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  • Portraits en touches

    Seurat et Signac sont les représentants majeurs de la peinture « divisionniste » (ou « pointilliste ») à la fin du XIXe siècle. Leurs paysages nous sont plus familiers que leurs portraits. C’est pourtant le thème original de l’exposition « To the point » à l’Espace ING à Bruxelles (Place Royale, en face du musée Magritte). 

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    Georges Lemmen, Les deux soeurs ou les soeurs Serruys, 1894 (détail pour l'affiche) 

    Deux spécialistes américaines ont exploré cette thématique du portrait en vue d’une exposition au musée d’art d’Indianapolis (IMA), « Face to face », en juin prochain. Celle de Bruxelles, en « première mondiale », fait la part belle aux artistes belges qui ont suivi Seurat en juxtaposant sur la toile de petites touches de couleurs primaires et complémentaires. 

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    Les Français ouvrent le bal, avec un magnifique tableau de Signac jamais montré ici, Portrait de ma mère (collection privée) : près de la mer où vogue un voilier blanc, accoudée au dossier d’une chaise de jardin, elle baisse les yeux sur l’œillet qu’elle tient à la main. A côté, un beau portrait au crayon Conté de Paul Signac en haut de forme par Georges Seurat, celui qui a ouvert la voie avec « Une après-midi à l’île de La grande Jatte ». 

    En 1886, dans la revue bruxelloise L’art moderne, le critique Félix Fénéon est le premier à parler de « néo-impressionnisme » pour caractériser la technique divisionniste. D’autres peintres l’adoptent : Maximilien Luce, Pissarro dans un bel Intérieur d’atelier (IMA) qui n’est pas vraiment un portrait, ou des artistes moins connus comme Albert Dubois-Pillet, officier et peintre autodidacte, Henri Delavallée et son étonnant Groom ou Cireur de bottes, et Achille Laugé surtout, avec plusieurs toiles fascinantes. Son Contre-jour, portrait de la femme de l’artiste, est un autre coup de cœur. Derrière elle, des roses trémières, un paysage, un saule, dans une lumière vibrante. 

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    Pour introduire à la deuxième partie de l’exposition, axée sur les divisionnistes belges, une centaine d’affiches et de reproductions rappellent l’effervescence des avant-gardes en Belgique de 1883 à 1904 : Les Vingt à Bruxelles, L’Association pour l’Art à Anvers, dans une moindre mesure, puis La Libre Esthétique. (Des artistes à retrouver au Musée Fin de siècle, si vous avez toute la journée libre.) 

    Trois noms émergent ici : Henry Van de Velde, Théo Van Rysselberghe et Georges Lemmen. Van de Velde est bien représenté avec Portrait d’une femme venu de Berlin, Femme à la fenêtre d’Anvers, et deux toiles plus petites, des portraits de lecteurs : le Père Biart lisant au jardin (IMA) et le Portrait de Laurent à Blankenberghe (Bruges), son plus jeune frère.  

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    Si le nom de Georges Lemmen vous est moins connu, vous le découvrirez avec de merveilleux dessins « intimistes », trois portraits d’Aline Maréchal, sa future épouse, qu’on retrouve sur un portrait à l’huile du musée d’Orsay, et une étonnante évocation de Loïe Fuller – une vidéo, tout près, montre ses « Danses serpentines », spectaculaires variations de formes et de couleurs.  

    Des écrans tactiles interactifs font apparaître, à partir de visages en médaillon, une notice, des textes, des images qui éclairent les relations entre ces personnes, et aussi, projetées sur le mur, des lignes qui relient leurs résidences en Europe – un « who's who » informatisé qu’on aimerait voir un jour en ligne. 

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    En dernière partie, Van Rysselberghe, le principal portraitiste parmi les néo-impressionnistes belges. D’abord son amitié avec Verhaeren, dont il a peint plusieurs portraits – et aussi celui de Marthe Verhaeren-Massin (au bouquet de jonquilles). Dans une vitrine sont exposés des photos et des objets du cabinet de travail de Verhaeren, qui possédait de petits bronzes de Minne. On voit sur son bureau une grenouille en bronze présentée comme le symbole des XX – on sait combien Verhaeren a soutenu l’art moderne de sa plume. La fameuse Lecture de Van Rysselberghe, absente, est évoquée sur écran.  

    Un autre cadeau de cette exposition, c’est la présentation côte à côte des trois magnifiques portraits par Van Rysselberghe des sœurs Sèthe, filles d’un industriel ucclois ouvert aux arts, à la musique et à la littérature : Alice devant un miroir, en 1888 ; Maria à l’harmonium (l’épouse de van de Velde), en 1891 ; et Irma au violon, en 1894. 

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    Bien introduit dans la bourgeoisie, Van Rysselberghe a peint de nombreux portraits aux décors raffinés. Certains sont particulièrement expressifs comme celui de Claire Demolder (fille de Félicien Rops, l’épouse d’Eugène Demolder signait ses dessins et illustrations du pseudonyme Etienne Morannes). 

