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Les objets d'une vie

Raconter une enfance par les choses : François Bon, dans Autobiographie des objets (2012), ouvre de « question » à « l’armoire aux livres », 64 entrées dans sa vie d’avant, complétées depuis sur son site. « L’ancien nous émeut : pas forcément pour l’avoir tenu en main dans l’enfance – un tracteur à rouiller dans un champ, une voiture en équilibre sur la pile d’une casse périurbaine, vue rapidement du train, et c’est le temps tout entier qui vous surgit à la face, et ce qu’on n’a pas su en faire. » 

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Photo Regulator974 / Wikimedia 

A la recherche de son premier objet personnel, François Bon trouve une corde en nylon achetée pour deux francs à l’épicerie bazar du village. Sa mère la lui confisque deux jours plus tard – de l’argent « gaspillé » – et bientôt la tend au jardin comme corde à linge supplémentaire : là, elle n’intéresse plus l’enfant, « dénouée, utile, sans opacité ni brillance. »

« Nous habitions loin des villes. » Le passé, un temps, mais aussi des espaces : « si je parle via les objets des lieux de mon enfance et de mon adolescence, cela ne crée pas d’affinité pour autant, et de nostalgie moins encore. » Raccord au présent : « J’aime New York, un des rares lieux où je me sente chez moi. »

Choisir des objets pour voyager dans le temps, cela mène à évoquer ceux dont ils rappellent la présence, comme Tancrède Pépin, jardinier, et son outil pour poser des carreaux de ciment au bord des allées, appareil « merveilleux » à ses yeux d’enfant. Ou le grand-père, dont il conserve encore sur sa table la tige et la rondelle d’acier forgé si souvent tirées du tiroir pour les lui montrer, ou l’arrière-grand-mère aveugle et sa canne.

La magie d’un gros appareil radio Telefunken (jusqu’en 1962), l’apparition des transistors (année 1964), les guitares électriques, les machines à laver ou à écrire, voire la règle à calcul à l’école d’ingénieurs, l’approche de François Bon est kinesthésique : « Je prends les choses selon qu’elles me viennent là dans la main. » Son arrière-grand-père était tailleur de pierre.

Sa mère est institutrice. Les garages, activité du père, sont terrains de jeux ou de « rêveries actives », une dépanneuse faisant un très bon repaire de lecture. Un objet peut être détourné de sa fonction convenue. Ainsi du premier miroir dont il se servait dans la maison « en suivant (son) chemin au plafond. C’était fantastique et merveilleux. » Ou du microscope : « il suffisait de le tenir à l’envers pour le braquer sur la nuit, les étoiles, les plafonds et fenêtres, les arbres, la vie courante » et « alors on rêvait bien plus. »

Parmi « les choses oubliées, les points fragiles de soi-même », il y a deux « casquettes de Moscou » qui réveillent les images d’un séjour de trois mois en 1978. « J’étais contre la photo, par principe. Qui s’occupe du langage doit voir avec les mots, et se contenter de son carnet de notes. »

François Bon ressuscite dans Autobiographie des objets des lunettes et des toupies, des vêtements et des jouets, des voitures et des bateaux. Et, forcément, le « compagnonnage des livres ». Même s’il affirme n’avoir rien lu entre treize et vingt-deux ans, il y a les titres d’enfance et, plus tard, les découvertes décisives. Dans sa « tentative de web-autobiographie malléable », très détaillée, vivante, l’écrivain note qu’il a repris goût à la lecture lors de son séjour à Moscou, à la bibliothèque de l’ambassade.

« Les années » d’Annie Ernaux m’avaient transportée, ce livre-ci, plus retenu, m’a laissée à distance, sauf à certains passages où l’émotion affleure malgré le parti pris d’objectivité. Curieuse impression de croiser un contemporain aux balises différentes des siennes, avec qui pourtant on a partagé certains gestes comme relever la moitié de vitre d’une deux-chevaux. 

« J’appartiens à un monde disparu », voilà sans doute le ton qui m’a gênée. Ce monde disparu, nous en venons ; y appartenons-nous plus qu’au présent qui nous requiert ? Mais reprenons la phrase entière, moins mélancolique : « J’appartiens à un monde disparu – et je vis et me conduis au-delà de cette appartenance. C’est probablement le cas pour tout un chacun. » Un lecteur a vibré davantage et m’a donné envie de lire Autobiographie des objets, je vous recommande son billet sur Marque-pages.

Commentaires

  • je le note malgré ton commentaire un peu restrictif, comme toi j'ai énormément aimé les Années (à ce propos as tu regardé sur la 5 le reportage sur dlle, superbe, encore dispo en replat je pense)
    je note malgré tout car j'ai par jeu un jour fait une liste des objets qui ont balisé mon existence, c'est un exercice amusant et surprenant

  • @ La bacchante : Merci de l'écrire ici. Bon se raconte à travers ses objets personnels, Ernaux raconte une époque d'un point de vue collectif, est-ce cela qui les oppose ?

