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Gary sur scène

Au Public, Michel Kacenelenbogen joue Romain Gary sur scène, dans La promesse de l’aube. Patricia Ide, épouse et co-directrice du théâtre, a accueilli le public de la première générale en racontant un sympathique échange entre le comédien et son metteur en scène, Itsik Elbaz. Celui-ci avait joué au Public dans La vie devant soi en 2011, ce succès d’Emile Ajar (qui n’était autre que Romain Gary) dans une mise en scène de Kacenelenbogen. Pour ce spectacle-ci, un « seul en scène », ils ont inversé les rôles. C’est réussi.

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Source Photo Le Public

Dans La promesse de l’aube (1960), Romain Gary (1914-1980) raconte son enfance, sa jeunesse, la guerre, mais il n’est pas le héros de cette autobiographie. L’héroïne, c’est sa mère. C’est d’elle qu’il parle constamment, puisqu’il lui doit tout : pas seulement une véritable adoration pour son fils, mais la conviction – qui l’a porté jusqu’à l’accomplissement – qu’il serait un jour un grand homme, dans ce pays où elle rêvait de vivre. « Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele d’Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es ! »

En costume, mouchoir à la pochette, Michel Kacenelenbogen capte l’attention immédiatement et sans temps mort pendant un peu plus d’une heure. Décor minimum, animé par l’éclairage : une paroi rouillée où il ouvre de temps à autre une porte, où quelques images sont projetées lors des transitions. Un jeu tout en sobriété, efficace : le public est suspendu à ses lèvres, rit, réagit. (Dans un entretien-portrait, il y a quelques années, ce petit-fils belge de grands-parents polonais répondait : « Ce n’est pas une blague ; l’amour de ses parents, c’est quelque chose d’extraordinaire, qui rend tout possible ! »)

Seule, « sans mari, sans amant », la mère de Romain Gary s’est toujours battue pour gagner de quoi vivre. Fille « d’un horloger juif de la steppe russe », partie de chez ses parents à seize ans, deux fois mariée et divorcée, un temps « artiste dramatique » sous le nom de Nina Borisovskaia, elle n’a d’autre objectif, depuis la naissance de son fils, que de le préparer au destin brillant qui l’attend. Dès l’enfance, elle lui apprend qui sont ses ennemis : Totoche, le dieu de la bêtise ; Merzavka, le dieu des vérités absolues ; Filoche, le dieu de la petitesse.

A Wilno (Pologne) où ils sont « de passage » avant d’aller en France où il devait « grandir, étudier, devenir quelqu’un », elle façonne des chapeaux pour dames, y coud des étiquettes « Paul Poiret », les vend avec difficulté, peine à payer son loyer à temps. Les voisins la trouvent louche, se méfient des réfugiés russes, la dénoncent à la police. Elle défend son honneur et, de retour dans l’immeuble, traite ses détracteurs de « sales petites punaises bourgeoises » en clamant qu’un jour son fils sera ambassadeur de France et... s’habillera à Londres !

Peu à peu, ses affaires prospèrent. Son garçon reçoit l’éducation élégante dont elle rêvait pour lui : gouvernante française, costumes de velours, leçons de maintien et de baise-main, apprentissage de la valse et de la polka, cours d’équitation et d’escrime. Mais à neuf ans passés, il tombe malade, sévèrement ; sa mère se ruine pour le sauver, appelle des spécialistes à son chevet et, quand il échappe à la mort, l’emmène à Bordighera, en Italie, pour qu’il reprenne des forces au soleil. Vu leurs dépenses et la baisse des affaires, faute de pouvoir partir en France, ils vont à Varsovie pour l’inscrire au lycée français, mais c’est au-dessus de leurs moyens.

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Source Photo Le Public © Gaël Maleux

Un jour pourtant, elle arrive à ses fins : ils vont vivre à Nice. Elle y tient, entre autres, une vitrine d’articles de luxe à l’Hôtel Negresco, elle se débrouille pour qu’il ait chaque midi un bifteck sur son assiette – végétarienne, elle n’en mange pas. Mais le garçon de treize ans la surprend un jour dans la cuisine en train d’essuyer avec du pain la poêle où elle l’a cuit et comprend soudain la vérité sur ses motifs réels de se priver de viande. Il en ressent une terrible honte, puis « une farouche résolution de redresser le monde et de le déposer un jour aux pieds de (sa) mère ».