    Je vous laisse la surprise des « vidéofilms » intrigants de Paul Hendrikse et vous renvoie à l’article de Guy Duplat si vous voulez en savoir davantage. Dans le « studio » expérimental aménagé au sous-sol, on peut se familiariser de façon amusante avec la physique des couleurs, et un atelier est prévu pour les enfants. 

  • Du temps

    Dans l'eau qui coule à petit bruit,
    Dans l'air du temps qui souffle à petit vent,
    norge,oeuvres poétiques,littérature française,belgique,écrivain belge,poésie,langage,cultureDans l'eau du temps qui parle à petits mots
    Et sourdement touche l'herbe et le sable ;
    Dans l'eau du temps qui traverse les marbres,
    Usant au front le rêve des statues,
    Dans l'eau du temps qui muse au lourd jardin,
    Le vent du temps qui fuse au lourd feuillage
    Dans l'air du temps qui ruse aux quatre vents,
    Et qui jamais ne pose son envol,
    Dans l'air du temps qui pousse un hurlement,
    Puis va baiser les flores de la vague,
    Dans l'eau, dans l'air, dans la changeante humeur
    Du temps, du temps sans heure et sans visage,
    J'aurai vécu à profonde saveur,
    Cherchant un peu de terre sous mes pieds,
    J'aurai vécu à profondes gorgées,
    Buvant le temps, buvant tout l'air du temps
    Et tout le vin qui coule dans le temps.

    NorgeCris  (La belle saison, 1973)

  • Les mots de Norge

    « Lorsque des familiers de Norge se donnent la joie de révéler son œuvre à des amis qui l’ignorent encore, ils se trouvent tellement habités par leur sujet qu’ils cherchent à tout dire à la fois du poème et du poète. » Ainsi commence l’introduction de Jean Tordeur au gros volume des Œuvres poétiques (1923-1973) de Norge publiées chez Seghers en 1978. 

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    Je suis parfois surprise que de grands écrivains belges de langue française, comme Marie Gevers dont j’ai parlé récemment, soient inconnus hors de Belgique, même de nom. Est-ce dû à cet étiquetage fallacieux de littérature « francophone » qui pose une frontière entre la littérature française de France et celle d’ailleurs ?

    Né à Bruxelles, Georges Mogin dit Géo Norge (1898-1990), d’abord voyageur de commerce, – dans le textile et non le bois, comme Marcel Thiry, autre poète marchand – a passé la seconde moitié de sa vie en France, dans le Midi, où il s’est installé définitivement comme antiquaire à Saint-Paul de Vence. Bruxelles, le Hainaut, l’Ardenne, le paysage méditerranéen l’ont inspiré, mais surtout le langage, son royaume. 

    Dans ses Œuvres poétiques, le tout premier poème annonce la couleur : Norge joue avec les mots, le rythme, mêle humour et sérieux, sentiments et saveurs.

    La pêche du poème

    Leurre comme tout et tous
    mais je goûte quand même
    belle,
    la belle tentation de dire.

    O, si confusément tiré des limbes
    cérébraux : poème :
    poisson un peu étrange
    et féerique à travers
    les rutilances de l’aquarium
    et le cohue de l’eau.

    Scintille et sois né !

    Or, voici la phrase – illusion optique –
    si fièrement et drôlement indigente
    et non dite.

    (27 Poèmes incertains, 1923) 

    De petits traits au crayon, des croix, marquent dans la table des matières de ce gros recueil tout blanc les poèmes les plus souvent relus. C’est sur ces traces que je vous entraîne – que dire d’un poète sinon de se mettre à son écoute ?

    Réveil

    Le petit jour poreux
    qui efflue,
    réhabite
    nos vitreuses pensées

    On s’entoge encore une fois
    du faux habit de soi-même.

    On replâtre le masque d’hier
    à ce visage trop frileux
    de sa nudité.

    On reprend sa vie – pliée
    sur un fauteuil
    au pied du lit –
    comme un vêtement qu’on soigne.

    On inventorie la risqueuse
    monnaie des paroles qu’il faudra dire,

    la trouble marchandise
    des gestes qu’il faudra faire.

    Pour demeurer la dupe
    de son signalement.

    Et chacun trouve naturel
    de n’être pas devenu
    un autre.

    (Plusieurs malentendus, 1926)  

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    http://www.musicme.com/#/Norge/albums/Jeanne-Moreau-Chante-Norge-5060281616180.html

    Jeanne Moreau a chanté Norge. Plus d’un poème chante ou se dit chanson : chansons gaies, chansons graves, aux titres terre à terre ou plus secrets. Vers courts et vers longs, vers libres, poèmes en prose, hors des modes et des conventions en tous genres.

    Les pigeons

    Les paroles de Lucie, c’était comme un lâcher de pigeons. De pigeons blancs. Je les regardais monter dans le bleu du ciel ; la lumière jouait sur leurs plumes. Par trois, par six, par dix, ils tournaient, ils filaient dans toutes les directions. Et ces mouvements d’ailes !  Alors, vous ne répondez pas ? dit-elle. Moi, j’admirais, j’étais charmé. Comment ? Il fallait écouter aussi ! Et répondre.

