J. M. G. Le Clézio présente Avers. Des nouvelles des indésirables (2023) en ces termes : « Pour moi, l’écriture est avant tout un moyen d’agir, une manière de diffuser des idées. Le sort que je réserve à mes personnages n’est guère enviable, parce que ce sont des indésirables, et mon objectif est de faire naître chez le lecteur un sentiment de révolte face à l’injustice de ce qui leur arrive. » (Quatrième de couverture)
Baie aux huîtres, Ile Rodriguez, Maurice (Océan Indien), photo Wikimedia Commons
Avers, la première nouvelle éponyme, la plus longue, a pour héroïne Maureez Samson, la fille d’un pêcheur mauricien. Sur sa pirogue, la dernière lettre de Maureen avait coulé et formait une sorte de « z », il avait trouvé cela joli et l’appelait désormais Maureez. Quand son père ne revient pas à la baie Malgache, Maureez (dont la mère est morte à sa naissance) est livrée à la méchanceté de Lola, la compagne de son père bientôt remplacé par Zak, un buveur de bière. Il l’attire à lui, Maureez s’échappe. Errante, elle se met à grossir, à inventer un langage chantant pour s’adresser à Bella, une amie imaginaire, une présence qu’elle ressent à ses côtés.
Un vieux pêcheur qui a connu son père l’abrite, mais quand Lola et Zak retrouvent la trace de Maureez, il la met en sécurité à Baladirou, au refuge du Cœur saint de Marie sur la falaise. Les sœurs l’y accueillent bien, mais pas les autres filles. La chance de Maureez, c’est sa voix : elle fera merveille à la chorale, mais à nouveau, elle devra s’enfuir. « Il est question dans cette nouvelle-titre d’une pièce d’or, qui passe de main en main… Le nom de sa propriétaire ne figure pas sur l’avers, mais elle est le symbole de la recherche d’identité de Maureez, et le seul lien qui l’unit à son père disparu en mer. » (Le Clézio, dans un entretien)
S’enfuir, se cacher, se débrouiller, c’est aussi le sort de deux enfants échappés d’un camp d’enfants esclaves en Amérique latine dans « Chemin lumineux » ou des gamins de « La Pichancha » (nouvelle publiée dans un recueil d’Amnesty International sous le titre « Rats des rues »). A Nogales, sur la frontière américano-mexicaine, ces gamins passent par les égouts pour aller chaparder de quoi subsister chez les gringos, de l’autre côté.
« Fantômes dans la rue » se déroule à Paris, où l’on observe différents « êtres humains » comme Renault, un ancien employé des Ressources Humaines devenu clochard, comme Aminata, une Africaine qui vient en aide à un vieil homme qui n’a pas de quoi payer son pain, comme le fantôme du métro, une silhouette en longue robe claire qui passe tous les soirs entre le pont Saint-Michel et Babylone. Le Clézio a choisi un point de vue original pour raconter ces scènes drôles ou tristes, ce n’est qu’à la fin qu’il le dévoile et c’est très fort, cela donne à penser.
Avers contient des nouvelles inédites et d’autres déjà publiées dans des revues. Toutes sont centrées sur des personnages en situation difficile : un ouvrier maghrébin sur chantier qui partage une chambre avec deux frères (« L’amour en France ») ; des enfants qui fuient la guerre au Liban (« Hanné ») ; Yoni, au Panama, qui se réfugie dans la forêt, y retrouve les siens avant d’en être chassé par les narcotrafiquants (« Etrebbema »).
« La rivière Taniers » s’inspire d’un souvenir ancien, « si ancien qu’il pourrait simplement avoir été inventé. » (première phrase) Le Clezio y évoque Nice, sa ville natale, où il habitait enfant avec sa mère et ses grands-parents. Quand la sirène d’alarme retentissait, pendant la guerre, son grand-père refusait de descendre à la cave. Sa grand-mère, pour rassurer l’enfant, lui chantait une chanson créole :
« Waï waï mo zenfant
Faut travail pou gagne so pain
Waï waï mo zenfant
Faut travail pou gagne so pain »
Cette chanson des esclaves mauriciens, c’est Yaya, « la vieille nénéne de mon grand-père », fille d’esclave, qui la lui chantait. « Elle, Yaya, qui la connaît vraiment ? Savait-on d’où elle venait, sur quel bateau arrachée aux derniers trafiquants, les Morice, Malard, Samson, Surcouf, et offerte aux planteurs de canne à sucre et de tabac, pour illustrer leurs maisons à colonnades et péristyles, leurs palais de bois peints en blanc au milieu de leurs jardins de bambous et de jamlongues, leurs bassins et leurs cascades. »
La chanson, la musique, les sonorités des langues sont très présentes dans les textes de ce recueil. « Yaya avait sa vie, mais qui s’en est soucié ? » Cette question vaut au fond pour tous les personnages d’Avers, ces « indésirables » de la société à qui Le Clezio s’est attaché, dans ces récits, à rendre leur humanité, dénonçant l’injustice sous toutes ses formes et la terrible indifférence envers ces gens « qu’on voit mais qu’on évite » (Entretien sur France Culture).
Commentaires
Je n'apprécie pas trop les nouvelles mais. là on fait le tour du monde des "indésirables". Je le note car on sent à travers toutes ces injustices comme tu le dis de l'humanité.
Comme toi, je lis peu de nouvelles, mais Le Clézio s'attache à ses personnages et réussit à nous intéresser à leur situation en évitant tout misérabilisme.
C'est un auteur que j'apprécie beaucoup même si je le lis moins en ce moment je le reconnais. Je n'aime pas trop lire des nouvelles sauf dans de rares périodes où j'ai du mal à me concentrer mais je le note au cas où ce que tu dis de ce recueil me tente beaucoup. Merci
On ne peut tout lire ni lire tout le temps, je le comprends bien, Manou.
J'aime lire des nouvelles, mais j'ai un peu de mal avec le style de Le Clézio. J'ai essayé plusieurs fois, sans réellement accrocher à ce qu'il écrit. Pourtant, je m'intéresse aux histoires qu'il raconte, ouvertes sur le monde. Ici celui que l'on appelle aussi "les invisibles".
Certains lui reprochent une écriture trop lisse. Les émotions sont chez lui sous-jacentes au texte : il décrit, raconte, fait parler les faits, les gestes, les situations. Je sens un grand respect d'autrui dans cette approche empathique plutôt que sentimentale, comme dans sa manière de parler d'ailleurs.
j'aime beaucoup Le Clézio mais je ne suis pas fan du tout de nouvelles alors je passe mon tour
Tu ne manques pas d'idées de lecture, je le sais. Bonne journée, Dominique.
J'aime les nouvelles, la 1° ere me trente assez. J'ai lu beaucoup de titre de Le Clézion, j'ai mieux aimé les 1°...A suivre, pour moi!
bon week-end de lecture!
Tu as vu que tu peux lire le début de cette nouvelle sur le site de l'éditeur ? Merci & bon week-end, Anne.