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Celles du Nord-Ouest

Etonnant roman de Zadie Smith, Ceux du Nord-Ouest (NW, 2012, traduit de l’anglais par Emmanuelle et Philippe Aronson), propose une immersion dans un quartier au NO de Londres, la cité de Caldwell où ont grandi ses personnages, et en particulier dans la vie de deux amies d’enfance, Leah et Keisha, d’où le féminin pour intituler ce billet. 

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« Apparition », première des cinq parties, montre Leah étendue à l’ombre dans le hamac du jardin de son immeuble, à l’écoute de la radio où une phrase prononcée lui semble valoir la peine d’être notée : « je suis le seul auteur d’un dictionnaire qui me définit ». C’est alors qu’on sonne en insistant à sa porte. Derrière la vitre, quelqu’un hurle : « S’IL VOUS PLAIT, oh mon Dieu, aidez-moi, s’il vous plaît… »

 

Une fille aux ongles sales s’engouffre dans l’ouverture de la porte malgré la chaîne de sécurité : elle tombe, supplie, elle s’appelle Shar, elle a besoin d’aide, sa mère a été transportée à l’hôpital, elle ne sait comment y aller, n’a pas d’argent... Leah la fait entrer, lui offre du thé, appelle un taxi. L’inconnue la reconnaît, elles ont toutes deux fréquenté le lycée Brayton. Shar s’en va, reconnaissante, avec la promesse de rembourser bientôt.

 

Michel, d’origine africaine, le mari coiffeur de Leah, la juge très naïve d’avoir ainsi donné trente livres. Leah, trente-cinq ans, ne lui dit pas ce qui pourtant le rendrait heureux, à savoir qu’elle se sait enceinte depuis peu. La première fois que c’est arrivé, avant leur mariage, elle a avorté. Un jour où ils se promènent ensemble avec Olive, leur chienne, Leah aperçoit Shar dans un magasin et Michel la traite de voleuse avant qu’elle ne s’enfuie. Leah a épousé un homme bon, travailleur, « plein d’espoir ». Elle travaille dans l’aide sociale, un emploi où exercer ses facultés d’empathie dans ce que Zadie Smith appelle le « multivers ».

 

Natalie et Frank, leurs amis les plus proches, ont deux enfants ; tout chez eux respire la réussite, sur tous les plans. Leah se demande comment Natalie, nouveau prénom de son amie Keisha, a fait pour devenir à ce point « adulte ». Elle les trouve embourgeoisés, condescendants vis-à-vis de Michel. Soucieuse d’envoyer ses enfants dans une bonne école, Natalie demande à Leah de l’accompagner à la vieille église que fréquente sa mère pour se renseigner, elles finissent par la découvrir dans un quartier improbable, et aussi une « Vierge en bois de tilleul couleur de jais » avec son bébé emmailloté, qui émeut Leah.

 

Après un coup de téléphone menaçant, une voix d’homme sous laquelle Leah pense reconnaître la voix de Nathan, un dealer connu, lui intimant de laisser Shar tranquille, Leah et Michel vont apercevoir celui-ci dans une cabine : les deux hommes se bagarrent, la chienne reçoit de violents coups de pied… Leur histoire fait sensation le soir auprès des invités au dîner donné par Natalie, Leah et Michel en sortent accablés par la conversation des « bobos ». Le lendemain matin, leur chienne est morte. Bref, la tension monte, entre eux aussi puisque Leah a de nouveau avorté et cache à Michel qu’elle prend la pilule, tandis que celui-ci envisage de recourir à l’insémination artificielle.

 

La deuxième partie (« convive ») est axée sur d’autres habitants du quartier : Felix, de passage chez son père qu’il ne voit quasi plus, un voisin blanc « toujours du côté du peuple » prenant des nouvelles de son petit frère (en prison) et de ses sœurs, des souvenirs de défonce aggravée avec les années qui passent, un marchandage autour d’une vieille MG rouge, une visite à une ancienne maîtresse…

 

185 séquences numérotées composent la troisième partie – « hôte » : la vie de Keisha / Natalie, la meilleure amie de Leah, s’appliquant à étudier, devenant une avocate reconnue, l’épouse de Frank, la mère de Naomi et Spike. Derrière son parcours apparemment parfait, Natalie a soigneusement caché son moi profond, ses désirs, ses frustrations. Mais elle est au bord de l’explosion, comme on le lira dans la partie suivante – « traversée ».