    (Les Oignons, 1956)  

    Servez-vous au buffet : sa poésie est diverse. Pour faire connaissance avec Norge, Remuer ciel et terre est une bonne anthologie de poche. Rappelez-vous : Colo vous en a proposé quelques poèmes et les a même traduits en espagnol, à relire sur Espaces, instantsVous trouverez Norge aussi en Poésie/Gallimard. 

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    Pour finir

    Le savez-vous, chez ce peuple d’oiseaux,
    La mode fut qu’on se coupât les ailes ;
    Pourquoi de l’aile, on ne volait plus guère,
    On mangeait trop et l’on marchait si peu
    Que pour finir on se coupa les pattes.
    Quant à chanter, le fait devint si rare
    Que pour finir, on se coupa la gorge.

    (Bal masqué parmi les Comètes, 1972)

  • A vie

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    « Les vendeurs bibliophiles pur jus – comme Sophie et moi l’étions – sont incapables de mentir. Nos visages nous trahissent immédiatement. Un sourcil arqué ou un coin de lèvre relevé suffit à trahir le livre honteux, et incite les clients futés à demander autre chose. Nous les conduisons alors vers un opus précis que nous leur ordonnons de lire. S’il leur déplaît, ils ne reviendront jamais. S’ils l’apprécient, ils seront clients à vie. »

    Mary Ann Shaffer & Annie Barrows, Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates

     

     

     

  • Juliet et le Cercle

    Le « Cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey » a déjà tant fait parler de lui que je vous en épargne le résumé. 

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    Les raisons pour lesquelles je ne l’avais pas encore lu ?

    Le titre. La traductrice Aline Azoulay l’a raccourci en français : Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates – ça reste racoleur. J’imagine les alternatives écartées : Le Cercle littéraire de Guernesey (rien à se mettre sous la dent), Les amateurs de livres et de tourtes (un peu tarte), Le Cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de pommes de terre (trop de « de »), etc.

    On en parlait partout : le livre de Mary Ann Shaffer et d’Annie Barrows a figuré longtemps sur la liste des meilleures ventes. J’ignorais que c’était l’unique roman de cette Américaine, décédée en 2008, l’année de sa publication, un roman écrit en collaboration avec sa nièce, auteure de livres pour enfants.

    Des raisons de lire ce livre ?

    Il nous mêle gentiment à la vie quotidienne des habitants de Guernesey pendant et après la seconde guerre mondiale. Mary Ann Shaffer a visité Jersey en 1976 et s’est intéressée à l’histoire des îles anglo-normandes, méconnue à l’extérieur. Ce Cercle est né sous l’Occupation allemande, dans des circonstances qui éclairent son appellation biscornue. 

    C’est un roman épistolaire très accessible : des lettres de quelques pages, des billets courts (aujourd’hui, ce seraient des courriels). Il s’ouvre sur une lettre de Juliet Ashton, une Anglaise dans la trentaine, à son éditeur et ami Sidney Stark, qui a rassemblé ses chroniques sous le titre « Izzy Bickerstaff s’en va-t-en guerre ». Le recueil se vend très bien, beaucoup mieux que sa biographie d’Anne Brontë. De janvier à septembre 1946, il sera son interlocuteur privilégié.

    Le ton : une conversation familière. Le lecteur est tout de suite dans le coup, les personnages sont bien campés, et Juliet ne manque pas d’humour. Je ne suis pas sûre qu’on s’exprimait dans ces termes il y a cinquante ans, mais l’effet de rapprochement est réussi, l’immersion rapide.

    Un cercle littéraire, c’est bien sûr un bon appât pour les amateurs de livres. Mais aussi pour les autres, on le verra. A Guernesey se rassemblent des apprentis lecteurs dont la vie n’a rien à voir a priori avec la sphère littéraire, ce qui fait le sel de leurs réunions à la fortune du pot.

    Juliet va découvrir peu à peu leurs rites, leur histoire, leur vie, grâce à Dawsey Adams, un adorateur de Charles Lamb. Celui-ci lui écrit après avoir trouvé son nom au verso de la couverture d’un vieux livre de « morceaux choisis ». Par Dawsey, nous ferons connaissance avec Elizabeth, la fondatrice du Cercle, véritable pivot de l’histoire, bien qu’on ait perdu sa trace depuis la guerre.

    De mystérieux envois de fleurs à Juliet, son indécision sentimentale qu’elle ne confie qu’à Sophie, sa meilleure amie, sa curiosité pour les membres du Cercle de Guernesey, un livre ou un article à écrire, voilà les ingrédients romanesques. Ce serait pure eau de rose si Mary Ann Shaffer et Annie Barrows n’y insufflaient fantaisie et sympathie. 

    Vous avez lu Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates ? N’hésitez pas à compléter ce billet par vos impressions ou par un lien, si vous avez écrit sur ce roman. Vous ne l’avez pas lu ? Il est disponible en 10/18 et vous procurera un bon moment, quelle que soit votre île, surtout si vous cherchez à vous détendre et à vous distraire un peu. Lecture pour tous.