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Alice et ses maris

Francis Dannemark, écrivain belge et éditeur, annonce la couleur de son dernier roman dès le titre (qu’il choisit souvent long) : Histoire d’Alice qui ne pensait jamais à rien (et de tous ses maris, plus un) (2013). Le ton est guilleret, même si cela commence par un enterrement. 

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"Kissing Alice", une fausse photo attribuée à Lewis Carroll 
(Merci à MH d'avoir dénoncé le montage et excusez-moi pour ce choix malheureux.)

Paul rencontre sa tante Alice en novembre 2001, le jour de l’enterrement de sa sœur – « de ma mère, pour le dire autrement ». Il ne l’avait jamais vue, ils font connaissance. Cette « étrangère avec un accent anglais (…) avait les mêmes grands yeux clairs que (sa) mère ». Ses parents ne lui parlaient jamais d’elle, mais il savait qu’en mai 1945, la petite sœur de Mady avait été très malade après la mort de leurs parents et qu’elle s’était mariée à dix-sept ans avec un veuf qui avait perdu femme et enfants dans un bombardement. Ils s’étaient installés aux Etats-Unis.

Alice lui donne rendez-vous dans un petit hôtel charmant de Bruxelles dont le salon va recueillir bien des confidences. Mais elle l’interroge d’abord sur la mort de sa mère, sur sa vie à lui. Il lui parle de sa femme et de leur fille qu’elle est allée rejoindre à Boston où celle-ci s’est retrouvée le bras dans le plâtre, pour l’aider à terminer son programme d’études. Alice a un service à lui demander : elle voudrait retrouver quelqu’un, un homme qu’elle a aimé – mais elle trouve injuste de ne parler que de lui.

« Ce serait injuste pour qui ?
– Pour les autres. Mes maris.
– Vous avez été mariée plusieurs fois ?
– Oui. Et veuve. Plusieurs fois…
– Tant que ça ?
– Oh… Je n’aime pas compter, a-t-elle dit dans un sourire. »

Jour après jour, Alice et Paul se retrouvent à l’hôtel ou au restaurant. Son neveu de 56 ans est curieux d’apprendre l’histoire de cette inconnue.

Les titres de douze chapitres sur treize sont des prénoms masculins. Seul le premier, « Alice », fait exception. Imaginez ce que vous voulez – patientez. A travers l’histoire de Pierre, Henri, Sydney et les autres, la vie d’Alice se raconte étape par étape, depuis son premier amour en 1944 pour l’instituteur du village jusqu’à ce médecin iranien qui l’a soignée en Inde après la mort accidentelle de son dernier mari.

L’anglais se glisse dans la conversation d’Alice quand elle ne trouve plus ses mots en français. Elle revient sur sa vie avec un tel détachement, qui pourrait sembler de l’indifférence, que Paul la compare à un ange : « Si les anges peuvent voler, c’est parce qu’ils se prennent à la légère. »

Dannemark dresse à travers leurs dialogues (« À quoi bon un livre sans images, ni dialogues ? » se demande l’Alice de Lewis Carroll) les portraits des hommes qui ont compté dans la vie d’Alice, 73 ans, et l’autoportrait d’une femme déjà veuve à vingt ans. Alice a quelque chose d’espiègle dans le regard, elle aimerait que Paul, qui a déjà publié un roman, écrive ses souvenirs, pour ne pas perdre les traces des personnes formidables qu’elle a rencontrées. Comme Maggie, la mère de Sydney, sa meilleure amie, son alliée, son modèle.

Des rencontres et des voyages, Alice en a vécu beaucoup. Des deuils, plus qu’il n’en faut. « Si Dieu avait décidé que j’accompagnerais des hommes jusqu’à la porte de sortie, c’est qu’Il avait Ses raisons », lui a dit un jour quelqu’un en ajoutant « que c’était la preuve qu’elle avait assez d’amour pour eux tous. » Alice est sereine : elle n’était pas faite pour vieillir avec les hommes de sa vie.

Il y a quelque chose d’un conte de fées dans cette Histoire d’Alice… où tout est bien qui finit bien en dépit de tous les malheurs. Dannemark souligne régulièrement le caractère paisible de cette femme qui traverse le temps sans s’apitoyer sur elle-même, qui s’est contentée d’accepter ceux qui venaient à elle sans les chercher – à part le dernier –, qui a goûté toutes les variations du destin, les cuisines du monde, la sensualité, la diversité des êtres.

