Traduit du persan (Iran), Un jour avant Pâques de Zoyâ Pirzâd (2008) raconte l’histoire d’une famille d’abord installée au bord de la mer Caspienne puis à Téhéran. Edmond Lazarian a grandi dans une maison mitoyenne avec l’église et l’école arméniennes. A douze ans, il est surtout l’ami de Tahereh, la fille du concierge de l’école – son père ne voit pas d’un bon œil qu’il fréquente une famille musulmane. Quelques jours avant Pâques, lorsque les orangers de la cour intérieure fleurissent,
il capture une coccinelle : la légende dit qu’à la première coccinelle aperçue, on peut faire un vœu qui sera exaucé avant Pâques. Toute la journée, il se tracasse en classe,
il a oublié de trouer la boîte d’allumettes et craint pour la vie de sa prisonnière. Et comme son père, à la sortie de l’école, l’oblige à l’accompagner chez le coiffeur, au retour, il est trop tard. La coccinelle est morte, et l’enfant en pleurs.
Ainsi commence l’évocation d’une enfance marquée par la culture arménienne – Madame Grigorian, une amie de sa grand-mère, en est la dépositaire respectée, « la seule Arménienne de la ville à avoir vu l’Arménie ». Au cimetière de l’église, où il est interdit de jouer, mais dont Tahereh qui est un peu sorcière aime faire un terrain de cache-cache, Edmond est particulièrement impressionné par la tombe « de la femme du marchand ». A la mort de son mari, celle-ci s’est fait sculpter en train de lire, grandeur nature, pour lui tenir compagnie – avant de partir avec le sculpteur. Mais
« la plus belle femme du monde », pour le garçon, c’est la mère de Tahereh, grande et mince, discrète, malheureuse victime des mauvais traitements de son époux. Edmond l’aperçoit un jour, en larmes, qui se confie au directeur de l’école dans sa pièce « pleine de livres ».
Dans la deuxième partie du roman, un jour avant Pâques, Alenouche, la fille d’Edmond, annonce à ses parents qu’elle va se marier avec Bezhad, ce qui laisse sa mère Marta sans réaction. Heureusement, se dit le père, que sa grand-mère est morte : épouser un non-arménien ! Depuis l’enfance, sa fille se montre rebelle à la religion. Edmond est maintenant le directeur de l’école, mais se laisse remplacer de plus en plus souvent par Danik, la surveillante-générale, devenue la meilleure amie de Marta. A la naissance d’Alenouche, sa femme qui s’entendait particulièrement bien avec la grand-mère d’Edmond avait reçu d’elle sa bague de fiançailles en diamant.
Si le récit, de chapitre en chapitre, change de génération, Zoyâ Persâd intègre dans chacun d’eux de multiples flash-backs. Par exemple, Edmond se souvient des disputes entre ses propres parents et du jour où sa mère avait récupéré une armoire et un lit pour les installer dans un débarras non loin de sa chambre de garçon : ce serait dorénavant la chambre de sa mère, ornée avec soin, une pièce très agréable où il aimait à se tenir près d’elle. Quant à Bezhad, l’étudiant dont Alenouche ne cesse de faire l’éloge, à sa première invitation chez eux, il déclare : « Il n’y a qu’une seule chose que je ne tolère pas, c’est l’intolérance. » Pas étonnant qu’il s’entende avec sa fille qui, du haut de ses six ans, avait un jour répliqué à sa mère : « Maman, je n’ai pas la patience d’écouter tes sermons ! » Les souvenirs d’Edmond envahissent de plus en plus le récit, concernant sa mère, son enfance, son mariage, les déménagements.
Au dernier chapitre, c’est à nouveau la veille de Pâques – le moment le plus fort de la religion arménienne. Sa femme Marta n’est plus, ni sa mère qui lui avait offert, le jour de sa réussite au baccalauréat, un stylo-plume avec un flacon d’encre verte parce qu’elle aimait « tout et tous ceux qui se distinguent ». Alenouche s’est éloignée, mais Danik est toujours là pour fêter Pâques avec lui et lui donner un cadeau, un geste que Marta faisait si bien, elle qui avait toujours le cadeau approprié pour chacun, alors qu’Edmond ne sait jamais quoi offrir. Il y a beaucoup de délicatesse et de sensibilité dans Un jour avant Pâques, une délicieuse incursion dans les rituels et dans l’intimité d’une famille arménienne qui évolue avec son temps, mais garde ses traditions les plus précieuses.
Commentaires
Voilà un bon moment que je tourne autour de cette auteure sans me lancer vraiment. Ton billet va me donner une bonne impulsion ! J'aime beaucoup ces livres qui évoquent d'autres cultures et d'autres lieux.
Voilà un billet fort intéressant. Sans doute sais tu qu'elle a gagné le prix 2009 du Courrier International (meilleur roman étranger traduit en français) pour son recueil: "Le goût âpre des kakis". Tu l'as lu?
Bonne journée amie.
@ Aifelle: ce livre te plaira, je pense. Bonne lecture.
@ Colo: oui, j'ai vu cela, et je le lirai certainement. Bonne journée.
L'occasion de mieux connaître l'Arménie, merci aussi pour les liens.
J'ai en projet de découvrir cet écrivain, ce sera sans doute avec le goût âpre des kakis.