D’Anna Boch à Théo Van Rysselberghe, la transition est facile – on n’oublie pas le magnifique portrait qu’il a fait d’elle, où il tente non seulement de la peindre au travail mais de « pénétrer dans la nature même du processus créateur » en la montrant en train de réfléchir à sa toile (hors du tableau), comme l’écrit Jane Block dans le catalogue de la belle rétrospective Théo Van Rysselberghe au musée des Beaux-Arts de Gand en 1993.
En couverture : Portrait d'Irma Sèthe, 1894, musée du Petit Palais, Genève
Robert Hoozee, dans l’introduction, donne raison à Verhaeren qui considère, après la mort de Seurat, que Théo Van Rysselberghe est « le néo-impressionniste le plus complet ». Même si le peintre belge aux multiples facettes peint de nombreux paysages et marines, « son œuvre se centre surtout sur le problème que pose la capture de la forme de l’être humain sur la toile » (Jane Block, comme pour les citations qui suivent).
Théo Van Rysselberghe, Armand Heins peignant, 1881, Musée des Beaux-Arts, Gand
Il a fait le portrait de parents, d’amis, de collègues, d’une série « de personnages qui se trouvent au cœur de sa vie créatrice et de celle de la capitale artistique qu’était Bruxelles au cours des dernières années du dix-neuvième siècle ». Né à Gand en 1862, Van Rysselberghe y avait reçu une formation académique dans la tradition du portrait des grands artistes flamands (Van Eyck, Rubens, Van Dyck) et la bourgeoisie en était friande, malgré l’invention de la photographie.
Théo Van Rysselberghe, Dario de Regoyos jouant de la guitare, 1882, MRBAB, Bruxelles
Deux ans après s’être installé à Bruxelles, il peint en 1882 son nouvel ami et camarade d’étude, Dario de Regoyos jouant de la guitare, dans des tons bruns et noirs. Des voyages en Espagne et au Maroc vont l’inciter à mettre davantage de lumière dans ses œuvres. A Haarlem, il admire les « subtiles gradations de noir, de blanc et de gris » dans les portraits peints par Frans Hals. A partir de la deuxième exposition des XX, en 1885, il montre de plus en plus de portraits.
Théo Van Rysselberghe, Portrait d'Octave Maus, 1885, MRBAB, Bruxelles
Celui, très élégant, de son ami Octave Maus, 39 ans, « absorbé dans ses pensées, mais confiant et détendu, en tenue de soirée, contemplant son piano », comporte une applique qui, selon Jane Block, « évoque plaisamment le papillon que Whistler avait adopté sous forme de monogramme ». Invité à la première exposition des XX, Whistler a fort influencé certains membres du groupe. Van Rysselberghe signera le plus souvent TVR ou VR.
Théo Van Rysselberghe, Portrait de Marguerite van Mons, 1886, Musée des Beaux-Arts, Gand
Mais la rencontre avec les œuvres de Seurat à Paris, en 1886, va provoquer un changement décisif dans le style de Van Rysselberghe. Admirant Un dimanche après-midi à la Grande Jatte, Octave Maus considère Seurat comme le « messie d’un art nouveau ». Ses peintures « furent une révélation pour la plupart des vingtistes » : Willy Finch, Jan Toorop, Anna Boch, Henry Van de Velde… « Théo Van Rysselberghe devint le plus prolifique des peintres de portraits pointillistes ». Le premier, celui d’Alice Sèthe, 19 ans, fait l’unanimité, même si certains critiques se moquent de la « peste parisienne qui menaçait de subvertir les véritables personnalités » de ces peintres.
Théo Van Rysselberghe, Portrait d'Alice Sèthe, 1888,
Musée Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye
Van Rysselberghe situe le plus souvent ses modèles dans un cadre qui exprime leurs intérêts culturels, comme dans le portrait de Maria Sèthe à l’harmonium, assise au clavier (elle deviendra l’épouse de Van de Velde). Mais il peint Auguste Descamps, le frère de sa belle-mère, « figure familière mais respectée de la famille », sur un fond imprécis. Les portraits constituent la participation majeure du peintre belge aux expositions des XX puis de La Libre Esthétique qui leur succède.
