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Pourquoi elle écrit

Je referme Dévotion (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, 2018) avec un sentiment ambivalent : Patti Smith n’y atteint pas la grâce de ses textes précédents, mais j’aime ce qu’elle raconte ici de l’écriture. C’est son véritable sujet, montrer pourquoi et comment elle écrit. Le choix des photographies qui accompagnent ses textes le montre clairement : en frontispice, une photographie de manuscrit ; trois pages de sa main pour terminer (« Ecrit dans un train »).

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Vidéo : « Patti Smith sous influence française » (Entrée libre, 21/12/2018)

Le préambule l’annonce : « L’inspiration est la quantité imprévue, la muse qui vous assaille au cœur de la nuit. La flèche vole et on n’est pas conscient d’avoir été touché, on ignore qu’une multitude de catalyseurs, étrangers les uns aux autres, nous ont clandestinement rejoint pour former un système à part, nous inoculant les vibrations d’un mal incurable – une imagination brûlante – à la fois impie et divin. »

« Esprit, mode d’emploi » s’ouvre sur la bande-annonce d’un film, Risttuules : La croisée des vents, « le requiem de Martti Helde pour les milliers d’Estoniens déportés en masse dans les fermes collectives de Sibérie au printemps 1941. » Ces images font naître une « ligne mentale » vers « une forêt de sapins, un étang et une petite cabane en bois ». Quelque chose d’autre en sortira.

Elle lit Accident nocturne de Modiano, emporté au café du coin le lendemain matin. Voilà le fil conducteur de Dévotion : un voyage en France où elle est invitée par son éditeur français, des « rencontres avec des journalistes pour parler écriture. » Dans sa valise, un livre sur Simone Weil et Un pedigree de Modiano.

A Saint-Germain-des-Prés, les souvenirs d’un voyage avec sa sœur en 1969 – elles avaient vingt ans – se mêlent à ses promenades, sur les traces des écrivains français, déjà. Sur l’écran, dans sa chambre d’hôtel, elle regarde du patinage artistique, soufflée par une patineuse russe de seize ans d’une concentration absolue – « Dans mon sommeil, le génie combine, régénère. […] J’escalade le flanc d’un volcan sculpté dans la glace, la chaleur émanant du puits de dévotion qu’est le cœur féminin. »

Visite chez Gallimard. Marches dans Paris. Voyage avec un ami à Sète, où ils cherchent la tombe de Valéry. Sur une tombe ancienne, elle remarque le mot français « DEVOUEMENT » que son ami lui traduit par « Dévotion » (sic). Vous l’avez compris, le mot du titre fait son chemin dans le récit.

Patti Smith passe d’une chose à l’autre, traversée par des émotions de lectures ou de choses vues. « Le plus souvent, l’alchimie qui produit un poème ou une œuvre de fiction est dissimulée dans l’œuvre elle-même, voire incrustée dans les stries enroulées de l’esprit. » Ainsi naît « Ashford », un poème sur la tombe de Simone Weil. Ensuite vient « Dévotion », l’histoire d’une jeune fille remarquée par un homme dans la rue, qui la suit dans le tramway puis à pied jusqu’à un étang gelé près d’un bois, où il la regarde chausser des patins à glace et évoluer avec un art surprenant.

Ainsi commence cette nouvelle, l’histoire d’Eugenia, qui a grandi là tout près avec sa tante Irina. Peu avant ses seize ans, celle-ci l’a laissée seule. Plus rien ne compte pour elle que l’art de patiner. Elle en parle dans son journal intime où elle reconstitue aussi son passé : fille d’un professeur d’université, elle est née dans une maison « avec un superbe jardin dont [sa] mère s’occupait avec une grande dévotion. »

Avant d’être expulsés de leur village, pressentant le danger, ses parents l’ont confiée à la belle Irina, la jeune sœur de sa mère, qui allait quitter le pays avec un homme « deux fois plus âgé et très riche ». Après la mort de celui-ci, Irina et Eugenia se sont installées dans une maison reçue en héritage, à la lisière de la forêt. Eugenia, à son tour, est aimée par un homme « transpercé » par sa grâce, qui lui offre des cadeaux puis l’emmène avec lui. Un conte d’amour et de mort.

