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Congrégation d'âmes

Troisième volet de la trilogie signée Jon Kalman Stefansson, après Entre ciel et terre puis La tristesse des anges, Le cœur de l’homme est peut-être le plus attachant des trois romans (traduits de l’islandais par Eric Boury). Comme dans les précédents, les histoires racontées par des défunts errants naviguent entre vie et mort, lumière et ténèbres.

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Le gamin islandais a donc survécu au long et périlleux voyage raconté dans La tristesse des anges. Quand il émerge d’une zone floue entre rêve et réel, sans parvenir à ouvrir les yeux, une jeune fille rousse est à son chevet et l’embrasse pour voir s’il est vivant ou mort – « Où est la vie, si ce n’est dans un baiser ? » Jens et lui sont donc bien arrivés à destination, le médecin de Sléttuery les a recueillis après leur chute accidentelle. Alfheidur (les cheveux roux) lui sert à manger. Le gamin doit reprendre des forces et raconter leur fameux voyage.

Jens, plus mal en point, est décidé à démissionner. Le gamin se souvient qu’il a des livres à acheter – « Où résident le bonheur et la plénitude si ce n’est dans les livres, la poésie et la connaissance ? ». L’Espoir le ramènera chez lui, dans la maison de Geirbrudur, où il recevra l’éducation qu’elle lui a promise. Au mois de mai, hanté par le souvenir des cheveux roux, il court dix kilomètres tous les jours, souvent le soir avant la lecture au salon.

A cette saison, presque tous sont à la besogne avec le poisson. Mais quelque chose d’inattendu s’est produit en leur absence : Andréa l’attend, elle a quitté Pétur, comme le gamin le lui avait conseillé par écrit. Une lettre a donc ce pouvoir ! « Je m’appartiens », a-t-elle répliqué quand son mari lui a interdit de partir. Elle travaille à la buvette de Geirbrudur, qui l’a prise sous sa protection.

Gisli, le directeur d’école, enseigne le gamin, comme prévu, et l’interroge. Les réponses de son élève font souvent mouche. Quand il lui demande ce que signifie « se trahir soi-même », le gamin répond : « Ne pas oser. » D’autres questions lui arrivent dans une lettre écrite par Ragnheidur, la fille de Fridrik : « Ton cœur bat-il encore ? Et si oui, comment ? » Elle pense parfois à lui !

Alors que le riche Fridrik surveille tout et tous (cinq cents personnes travaillent pour lui), Geirbrudur reçoit un capitaine étranger très amoureux d’elle, tout en veillant à ce que le gamin traduise Shakespeare au mieux pour Kolbeinn, le vieux capitaine aveugle qui vit chez elle. « Il y a beaucoup de force dans ce texte » déclare-t-elle quand il leur lit les cinq pages traduites. Le gamin est tout heureux de ce compliment, il a le sentiment d’avoir enfin « accompli quelque chose ».

Des drames ne manqueront pas de survenir. En outre, les calomnies vont bon train à l’égard de Geirbrudur. Elle monte à présent son cheval à califourchon, on l’accuse de forniquer avec le diable, avec ses longs cheveux noirs comme des ailes de corbeau. Cette maîtresse femme est trop libre pour la plupart des villageois et surtout pour Fridrik, qui veut acquérir son bateau et exige qu’elle se range.

Le gamin est du côté de sa protectrice et pense avec elle que « nous avons le devoir de vivre debout, on ne saurait vivre autrement ». Fridrik l’a pris en grippe depuis que sa fille a prononcé son nom, il lui interdit d’approcher Ragnheidur avant qu’elle s’en aille à Copenhague. Arrivera-t-il à leur imposer sa loi, comme il le fait avec tous ? Vers laquelle des deux jeunes filles qui le troublent ira ce gamin islandais passionné des mots, d’écriture et de littérature ?

A rebours du personnage de femme fatale, Geirbrudur est bien la figure phare de la trilogie, « une femme dans un univers d’hommes ». Comme l’écrit Stefansson, c’est elle, cette femme indépendante et généreuse, « qui conduit ces âmes, cette étrange congrégation d’âmes ». A la différence de ceux pour qui « la vie n’est que malheur », elle considère que la vie est difficile, mais qu’il existe des personnes courageuses qui résistent.

Entre ciel et terre – La tristesse des anges – Le cœur de l’homme : Jon Kalman Stefansson nous fait découvrir l’Islande, son climat, des villages où tout tourne autour de la pêche et du commerce, à travers des personnages bien campés et bien plus nombreux que ceux cités ici. Les hommes y ont plus de pouvoir que les femmes, les enfants y apprennent trop tôt la proximité entre vie et mort. Le cœur bat là aussi pour ce qui dépasse les humains et donne du sens à leur passage sur terre : l’amour de l’autre, le pouvoir des mots, des histoires qui relient les êtres, la beauté qui peut surgir même là où on ne l’attendait pas.

Commentaires

  • Tu me pousses à divulgâcher, moi qui tente d'en dire assez mais pas trop ?

  • J'adore ta conclusion qui définit bien ce que, ce qu'écrit cet IMMENSE auteur:
    "Le cœur bat là aussi pour ce qui dépasse les humains et donne du sens à leur passage sur terre : l’amour de l’autre, le pouvoir des mots, des histoires qui relient les êtres, la beauté qui peut surgir même là où on ne l’attendait pas."......C'et tout cela, Stefansson!

  • Merci, Anne & bon week-end.

  • cette trilogie est splendide, pour ma part c'est le premier que je préfère je crois mais bon c'est d'un cheveu

  • C'est vrai que le premier nous ouvre tout un monde.

  • Lecture toujours en projet ; je crois que la meilleure solution est que j'en achète un, pour l'avoir sous le coude au moment précis où j'aurai envie d'entamer la trilogie.

  • Les trois titres sont repris dans la collection Folio, pour le jour où tu auras envie de découvrir "Entre terre et ciel".

  • "Quand il lui demande ce que signifie « se trahir soi-même », le gamin répond : « Ne pas oser. » " C'est beau ! L'Islande est un pays qui enfante des écrivains de haute voltige, leur langue est d'une grande force comme leur territoire, j'aime énormément. Merci Tania, doux après midi, je t'embrasse. brigitte

  • "Gisli : Ha, bon, voilà, mais quoi, ne pas oser quoi ?
    Le gamin : Vivre. Ne pas oser parler. Ne pas oser avoir peur. Ne pas oser se battre et triompher des ... des tempêtes qui nous agitent."
    Je découvre cette littérature avec Stefansson, as-tu d'autres écrivains de là-bas à me conseiller ? Un baiser pour toi en retour.

  • Merci Tania, cette trilogie semble passionnante. J'ai, depuis quelques temps dans la pile "encore non lu" "Lumière d'été, puis vient la nuit" que m'avait conseillé la libraire. D"une grande beauté, m'avait-elle dit.
    Bon dimanche !

  • Merci pour ce titre, Claudie. Je l'ajoute à ma liste.

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