles de Luise, Noël fera tout pour la retrouver, en espérant qu’elle ait survécu.

    Le récit parcourt une trentaine d’années, de juin 1914 à décembre 1945, au sein d’une famille wallonne confrontée deux fois à la guerre avec l’Allemagne. Comme l’écrit Marguerite Roman (Le Carnet et les Instants), Bernard Tirtiaux y a mis « des personnages attachants, ce qu’il faut de suspense, d’inquiétude et de consolation. »

  • Interdit

    Septembre 1996, les talibans sont à Kaboul et diffusent leurs règles.

    Hosseini 10 18.jpg« A l’attention des femmes :

    (…)
    Vous ne parlerez que lorsqu’on vous adressera la parole.
    Vous ne regarderez aucun homme droit dans les yeux.
    Vous ne rirez pas en public. Sinon vous serez battue.
    Vous ne vous vernirez pas les ongles. Sinon vous serez amputée d’un doigt.
    Il vous est interdit d’aller à l’école. Toutes les écoles pour les filles seront fermées.
    Il vous est interdit de travailler.
    Si vous êtes reconnue coupable d’adultère, vous serez lapidée.
    Ecoutez bien et obéissez.
    Allah-u-akbar. »

    Khaled Hosseini, Mille soleils splendides