Quand il rentre du lycée avec un zéro en math., elle accuse son professeur de ne pas le comprendre – il doit l’empêcher d’aller le trouver. Alors elle prédit qu’il sera, faute de don pour la musique ou la danse, un grand écrivain, « Victor Hugo, Prix Nobel ». Son ambition pour son fils ne connaît jamais le doute. Quand il part étudier le droit à Aix, elle lui fait des adieux déchirants à sa montée dans l’autocar. Quand l’armée française lui refuse le grade d’officier, à lui seul sur trois cents aspirants, du fait de sa naturalisation trop récente, il lui évite d’être déçue en prétextant une sanction pour avoir séduit la femme du Commandant – « elle aimait les jolies histoires, ma mère ».

Parmi les moments forts du spectacle, je retiens celui où Romain Gary, tenté par le suicide, est sauvé par un chat ; celui où sa mère, ulcérée qu’on ne reconnaisse pas dans son fils un futur champion de tennis, prend à témoin le roi Gustave de Suède de passage au Club du Parc Impérial ; le jour où elle l’envoie tuer Hitler ; la fin, bien sûr, dont je ne dévoilerai ni la surprise du récit, ni celle de la mise en scène.

La promesse de l’aube est le formidable hommage d’un homme à sa mère, un texte de fidélité et de reconnaissance. Il dit aussi la difficulté d’une telle attente, d’un amour maternel si passionné : « Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. » Michel Kacenelenbogen, fidèle dans son adaptation théâtrale au récit de l’auteur, donne chair à cet homme qui voulait être à la hauteur du rêve de sa mère. Que vous ayez lu Romain Gary ou pas, vous pouvez le rencontrer sur la scène du théâtre Le Public, jusqu’au 24 juin prochain.

Commentaires

  • La vie de Romain Gary est largement à la hauteur de ses romans. Une mère comme la sienne doit être à la fois un cadeau et un fardeau.

  • @ Adrienne : J'étais curieuse de voir et entendre ce texte "incarné".

    @ Aifelle : Oui, il n'a pas déçu les attentes de sa mère, chargé de son amour excessif et en même temps porté par lui.

  • Une gageure que celle de faire un spectacle d'une seule heure de ce roman! Heureusement tu n'as pas été déçue.
    Bon week-end dame Tania.

  • En effet. Michel Kacenelenbogen a choisi des passages clés qui donnent envie de relire le roman in extenso. Bonne fin de semaine, dame Colo.

  • Je découvre cette incroyable histoire, quel destin, quel poids sur les épaules de cet homme. C'est tout à la fois beau et tragique il me semble, c'est peut-être à cause de cette mère qu'il a publié aussi sous un autre nom, il avait besoin de s'affirmer, seul, en toute liberté... Bises et doux week end Tania. brigitte

  • Merci, Brigitte. Oui, la vie de Romain Gary est un roman. Tu seras peut-être intéressée par cette vidéo de 1981 où Pivot interroge Paul Pavlowitch, le petit-cousin de Romain Gary qui a joué un grand rôle dans l'affaire Emile Ajar : http://www.ina.fr/video/CPB81058989
    A toi aussi, excellent week-end & un baiser.

  • De Romain Gary, je connais une citation que j'aime beaucoup et qui pourrait coller à mes blogs : "Le patriotisme, c'est l'amour des siens. Le nationalisme, c'est la haine des autres".

    Bon week-end Tania.

  • La promesse de l'aube est un livre que j'ai plus qu'aimé. Il m'a profondément marquée. Je l'ai lu il y a très très longtemps et, paradoxalement, je ne l'ai jamais relu car il est très présent en moi, comme si je venais juste de le terminer.
    Bon week end !

  • En écoutant le comédien, j'ai été surprise de si bien "reconnaître" quasi tout ce qu'il racontait, l'empreinte du roman était plus profonde que je ne l'imaginais. Bon week-end à toi aussi !

  • Romain Gary pour moi c'est la promesse de l'aube, ensuite sa vie torturé ne m'attire pas beaucoup

  • J'ai aimé lire aussi "Les racines du ciel", "Chien blanc". Bon dimanche, Dominique.

  • je dois avouer à ma grande honte que je n'ai jamais lu romain gary - je crois que je vais essayer de découvrir cette pièce dont tu parles avec tant de talent (cela se joue toujours, j'ai de la chance pour une fois, généralement j'arrive comme la cavalerie)

  • Le monologue de Michel Kacenelenbogen reprend les grandes étapes du roman, en donne un bon condensé. Bonne soirée au théâtre, Niki.

  • La première photo montre Romain Gary enfant, la seconde, Michel Kacenelenbogen dans ce spectacle, j'aurais dû le préciser. Bonne journée, Valérie.

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