« Un premier roman psychologique féroce », dit la quatrième de couverture. Le beau monde d’Harriet Lane (2012, traduit de l’anglais par Amélie de Maupeou), c’est celui où va pénétrer son héroïne, Frances Thorpe, simple correctrice aux pages « Livres » du Questioner. « Alys, Always » le titre original, place une autre femme au centre du récit, celle autour de qui toute l’histoire tourne, d’une certaine manière.
Un soir, Frances arrête sa voiture au bord de la route, elle a aperçu un halo étrange entre les arbres et découvre une grosse berline couchée dans la forêt. Sans le savoir, en attendant les secours, elle recueille les derniers mots de la conductrice, invisible dans l’obscurité : Alice a cru apercevoir un renard et a sans doute dérapé sur une plaque de verglas. Quand la police appelle Frances à son bureau le lendemain pour lui demander de passer pour sa déposition, elle apprend que la blessée est décédée sur place.
Le travail ne manque pas au journal, où elle corrige les articles, les manuscrits, et fait un peu de tout (le genre de correctrice qui manque à l’éditeur du roman, où les fautes d’orthographe ne manquent pas). Une remarque du premier assistant de Mary, la rédactrice en chef, sur le dernier roman de Laurence Kyte (Booker Prize quelques années plus tôt) où figure une photo de lui prise par Alys Kyte – et Frances fait le lien : « Pour Alys, toujours », dit la dédicace éponyme. Contrairement à ce qu’elle avait d’abord répondu à la police, Frances est prête, maintenant, à rencontrer cette famille si celle-ci le souhaite.
Dès son entrée dans la maison des Kyte, Frances enregistre tout : les abords soignés, les fleurs qui s’amoncellent dans l’entrée et dans les réceptions, la courbe de l’escalier qui mène à une cuisine américaine, « judicieuse combinaison d’ancien (…) et de contemporain ». Près d’une longue table en chêne, Laurence Kyte l’attend avec ses enfants, Edward, 25 ans, et la jeune Polly, en présence de Charlotte Black, « l’agent de Kyte ».
Frances, la trentaine, n’habite qu’à deux kilomètres de là, dans un quartier du nord de Londres très différent de ces avenues cossues avec leurs grands espaces verts. Quand Polly l’interroge sur la voix qu’avait sa mère dans ses derniers instants, elle raconte ce que lui a dit cette femme qui ne semblait pas souffrir, très digne et courtoise. Devant l’émotion de la jeune fille, Frances cède à la tentation d’ajouter ce qu’elle n’a pas déclaré dans sa déposition mais qu’ils ont peut-être « besoin d’entendre », les derniers mots d’Alys : « Dites-leur que je les aime. »
Un mois plus tard, à l’invitation de Polly, Frances assiste à une messe commémorative où le tout-Londres de l’édition se presse, écoute des hymnes, des lectures, et un beau portrait d’Alys, « quelqu’un qui avait l’œil pour la beauté et pour l’absurde », plutôt rêveuse, distraite, mais toujours présente pour l’essentiel. La fille d’Alys est heureuse de revoir Frances et l’invite à la suivre chez elle, lui raconte ce que Frances sait déjà par son profil Facebook : elle suit des études d’art dramatique. Dans sa chambre, Frances découvre une photo de la lumineuse Alys. Elle assure Polly d’être à sa disposition si elle a envie de parler et s’arrange pour que son père remarque sa présence, brièvement, avant de partir.
Au bureau, Frances attire désormais l’attention de ses collègues, on l’a vue à la cérémonie, elle passe pour « une amie de la famille » Kyte. Elle en joue sans en faire trop. En se rapprochant de Polly, en la poussant aux confidences, Frances élabore un plan pour se rapprocher du « beau monde », de cette maison luxueuse où elle s’imagine à la place d’Alys, élégante et compréhensive. Que cherche-t-elle ? A faire carrière en se rapprochant d’un écrivain connu ? A s’introduire dans ce milieu si différent de sa propre famille à l’esprit étroit ? On ne sait au juste ce qui pousse Frances, mais on la voit tisser sa toile, point par point.
Mi-roman de moeurs, mi-suspense psychologique, Le beau monde m’a rappelé, en moins subtil, l’univers d’Anita Brookner, qui a souvent décrit cette attirance d’une jeune femme vers des gens qui ont réussi ou qui paraissent mener une vie plus conforme à ses rêves. En même temps, Harriet Lane décrit un milieu journalistique qu’elle connaît bien, elle a travaillé pour différents journaux anglais avant d’écrire ce premier roman. Un peu comme dans les images publicitaires aux décors trop parfaits, cette histoire contemporaine est imprégnée d’une grande fascination pour le bien-être matériel et les codes du paraître. Une comédie des apparences.
Commentaires
un livre qui rappelle Anita Brookner c'est bon à prendre, je fini l'année en notant ce livre et je te retrouve avec grand plaisir l'an prochain !
J'ai souri en lisant ta petite remarque (le genre de correctrice qui manque à l’éditeur du roman, où les fautes d’orthographe ne manquent pas).
Moi aussi ça m'énerve (me lasse, me gêne...) de trouver trop de fautes dans un livre ;-)
@ Dominique : Ce n'est pas de la grande littérature, une lecture légère en passant. Je termine l'année avec plein d'envies de relecture, mais le plaisir de la découverte l'emporte le plus souvent.
