« Bien sûr, elle a rêvé de ce voyage de temps à autre, elle ne peut pas le nier. Quand elle a suivi quelques cours d’arabe à l’université, c’était dans le but de les mettre en application si un jour elle traversait la Méditerranée. Mais au fil du temps, elle s’est habituée à ce que le Couplet sur la décennie noire vienne légitimer l’absence de réalisation de ce rêve, elle a accepté que l’Algérie était trop dangereuse pour elle.
Il y a des années qu’elle ne voyage plus à la découverte de contrées exotiques. Son travail à la galerie lui donne l’occasion de connaître de nouvelles terres à travers les œuvres exposées ou les biographies des artistes qu’elle met en forme pour le catalogue. […]
Peut-être qu’il ne s’agit que d’un pis-aller magnifique, peut-être que quelque chose lui manque encore et creuse en elle des radicelles mais elle estime qu’il lui revient de décider si elle veut combler ces éraflures de vide. En l’envoyant à Tizi Ouzou, elle a l’impression que Christophe s’est arrogé le droit d’écrire son histoire à sa place, ou plutôt qu’il vient de l’obliger à rentrer dans le rang d’une histoire familiale dont elle s’était libérée pour mieux écrire la sienne. »
Alice Zeniter, L’art de perdre
Commentaires
"L'art de perdre"; j'aime bien ce titre. Il y a beaucoup à dire sur le sujet!
Il est tiré des vers d'Elizabeth Bishop (au cas où tu n'aurais pas cliqué sur le lien) qui commencent par :
"Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître ;
tant de choses semblent si pleines d’envie
d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre."
Ce "voyage" vers des origines familiales - à soi mi-étrangères - doit être désiré, recherché. Ce qui souvent arrive tard, ou jamais même. Je comprends bien sa réaction, il faut d'abord être bien dans sa peau pour affronter ce voyage vers des "racines" qui ne sont pas vraiment les siennes.
Bon week-end Tania, gris et quelques gouttes ici.
Si elle y résiste d'abord, cette mission pour une future exposition à préparer va la décider à traverser la Méditerranée.
Un livre que j'ai beaucoup aimé. Et les Goncourt des lycéens sont presque systématiquement passionnants.
Merci de ce rappel, Tania.
Merci de partager cette appréciation & bon week-end, Anne.
L'histoire familiale pour retrouver ses origines, son identité, combler "les éraflures de vide", le silence, un extrait significatif. Je n'ai pas lu ce roman au beau succès d'estime, je le renote.
Ce roman aborde l'histoire de l'Algérie sous un autre angle, une quête personnelle qui vaut la peine d'être lue, je le confirme.