Théo Van Rysselberghe, La famille dans le verger, 1890, Rijksmuseum Kröller-Müller, Otterlo
Quand il peint des groupes, comme dans La Promenade, il s’attache à rendre le mouvement des femmes marchant contre le vent sur la plage, l’atmosphère ensoleillée du bord de mer. Le thé au jardin montre trois femmes en chapeaux, chacune à leur occupation : cousant, remuant le thé dans la tasse, lisant. Quelle douceur de retrouver cette œuvre dans le catalogue aussi en carte double, avec des mots de maman qui me l’avait envoyée.
Théo Van Rysselberghe, Le thé au jardin, vers 1904, Musée d'Ixelles, Bruxelles
Van Rysselberghe nous a laissé de magnifiques portraits de femmes et d’hommes et une œuvre unique dans la peinture belge, chère aux amoureux de la littérature : La lecture d’Emile Verhaeren (ami qu’il a souvent dessiné ou peint par ailleurs). Les paysages et marines de Théo Van Rysselberghe occupaient aussi une belle place à l’exposition gantoise et j’ai du plaisir à revoir des vues marocaines, Voiliers sur l’Escaut, La Pointe de Saint-Pierre à Saint-Tropez, entre autres. A Saint-Clair, près du Lavandou, où il a vécu de 1910 jusqu’à sa mort en 1926, il a peint nombre de paysages, de baigneuses et des portraits.
Théo Van Rysselberghe, La Pointe de Saint-Pierre à Saint-Tropez, Var, 1896,
Musée national d'Histoire et d'art du Grand-Duché de Luxembourg
J’avais un peu oublié la participation du peintre à l’ornementation du livre, dans la continuité de William Morris et du mouvement Arts and Crafts. Pour l’éditeur Deman, il dessine des frontispices, titres, fleurons, couvertures, culs-de-lampe, couvertures même. Ses calligraphies sont sobres, équilibrées, classiques jusque dans ses motifs « art nouveau ». En tant qu’ornemaniste, écrivent Adrienne et Luc Fontainas, Van Rysselberghe « a réussi à se former un style personnel, dans la joie toujours renouvelée de créer. »
Commentaires
ah! merci Tania! j'aime énormément Théo Van Rysselberghe!
Avec plaisir, Adrienne, moi aussi. Cela a été dur de ne sélectionner que quelques illustrations, il y a tant d'autres toiles de ce peintre à admirer.
Ah moi aussi je l'aime beaucoup!
C'est un artiste, encore un, qui curieusement a peu passé les frontières. Je n'ai jamais pu déterminer si cela dépendait des marchands d'art ou...?
Bonne journée, merci
Je m'interroge aussi sur ces renommées qui ne passent pas assez les frontières, d'autant plus qu'il a fréquenté des peintres français et a terminé sa vie en France. Mais il a surtout fait le portrait de proches, d'amis belges. Bonne après-midi, Colo.
J'aime beaucoup ce peintre, j'ai vu une expo je ne sais plus ni quand ni où et je ne me lassais pas de regarder le Portrait d'Alice Sèthe.
Peut-être était-ce à la place Royale, à l'exposition "To te point" ?
http://textespretextes.blogspirit.com/archive/2014/02/27/portraits-en-touches.html
J'aime beaucoup. Il me semble que j'ai déjà rencontré ce peintre au musée des Beaux-arts de Bruxelles dans sa période impressionniste. (?)
Tout à fait, Claudialucia. Nos musées royaux présentent une quinzaine de peintures de Van Rysselberghe - voici le lien :
https://www.fine-arts-museum.be/fr/la-collection/artist/van-rysselberghe-theo-1?letter=v
J'aime beaucoup ce style de peinture ; il me semble reconnaître quelques tableaux, sans doute vus chez toi ..