Mais derrière cette belle image, qui est vraiment Alice ? Pourquoi est-elle restée si longtemps éloignée de sa sœur ? Paul apprendra d’elle plus qu’il n’attendait.

Léger, divertissant, le dernier roman de Francis Dannemark aborde les choses de la vie avec un optimisme délibéré. Il l’a conçu comme « une comédie dramatique à l’anglaise. Et à l’ancienne. »  Qui a dit que les gens heureux n’ont pas d’histoire ? Cette lecture vous fera au moins sourire, comme Alice, un personnage né dune visite au cimetière.

Commentaires

  • Léger et divertissant, c'est ce qu'il me faut en ce moment. Il me reste à espérer qu'il arrive à la bibliothèque.

  • J'espère que tu le trouveras, c'est un livre paru chez Laffont en avril (je vais compléter la bibliographie).
    Bonne journée, Aifelle, j'espère que tu te sens mieux.

  • Des gens heureux, un livre optimiste: voilà qui changera de mes dernières lectures !

    J'ai eu en main un Francis Danemark hier en bibliothèque et y ai renoncé à cause justement du titre (que j'ai trouvé) idiot. Les auteurs très valables ont tendance à user aujourd'hui de titres racoleurs. Mode (je passe pour un vieux ronchon) ou technique de vente (je passe pour un vieux parano) ?

  • Vous lisez beaucoup trop vite pour moi Tania. J'en suis encore à "la neige en Juin" que j'ai enfin réussi à dégoter.
    Imaginez un peu ma vitesse de lecture. Je m'attarde, je relis, je commente, je déguste, j'en parle, j'en redemande, je relis des passages que j'ai beaucoup aimés, j'essaie de me souvenir d'une phrase ou d'un terme qui m'a interpellé...un travail de longue haleine ou plutôt de longue alênecar les livres sont pour moi comme de la couture.
    Alors je mets "Histoire d’Alice qui ne pensait jamais à rien (et de tous ses maris, plus un" de Dannemark sur ma longue et interminable liste. Je n'aurai sans doute pas assez d'une vie pour tout lire.

  • @ Christw : Comme vous, je préfère les titres plus courts et qui gardent un peu de mystère. Mode ou racolage, je ne sais, ni quelle est la part de l'auteur ou de l'éditeur dans ces choix. Une pandémie, disait Jérôme Ferrari dans le BibliObs : http://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20100908.BIB5601/l-039-art-du-titre-connait-des-evolutions-inattendues-qui-n-039-en-finissent-d-039-ailleurs-pas-de-surprendre.html
    C'est la lecture des premières pages qui m'a décidée à entrer dans ce roman, et peut-être l'épigraphe : "Le monde ne mourra jamais par manque de merveilles, mais par manque d'émerveillement." (Chesterton)

    @ Gérard : Désolée d'allonger votre liste, Gérard, mais convenez que cela vous offre du choix. Ravie de vous savoir avec Michèle Lesbre, prenez votre temps, savourez. (Quant à votre dernière phrase, je me la dis tous les jours, c'est une des raisons ;-) Bonne journée, venteuse chez vous aussi ?

  • Il a l'air bien charmant ce livre, une qualité bienvenue en ce moment mais pas toujours facile à trouver.

  • @ MH : Sans doute.

    @ Annie : Je lis dans le TLF que "l'adjectif charmant s'est affadi encore davantage que le substantif charme ou le verbe charmer. L'emploi ironique est devenu fréquent." Quel dommage ! Pour moi aussi le charme est bienvenu, Annie, merci pour vos commentaires.

  • Un petit surf sur le net et ce dont je me doutais (c'était trop gros) s'avère exact : la photo est trafiquée ! Ce n'est pas le genre de l'auteur de se mettre ainsi en scène, il n'y a qu'à lire sa bio. Reste à comprendre pourquoi cette photo circule.
    Je te laisse le plaisir de trouver l'image qui a servi à construire le subterfuge... http://www.retronaut.com/2012/11/alice-liddell-hargreaves-of-alice-in-wonderland/
    Mais ceci n'enlève rien à la qualité de ton billet qui me donne très envie de lire ce roman "souriant" ;-)

  • @ MH : Je suis confuse d'avoir repris ce montage sans m'interroger davantage, tu as raison et je vais immédiatement modifier la légende. Merci pour le lien vers de vraies photos d'Alice Liddell.

    @ La bacchante : Voir ci-dessus, bonne journée à toi.

  • oups je me suis trompée de billet, c'était "histoire d'alice qui ne pensait à rien", mais mon commentaire reste le même ;)

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