« Un rêve n’est pas un rêve » reprend la question : « Pourquoi est-on poussé à écrire ? » Patti Smith raconte en huit pages son voyage à Lourmarin, à l’invitation de Catherine, la fille de Camus, qui lui offre l’hospitalité. Un très beau cadeau lui est fait là, qui mène à une réponse. Ces pages-là sont superbes.

Dans Diacritik (un entretien où tout est révélé, je vous le déconseille si vous envisagez de lire Dévotion), Patti Smith résume son livre ainsi : « C’est quelque chose que j’ai aussi appris du Jeu des perles de verre de Hermann Hesse, qui est un de mes livres préférés. C’est un jeu d’interconnexions avec des étapes, des pierres de gué qui peuvent être des notes de musique, des mots, des images qui se développent et étendent la conscience et la sensibilité des joueurs, sans recours aux drogues… J’adore ces connexions et c’est vraiment le sujet de Dévotion. »

Commentaires

  • Je n'ai toujours pas lu Patti Smith. Ce n'est donc peut-être pas avec celui-ci qu'il faudrait commencer.

  • Pour faire connaissance, je conseillerais "Glaneurs de rêves".

  • Vraiment ? Pour ma part, je suis enchantée par la lecture de ses livres précédents, c'est le premier qui me laisse un peu sur ma faim.

  • Tu en avais parlé, oui, je m'en souviens - tant mieux. Je n'aime pas ce titre, "Dévotion" ; bien que le mot revienne régulièrement dans ce livre, il ne me semble pas tout à fait approprié en français.

  • Ce que tu dis de l'écriture vue par Patti Smith (qui me laisse dubitative...) me fait penser à 2 livres lus récemment, du même auteur Laurence Nobécourt qui parle de la nécessité d'écrire.. j'avais failli abandonner le chagrin des origines (trop égocentriste) et puis, la fin, sur l'écriture m'a passionnée! (Le 2° plus réussie: La vie spirituelle)
    Quant au jeu des perles de verre dont parle Patti Smithe...je n'ai pas pu le finir, pourtant j'aime Herman Hesse......
    Bises à la grande lectrice éclectique que tu es!

  • Je n'ai encore rien lu de Laurence Nobécourt. L'égotisme me paraît inévitable chez les artistes, Patti Smith le reconnaît elle-même dans "M Train" : "Je ne suis pas très observatrice. Mes yeux semblent se tourner vers l’intérieur." Son regard sur ce qui l'entoure sort des sentiers battus, j'aime ça. Merci, Anne.

  • Je n'ai rien lu d'elle moins aussi. Je fais mien le conseil que tu donnes à Aifelle.
    Merci Tania ! Je te souhaite une belle fin de semaine !

  • C'est une voix d'artiste singulière que j'aime retrouver, ses textes sont toujours accompagnés de photos en noir & blanc qui expriment bien son univers. Bonne journée, Claudie.

  • Merci pour tous les liens qui m'ont fait visiter un de vos précédents billet sur les cafés puis sur M Train et enfin une interview. Je n'ai lu que Just Kids que j'avais beaucoup aimé. M Train semble en être la suite. Je vais plutôt poursuivre par celui-ci.

  • Bonne lecture de "M Train", Zoë. Cela me fait plaisir que les liens soient utiles.

  • Je savais qu'elle publie mais je ne me suis jamais penché sur ses livres. Ce qui est dit sur celui-ci ne m'encourage pas vraiment, je vais plutôt "glaner" ;-) du côté des premiers ! Merci de l'éclairage en tout cas, comme toujours !

  • Glanez, glanez, K, merci.