A l'année prochaine, pour ta 6e année de sauts et de gambades littéraires.
@ Adrienne : Une personne qui avait emprunté ce livre avant moi en avait déjà corrigé quelques-unes, j'ai complété - un mauvais point pour l'éditeur, oui. Mais si on compte les formes correctes, à la mode des évaluations nouvelles, cela doit donner du 99 % tout de même ;-)
Comme Dominique, le nom d'Anita Brookner me fait dresser l'oreille, j'aimais beaucoup ses romans.
Comme je l'ai écrit, Harriet Lane me semble, pour la finesse d'analyse et d'écriture, bien en deçà d'Anita Brookner dont je n'ai plus rien lu depuis "Sofka" et dont on parle moins, me semble-t-il. Mais dans "Le beau monde", l'intrigue porte davantage de suspense, ce qui tient la curiosité en éveil.
Merci, Tania, pour ces passionnantes lectures présentées au fil des pages tout au long de l'année. Joyeuses fêtes. Que 2014 te comble !
voilà donc un titre de noté - il est vrai que ta référence à anita brookner m'intrigue :)
@ Danièle : Avec plaisir, Danièle. C'est gentil de passer ici pendant la trêve des confiseurs. Meilleurs vœux, je ne manquerai pas tes haïkus de l'année nouvelle.
@ Niki : La narratrice ne dit pas tout, voilà qui donne à ce roman un ton très singulier et qui titille les lecteurs.
"A s’introduire dans ce milieu si différent de sa propre famille à l’esprit étroit ?"
L'esprit de ce "grand" monde est-il moins étroit? Cela me rappelle le titre d'un très vieux film (1060) de Stanley Donen "Ailleurs l'herbe est plus verte" avec Deborah Kerr, Gary Grant et Robert Mitchum http://fr.wikipedia.org/wiki/Ailleurs_l'herbe_est_plus_verte.
Merci beaucoup Tania de nous avoir fait partager en 2013 tant de ces romans, de ces auteurs que sans vous je n'aurais jamais connus.
Nous serons là en 2014, fidèles au poste, accroché(e)s à vos mots.
Je vous souhaite une très belle fin d'année et beaucoup de nourritures spirituelles et littéraires pour 2014.
Bonjour Tania, je n'ai pas du tout entendu parler de ce roman ni même de l'écrivain, je note. Cela me changera des romans policiers dans lesquels je suis souvent plongé. Bonne année 2014.
La tentation du bien-être, parfaitement égoïste, cela va de soi, n'illustre que trop bien notre époque. Une époque pourtant difficile où les écarts entre milieux sociaux ne font que se creuser davantage. Mais nous vivons dans le virtuel...
Tous mes voeux Tania pour une riche année 2014. Beaucoup de rencontres, d'émotions artistiques, de beauté et d'échanges. Et longue vie à votre blog.
@ Gérard : C'était une allusion aux parents de Frances si peu curieux de ce qui se passe hors de leur cercle très limité, mais bien sûr, changer de milieu ne permet pas forcément d'échapper aux mesquineries.
Vous me faites sourire, Gérard, avec ce film du XIe siècle, très très vieux ;-)
Ravie d'avoir attiré votre attention sur ces écrivains, autant de voyages pour moi, qui ramènent si souvent aux questions que la vie ne cesse de nous poser. Merci, Gérard, pour votre fidélité amicale. Que 2014 réponde à vos espérances les plus profondes.
@ Dasola : Il me semble que cette intrigue pourrait te plaire. Bonne année, Dasola.
@ Armelle B. : Vous avez bien capté l'ambiance, contemporaine, sans nul doute, mais cette tentation n'a-t-elle pas toujours existé ? Aujourd'hui elle envahit l'espace médiatique, s'affiche à tout propos, et il nous faut un Mandela pour nous recentrer sur l'essentiel.
Merci pour vos voeux, Armelle, et au bonheur de partager ici ces émotions et sur votre blog ouvert à la beauté et aux questions du monde.
Merci pour la description de cette ambiance, comme vous me l'avez conseillé je n'ai lu que les premiers paragraphes de votre billet et la conclusion :-).
C'est le genre de livre qui me plait ! L'attirance pour un monde jusqu'alors insoupçonnable n'est jamais exempte de séquelles.
La façade publiée ici donne l'impression de ne pas avoir de profondeur, presque un décor de carton-pâte
Je vous présente mes meilleurs voeux pour 2014 qui, j'en suis sûre, foisonnera de lectures que vous voudrez nous faire partager ...
Très bien ;-) J'espère que vous n'avez pas cliqué sur la critique de Neuhoff, j'ai mis un avertissement sur le lien en pensant à vous.
En cherchant une belle demeure londonienne, j'ai trouvé cette photo sur un site immobilier, et elle m'a semblé à propos, votre impression le confirme.
Tous mes voeux, Saravati, au plaisir de vous retrouver l'an prochain.
Peut-être Anita Brookner me conviendra-t-elle mieux si son analyse est plus fine ?
Votre conclusion (l'attrait pour les codes, le paraître) me fait songer à un extrait de Banville qui m'a frappé et me poursuit toujours un peu: l'attrait pour un style, un raffinement, rare, réel, qu'on trouve naturellement chez certaines personnes.
Vous le retrouverez ici (le premier de la page): http://www.christianwery.be/article-la-lettre-de-newton-john-banville-extraits-107876828.html