Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Littérature - Page 478

  • Dieu sait

    Cahier du docteur Bormenthal

     

    « Autre hypothèse de mon cru : le cerveau de Charik avait, dans la période canine de sa vie, emmagasiné une foule de notions. Tous les mots avec lesquels
    il a opéré en premier sont des mots de la rue qu’il a entendus et engrangés dans son cerveau. Maintenant, quand je marche dans la rue, je regarde avec un effroi secret les chiens que je rencontre. Dieu sait ce qui se cache dans leur cerveau ! »

     

    Boulgakov, Cœur de chien

    coeur de chien couverture livre de poche (détail).jpg

  • Charik ou Charikov

    L’année 1925 est décidément fertile pour Boulgakov : après ses nouvelles
    Endiablade et Les œufs du destin, voici Cœur de chien. Mais il y a chien et chien.
    Tout commence avec un pauvre clébard qui s’abrite sous un porche, tenaillé par la faim et par la douleur. Le cuisinier de la « cantine de restauration normale des personnels du conseil central de l’Economie nationale », pour le faire fuir, lui a jeté de l’eau bouillante. Le flanc brûlé, la bête hurle et songe à en finir avec cette chienne de vie qui est la sienne, mais « ça s’obstine, une âme de chien. »

     

    Miracle : sorti du magasin d’en face, « un citoyen, je dis bien, pas un camarade ; et même, très probablement, un monsieur », précédé d’une agréable odeur, s’approche et sort de sa poche un saucisson dont il lui jette un morceau : « Prends ! Charik, Charik. » Et le chien de suivre l’homme généreux jusque dans son immeuble où le concierge avertit Filipp Filippovitch de l’arrivée d’associés-locataires dans l’appartement 3 – le sien, jusque là, reste épargné. 

    Spilliart Chien dans la neige.jpg

     

    Impossible de fuir, une fois dans la place. Immobilisé, endormi, Charik se réveille quelque temps plus tard le corps bandé et sans aucune douleur, assez bien même pour accompagner son protecteur dans la salle de consultation où de riches patients font appel à ses services pour retrouver jeunesse ou virilité. L’irruption du nouveau conseil de gérance, scandalisé par les sept pièces qu’occupe le chirurgien dans l’immeuble, n’est résolue que par un coup de téléphone du réputé professeur Preobrajenski à quelqu’un de haut placé – il menace d’annuler toutes les opérations prévues si on vient encore le déranger.

     

    Charik n’aurait pu mieux tomber. Luxe, espace et volupté. Le chien découvre les repas raffinés du professeur en compagnie de son assistant, le docteur Bormenthal, et en même temps ses idées contre-révolutionnaires. Alors que depuis 1903, par exemple, aucun des caoutchoucs déposés dans l’entrée de l’immeuble n’avait jamais disparu, 1917 a tout chamboulé. « C’est nul, les caoutchoucs, les caoutchoucs ne font pas le bonheur, pensa le chien, mais l’homme, lui, n’est pas ordinaire. » Sans aucun doute, Charik a tiré « le superbillet de loterie de sa vie de chien », même s’il lui faut désormais porter un collier pour se promener.

     

    Tout va pour le mieux jusqu’au jour où Charik est pris au piège, enfermé dans la salle de bain, puis anesthésié. Avec l’aide de son assistant, le professeur a décidé d’expérimenter : il ôte au chien ses testicules et les remplace par d’autres, avant de le trépaner pour lui retirer son cerveau de chien et y placer une hypophyse humaine fraîchement prélevée, afin d’observer les effets de cette intervention sur le rajeunissement. Charik est à deux doigts de mourir mais s’en sort finalement, et les modifications ne se font pas attendre : une « hominisation » quasi complète ! Charik grandit, perd ses poils et se met même à parler – grossièrement. Petit et mal bâti, il se comporte comme le voyou dont on lui a transplanté des organes.

     

    Preobrajenski ne s’attendait pas du tout à cela et se trouvera forcé de faire
    l’éducation de l’énergumène, de lui procurer des papiers au nom de Charikov, de lui allouer une pièce de son appartement et enfin, de pallier les dommages causés par les restes de son instinct de canidé et le goût immodéré de l’homme-chien pour la vodka et la pensée d’Engels.

     

    Encore une fois, Boulgakov, ancien médecin, se sert de la science à des fins fantastiques et combien symboliques. Du professeur, grand amateur d’opéra et grand bourgeois attaché à la moindre de ses habitudes, et de son cobaye, grand gourmand
    et fort en gueule, difficile de dire lequel a le plus de présence tant l’écrivain les a dotés de vitalité. Au passage, la vie du citoyen soviétique à Moscou dans les années vingt
    est évoquée sur le mode ironique. En plaçant ses critiques ou son désespoir dans la bouche des personnages hors norme de cette Histoire prodigieuse, Boulgakov espérait se protéger un peu des censeurs, mais en vain.

    Malgré le succès des premières lectures publiques, les revues repoussent la publication et Cœur de chien sera longtemps proscrit en U.R.S.S. Remarquée à l’étranger dès sa traduction en 1968, la nouvelle ne rencontrera le grand public russe et le succès qu’au début de la perestroïka, en 1987. Qui sortira vainqueur de ce compagnonnage imprévu entre Preobrajenski et Charik ou Charikov, c’est aux lecteurs de le découvrir.