 

Les gens du Nord-Ouest ont leurs codes, leurs lignes de métro, leurs habitudes, certains vivent dans l’insécurité permanente. Zadie Smith rend compte des croisements entre vies faciles ou précaires, fait entrer dans la danse l’alcool, la drogue et la violence, le tout mêlé à des questions sur le sens à donner à sa vie, sur les rapports avec les autres, sur la famille, le couple, les enfants, la ville, la nature… L’amitié entre Leah, rousse d’origine irlandaise, et Natalie, jamaïquaine et sexy, semble leur vrai point d’ancrage, malgré les non-dits.

 

La langue originale permet sans doute de mieux apprécier la diversité des tons, des voix, des langages dans ce roman où l’écriture et la structure offrent de multiples variations (le nombre « 37 » y joue un rôle particulier). « Zadie Smith s’infiltre dans les pensées, les souvenirs de ses personnages, pour dresser un portrait impressionniste du quartier de son enfance, à la manière d’une Virginia Woolf du XXIe siècle », peut-on lire en quatrième de couverture. En effet, le monologue intérieur est roi dans Ceux du Nord-Ouest, mais le récit présente aussi un versant plus réaliste, comme le souligne Zenga Longmore, dans The Daily Telegraph, qui la rapproche de Dickens.

Commentaires

  • Billet très tentant ! Je n'ai jamais rien lu de cette écrivaine mais lorsque je lis "V. Woolf du XXIe siècle", forcément, ça intrigue... Mais je préfère m'arrêter à ton avis car les éditeurs ont tendance à en rajouter parfois (souvent même !)...

  • Oui, Margotte, la comparaison est fort flatteuse. Si tu as envie de lire Zadie Smith, je te conseille "De la beauté" qui reste le roman d'elle que je préfère jusqu'à présent.

  • repéré, ce livre, et faute de mettre la main dessus à la bibl i(mais je patiente) j'ai lu un recueil de textes, intitulé Changer d'avis. très bien.

  • Une auteure que je ne connais pas du tout. Je vois que deux livres d'elle sont traduits en espagnol: "Dientes blancos" (dents blanches en français?) et "El cazador de autografos" (le chasseur d'autographes sans doute?).
    Merci Tania, douces fêtes.
    Besos

  • Cet essai m'avait beaucoup plu, on y découvre différentes facettes de sa personnalité.

  • Je n'ai lu ni l'un ni l'autre, mais Zadie Smith a connu la notoriété avec "Sourires de loup" (le premier).
    Douce fête de Noël en famille, Colo, je te retourne un baiser.

  • Si a priori l'histoire ne me tente pas particulièrement, la vie de famille, d'un quartier à Londres (mais c'est a priori), je suis plus sensible à la forme du roman, avec le découpage, les séquences numérotées. Et si évidemment, s'il s'agit d'une nouvelle VW, je me dois d'oublier mes préjugés...

  • Je n'avais pas été convaincue par son premier roman, peut-être trop encensé par la presse, mais il faudrait que je refasse une tentative.

  • @ Pâques : Avec plaisir, Pâques (je te signale ma réponse à Margotte, pour info.)

    @ Christw : La structure romanesque est tout sauf classique. Une nouvelle VW, c'est excessif, mais Zadie Smith cherche comme elle à restituer les flux croisés des existences.

    @ Aifelle : Je n'ai pas lu "Sourires de loup", "De la beauté" reste mon titre préféré chez cette romancière.

  • Je ne connais ni cette auteure ni les quartiers NO de Londres où se côtoient "bobos" et paumés. Mais une fois encore vous nous avez donné l'envie de découvrir ce monde .
    Le nom de Zadie Smith vient donc s'allonger à ma très longue liste d'auteurs à découvrir ( pour mes vieux jours :) )
    Merci et Joyeux Noël Tania

  • Bonjour Tania, je compte bien lire ce roman (que j'ai acheté pour la bibliothèque loisir dont je m'occupe) surtout après ce que tu écris. Je n'ai encore rien lu de cet écrivain. Sinon, je te souhaite un joyeux Noël et bonnes fêtes de fin d'année.

  • Bonne lecture, Dasola, j'espère que tu aimeras ce roman qui n'évite pas les douleurs du monde mais table sur les relations humaines, envers et contre tout.
    Joyeux Noël et heureuse fin d'année.

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