Probablement. On peut voir aussi des œuvres de Van Rysselberghe dans de nombreux musées européens. Bonne soirée, Aifelle.
Tanis, merci beaucoup. Le portrait de Marguerite van Mons a été utilisé pour la couverture du roman "Effie Briest" de theodore Fontane que j'ai lu ce mois-ci. Ce tableau me rappelle les tableaux de Fernand Khnopff de sa sœur Marguerite.
Je ne savais pas que Mlle van Mons avait épousé Thomas Braun, auteur de L'An (1897), illustré par Franz Melchers.
Oui, ce portrait-là devant une porte fait penser à certains portraits de Khnopff : sa soeur Marguerite, et aussi des fillettes, dont une Gabrielle Braun qui est peut-être de la famille de Thomas Braun ? Je ne connais pas le roman de Théodore Fontane, je vais me renseigner. Merci à vous, Jane.
Oui, ce portrait-là devant une porte fait penser à certains portraits de Khnopff : sa soeur Marguerite, et aussi des fillettes, dont une Gabrielle Braun qui est peut-être de la famille de Thomas Braun ? Je ne connais pas le roman de Théodore Fontane, je vais me renseigner. Merci à vous, Jane.
J'aime bien la deuxième partie de carrière de Théo Van Rysselberghe. Il me semble qu'il y a eu une rétrospective à Bruxelles il y a quelques années.
Une pensée pour tout le personnel de nos musées en espérant qu'ils puissent rapidement rouvrir avec des adaptations à la situation.
Il y a eu une belle rétrospective Van Rysselberghe à Bruxelles, au Palais des Beaux-Arts, en 2006, en effet.
On annonce une réouverture progressive des musées royaux des Beaux-Arts à partir du 19 mai, d'abord les salles des maîtres anciens, pour un nombre limité de visiteurs, une bonne nouvelle.
J'aime beaucoup. Avec une pointe de nostalgie quand je regarde la toile sur St Tropez...
Bon 1er mai !
Nostalgie partagée, en ces jours où je devrais préparer mes bagages pour aller du côté de chez toi.
Bravo pour le bel entretien regardé sur YouTube ce matin & qu'il t'amène de nombreux lecteurs !
Elle est si jolie cette Marguerite Van Mons , si moderne d'allure, sur le point de soulever le loquet de cette superbe porte d'allure rococo, une porte bleu et or , celle qui ouvre sur l'avenir ? En tout cas la jeune Marguerite est bien résolue à la franchir !
Vous décrivez très bien ce portrait, Béatrice, je l'aime beaucoup aussi.
Sa peinture me touche, son étude de la lumière est remarquable que ce soit pour "le portrait de Dario de Regoyos" et ses teintes limitées, ou pour "la famille dans le verger".
Marguerite van Mons semble mélancolique, est-ce le contraste de sa robe noire et des dorures de la porte, son regard....
Merci Tania pour la richesse de tes présentations, je t'embrasse. Claudie.
J'aurais aimé en montrer beaucoup plus, Claudie, mais les liens permettent d'autres explorations pour qui le souhaite. Heureuse que cela te plaise, merci à toi.
C'est en effet un peintre proche de Seurat qui n'a pas eu toute la reconnaissance qu'il méritait. J'aime beaucoup le pointillisme, une technique si puissante pour décomposer la lumière. Certains de ces tableaux nous rendre proche la plénitude des petits instants de vie (le thé au jardin, les baigneuses) C'est précieux en ces temps de confinement.
Reconnu en Belgique, pas assez en France, en effet, même s'il y est présent dans quelques musées.
Je ne connaissais pas ce portrait d'Octave Maus, très réussi à mes yeux. Il y a de très belles choses dans son œuvre, souhaitons que soit organisée lorsque tu viendras dans le midi, une expo le concernant dans sa villa du Lavandou rachetée par la ville...
Un portrait aux lumières subtiles, je l'aime beaucoup. J'adorerais voir cette exposition - un jour...