  • Des histoires

    « Intéressez-vous à la Chine, ce n’est pas moi qui vous dirai le contraire, mais rappelez-vous que si cette culture est fascinante, c’est pour la sagesse qu’elle a élaborée. Ses penseurs savaient qu’une anecdote est plus probante que la
    logique close d’un discours et je vous souhaite que les histoires que je vais vous rapporter vous aident à vous servir de votre intelligence pour mieux vivre, car sinon à quoi bon être intelligent ! »

     

    Jacques Pimpaneau, Lettre à une jeune fille qui voudrait partir en Chine

     

    Coupe chinoise aquarium.jpg
  • Partir en Chine

    Le titre et la quatrième de couverture de la Lettre à une jeune fille qui voudrait partir en Chine, de Jacques Pimpaneau, m’avaient laissé imaginer des conseils aux voyageurs sur les mœurs chinoises. Mais l’auteur y propose en réalité une initiation à la culture chinoise et, en particulier, au chinois classique – un voyage poétique. Déjà le trajet proposé – de la gare de l’Est à Pékin via Berlin-Ouest et Moscou – s’illustre d’une citation d’un bonze « chan » (zen) :

     

    « Qu’une route y conduise et toute route est bonne,

    A quoi bon distinguer les quatre directions ?

    La brise ne s’occupe des rustres distinctions,

    Partout sont aussi rouges les pêchers qui fleurissent. »

     

    Spilliart Arbres au printemps.jpg

     

    « Voyagez, mais sachez voyager autour de votre chambre. » Fasciné par la culture chinoise, par « la sagesse qu’elle a élaborée », l’auteur y introduit par une série d’anecdotes. « Il ne faut pas courir après les connaissances qui n’ont qu’un intérêt pratique, ni chercher la connaissance ailleurs, car si vous n’avez pas compris qu’elle est au coin de la rue ou au bord du Lubéron, vous ne la trouverez pas en Chine ou en Inde. »

     

    « Sachez vous contenter de peu. » Après nous avoir invités au calme, Pimpaneau dévoile son jeu : loin de vouloir jouer les gourous, il a trouvé un bon prétexte pour nous lire et traduire quelques poèmes de la secte chan entre le VIIe et le XIIIe siècle. Le post-scriptum sera donc plus long que la lettre même : « c’est une initiation par la poésie… seulement au chinois classique. » Les poèmes présentés seront ceux de la dynastie Tang, les plus simples, ceux que les Chinois connaissent par cœur.

     

    « Vivant comme un oisif, sur quoi disserterais-je ?

    Un bâtonnet d’encens est ce que je respire.

    Si je dors, j’ai du thé ; si j’ai faim, j’ai du riz ;

    Je marche au bord de l’eau et m’assieds face aux nuages. »

     

    Pimpaneau propose d’abord le texte, un quatrain généralement,  en « sous-titrant » chaque ligne d’idéogrammes par une traduction mot à mot. Puis il commente. On apprend que la rime est obligatoire dans un poème chinois classique, que le complément de temps se place avant le verbe, de même que le complément du nom avant le nom. Enfin, et c’est très intéressant, le lecteur découvre le texte traduit – non pas une seule version, mais plusieurs, par différents traducteurs, en français et aussi en anglais. Comparons.

     

    « L’aurore printanière

    Le sommeil de printemps ignore volontiers l’aurore,

    Cà et là, on entend partout le chant des oiseaux.

    La nuit, au bruit du vent et de la pluie,

    Combien de fleurs sont tombées sans qu’on le sache ? » (tr. Lo Ta-Kang)

     

    « Aube du printemps

    Au printemps, le dormeur surpris par l’aube,

    Entend partout gazouiller les oiseaux.

    Toute la nuit, bruit du vent et de pluie ;

    Qui sait combien de fleurs ont dû tomber ! » (tr. Tch’en Yen-hia)

     

    La nature est partout dans la poésie citée dans cet ouvrage inclassable. Le pin, le bambou et le prunus sont des arbres « amis de l’homme » : ils lui tiennent compagnie en hiver, ce qui en fait des symboles d’amitié. De petits dessins à la plume – une branche, un pont, un couple, des oiseaux, un ermite, des papillons – égaient les pages de temps à autre.

    Entraînée malgré moi dans cette aventure poétique à laquelle je ne m’attendais pas, j’avoue ne pas avoir suivi l’auteur à la lettre. « Après avoir lu ces poèmes, apprenez-en un par cœur chaque semaine et soyez capable de le réciter et de l’écrire. Vous ne vous en repentirez pas. » Jacques Pimpaneau ne manque pas d’humour – « en espérant que cette lettre vous sera plus utile qu’un cure-dent à un chat qui vient de manger un poisson ».

  • Pour le mieux

    « Personne ne se consacre à une activité en cherchant dès le départ à accomplir quelque chose de merveilleux. Même quand c’est au-delà de nos capacités, on avance vers un but en s’efforçant de faire pour le mieux, c’est ainsi que les gens progressent. Et c’est ça qui fait avancer le monde. Je me demande si l’art, ce n’est pas ça aussi. »

     

    Haruki Murakami, Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil

     

    Vitrail du mémorial Kongolo à Gentinnes (détail).JPG