  • Moi aussi, j'adore ces connexions, j'adore en chercher les sources, elles enrichissent la vie. J'aime beaucoup le moment de lecture des livres de Patti Smith, mais je n'en garde pas toujours le souvenir. Je vais vérifier si j'ai lu ce titre. Merci Tania, j'ai repris l'air hier et cela fait du bien. Bises, pluvieuses aujourd'hui... brigitte

  • Effectivement, Brigitte, Patti Smith se tient à l'affût des pépites qui se présentent à elle, plus poète que narratrice, il me semble, ce qui fait qu'on n'a pas vraiment d'histoire à se rappeler, mais qu'on la lit comme si sa voix nous faisait ressentir sa façon d'appréhender les choses.
    Très heureuse d'apprendre que tu ressors. Ici aussi il pleut, juste quelques courses tout près avec le parapluie.

  • Moi non plus je n'ai jamais rien lu d'elle. A-t-elle écrit des poèmes ? Je vais chercher.
    Glaneurs de rêves me tente bien, merci.
    Pluies ici aussi, je vais glaner les oeufs dans la boue, ouinnnn

  • Oui, bien sûr, elle en écrit, elle en dit, elle en chante, elle en insère dans la plupart de ses livres (comme le poème "Cloche" que j'avais repris dans "Glaneurs de rêves"). Terres de femmes avait présenté un poème de son recueil "Présages d'innocence" : https://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2008/06/patti-smithwild.html

  • Merci, poèmes-chansons....celui de Terre des femmes est déchirant...tiens je vais le mettre:

    ANIMAUX SAUVAGES


    Est-ce que les animaux crient comme les humains
    quand leurs êtres aimés chancellent
    pris au piège emportés par l’aval
    de la rivière aux veines bleues

    Est-ce que la femelle hurle
    mimant le loup dans la douleur
    est-ce que les lys trompettent le chiot
    qu’on écorche dans l’écheveau de sa chair

    Est-ce que les animaux crient comme les humains
    comme t’ayant perdu
    j’ai hurlé j’ai flanché
    m’enroulant sur moi-même

    Car c’est ainsi
    que nous cognons le glacier
    pieds nus mains vides
    humains à peine

    Négociant une sauvagerie
    qui nous reste à apprendre
    là où s’est arrêté le temps
    là où il nous manque pour avancer

  • Le Soir a repris récemment un article d'El Pais à son sujet, la référence te permettra peut-être de le lire intégralement :
    https://plus.lesoir.be/342679/article/2020-12-09/patti-smith-peut-difficilement-montrer-son-amour-sans-montrer-sa-colere

  • Trouvé et lu en español, merci beaucoup. Quelle femme, on peut dire qu'elle en a vu de toutes le couleurs. La souffrance rend fort, aucun doute.

  • Ah, super, tu me l'enverras ? (Je n'ai pas d'accès à la suite dans Le Soir).

  • Absolument. Je viens de vérifier avec un traducteur et j'avais bien compris dans l'ensemble, j'en suis étonnée.

  • J'aime lire les livres de Patti Smith. Dévotion est un de ceux que j'ai le plus aimés, avec M Train. Je suis toujours intéressée par sa réflexion sur l'écriture comme sur le besoin de créer. En fait, son œuvre, si on peut utiliser ce mot, c'est elle-même, son quotidien, ses rencontres... J'ai terminé L'année du singe qui m'a beaucoup moins séduite.
    Bon dimanche !

  • L'histoire de la patineuse m'a laissée un peu perplexe, à lire probablement comme une sorte de double de l'artiste. Mais ce qu'elle dit de l'écriture, des rencontres, des écrivains qu'elle lit, de l'imaginaire au travail, tout cela m'a plu. Bon dimanche, Marie.

  • Bonjour, merci pour votre article, je lis en ce moment "Just kids" avec délectation, et ces compléments biographiques viennent à point.
    Je pense lire d'autres livres de Patti Smith, ainsi que sa poésie.

  • J'ai beaucoup aimé "Just Kids". En cliquant sur le tag de Patti Smith, vous trouverez des billets sur d'autres livres d'elle. J'aimerais aussi découvrir ses recueils poétiques.

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