    @ Dominique : Je suis désolée d'être restée un peu en retrait, des soucis familiaux me rendent sans doute moins disponible pour la lecture ces jours-ci. Pas vu le reportage, si j'ai le temps, je le chercherai sur le site.
    Mais tu me rappelles quelque chose que je n'ai pas mis dans mon billet mais qui m'a titillée en lisant "Autobiographie des objets", le projet d'écrire sur certains objets personnels à mon tour, j'ai d'ailleurs déjà acheté un cahier dans ce but.

  • je lis son site (son blog) mais plutôt que son approche assez "clinique" je préfère celle de Philippe Claudel, dans Parfums, par exemple, qui me touche beaucoup plus...
    Annie Ernaux aussi, d'ailleurs. J'y sens une sincérité vraie :-)
    J'espère que les soucis familiaux se dissipent, Tania, bonne journée!

  • Je pensais en lisant ton billet que je ne m'intéressais pas beaucoup aux objets, j'aurais du mal à écrire sur le sujet. Je m'en tiendrai donc "aux années", beaucoup aimé aussi et me réjouis de revoir Annie Ernaux dans deux jours, dans ma librairie habituelle.

  • @ Adrienne : Pas encore lu "Parfums" de Ph. Claudel, merci de me rappeler ce titre. Pour le reste, il y en a sans doute pour des semaines à rendre visite en clinique, mais ce sont surtout celles ou ceux forcés d'y séjourner qui sont à plaindre.

    @ Aifelle : Certains objets ont une histoire, ou une histoire particulière s'y rattache, c'est à cela que je pensais.
    Un rendez-vous en librairie, chic ! Je serai heureuse de lire tes impressions après.

    @ Colo : Si heureuse de partager ces souvenirs avec toi. Bonne soirée, Colo.

  • J'aime beaucoup ce thème ! En parcourant les broquantes, je m'interroge toujours sur ce qu'a été la vie des objets. Quelle impotance avaient-ils pour leur propriétaire, quelle hisoire avait été la leur, quels sentiments ont-ils inspirés ? C'est toujours pour moi un mystère émouvant.

  • Cette distance qui vous a tenue à l'écart du livre tient peut-être aux balises différentes des parcours. Mais je ne le crois pas, la cause réside plus dans le ton de F Bon, qui, par choix d'objectivié (vous le dites), par une certaine pudeur(je ne trouve pas le mot juste) typiquement masculine,évite l'émotion.

    Développer mes réflexions sur le regret de votre dernier paragraphe me conduirait trop loin, à condition de pouvoir formuler clairement ce qui se dessine en moi.

    Je retiens encore que j'irai vers Les années d'Ernaux.

  • Heureusement qu'il nous reste les souvenirs qui rendent encore un peu vivants les objets inertes. Heureusement qu'il y a les livres qui retiennent à jamais des paroles et des mots qui sans eux seraient oubliés sitôt émis. Heureusement qu'il y a l'amour qu'on porte aux autres qui embellit tout même les instants douloureux.
    Les objets seuls ne sont rien, ce sont les sentiments et les histoires qui tournent autour qui leur donnent vie.
    " Objets inanimés, avez vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?" écrivait déjà Lamartine . Je pense que de tous temps les hommes se sont posés cette même question.
    Il reste encore des tribus qui vénèrent les objets, les parures, les attributs des anciens, en un mot tout ce que nous ne savons plus faire tant le "jeunisme" a gagné nos cerveaux .
    Je préfère m'imaginer fumer le calumet de la paix avec ces lointains indiens plutôt que m'abandonner aujourd'hui à l'infinie tristesse de ces jeux vidéos où le but recherché consiste à tuer les ennemis à la pelle..à moins que ce ne soit que nos vieux démons.
    Beau sujet Tania qui mériterait à lui seul des pages d'écriture. Mais qui les lirait? :)

  • @ Annie : Votre réaction me rappelle soudain cette belle chanson de Barbara, "Drouot". A écouter sur YouTube : http://www.youtube.com/watch?v=g5ZPFuEkgyM

    @ Christw : Oui, vous avez raison, le ton joue un rôle, certainement. Et aussi les circonstances de vie. Mars & Vénus peut-être aussi.

    @ Gérard : Merci pour votre commentaire qui exprime si bien cet attachement sentimental que nous avons pour certaines choses. Je pense en particulier à ce qui a été offert par une personne chère, ce qui nous vient de ceux qui ne sont plus et ajoute à nos pensées une trace visible de leur présence dans notre vie. Et aussi aux objets des artisans ou des artistes. Des pages à écrire, sans doute ! Bonne soirée, Gérard.

  • J'en ai beaucoup entendu parler, et j'aime bien François Bon. Il faudrait que je lise cette "autobiographie", quand même, pour avoir ma propre opinion.
    Bonne journée.

  • Bien sûr, il faut le lire. Je ne cherche pas à en dissuader, au contraire.
    Bonne journée à vous.

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