« Du cri à l’écrit ». Ce 27 avril, à l’invitation du Centre Scolaire des Dames de Marie, j’ai participé à une soirée passionnante consacrée à Primo Levi, le vernissage d’une exposition de la Fondation Auschwitz intitulée « Primo Levi : de la survie à l’œuvre ». Lire la littérature étrangère est une activité phare du cours de français en rhétorique dans cette école secondaire bruxelloise (qui a fêté en 2006 ses 150 ans). En lien avec les cours de religion et d’histoire, ses élèves viennent de visiter le siège de la Fondation et puis le Fort de Breendonk. En mai, d’autres rencontres sont programmées, et aussi une projection de Nuit et Brouillard d’Alain Resnais.
Lire Primo Levi est une expérience au-delà de la littérature, d’un autre ordre. Après Auschwitz, celui-ci s’est donné comme but de témoigner, afin qu’une chose pareille n’arrive plus jamais. Dans sa biographie Primo Levi ou la tragédie d’un optimiste, Myriam Anissimov rappelle que rien ne prédisposait à la littérature ce jeune chimiste judéo-piémontais agnostique passionné par la science, qui, après l’indicible expérience concentrationnaire, n’a cessé de dire et d’écrire. Il est de ceux « qui ont su surmonter la tentation d’évacuer l’horreur et la douleur, en mettant leur intelligence, leur honnêteté, leur sensibilité au service de l’humanité. Pour l’avenir. » (René de Ceccaty, Le Monde, 21.1.2005)
La Fondation Auschwitz, comme l’a rappelé son secrétaire général, Henri Goldberg, enfant caché, s’est constituée en 1980 à partir de l’Amicale des Ex-Prisonniers politiques d’Auschwitz-Birkenau, Camps et Prisons de Silésie, pour perpétuer la mémoire des crimes et génocides nazis et, tournée vers les jeunes, promouvoir une éducation, une formation et une recherche qui éclairent la conscience collective contemporaine. Voyage d’études annuel à Auschwitz-Birkenau, visite à Breendonk, concours de dissertation, bibliothèque, photothèque, prix, les nombreuses activités de la Fondation permettent aussi, au sein des écoles, d’organiser des conférences et des expositions.
L’exposé de Philippe Mesnard, directeur de la Fondation, avait pour thème : « La Trêve a-t-elle eu un sens pour Primo Levi ? » Centré sur Primo Levi le témoin, il a montré comment cet Italien de Turin qui savait à peine, avant la guerre, qu’il était juif, a survécu à Auschwitz en écrivant, devoir de mémoire pour celui qui en était sorti vivant. Ses premiers textes pour Si c’est un homme ne trouvent pas d’éditeur, l’Italie en a assez des horreurs de la guerre, et Primo Levi ne sera finalement publié que grâce à l’appui de déportés, dans une petite maison d’édition, en 1947, sans grand écho. Mais Se questo è un uomo est réédité chez Giulio Einaudi en 1958 et dès lors, traduit, commenté, lu et relu, devient ce texte majeur de la littérature concentrationnaire pour le monde entier.
Après avoir restitué, étape par étape, les circonstances d’une vie et les préoccupations qui sous-tendent l’engagement de l’écrivain italien, le conférencier a commenté deux extraits. D’abord « La zone grise » (Les Naufragés et les Rescapés. Quarante ans après Auschwitz, 1986) qui s’ouvre sur cette question : « Avons-nous été capables, nous qui sommes rentrés, de comprendre et de faire comprendre nos expériences ? » Puis un passage de La Trêve (1963), le récit du retour (après l’arrivée des Russes au camp où seuls les malades n’avaient pas été évacués, il lui faudra attendre neuf mois pour rentrer chez lui à Turin) – « la maison était toujours debout, toute ma famille, vivante, personne ne m’attendait. »
Malgré « la joie libératrice de raconter », il mettra des mois à se réhabituer à un lit moelleux, à perdre l’obsession de la nourriture. Mais un rêve terrible le visite toujours, où tout s’écroule, où le chaos l’environne, où il se retrouve à Auschwitz. Invité dans les lycées italiens, Primo Levi a exercé trois métiers : chimiste, écrivain et « présentateur-commentateur de moi-même, ou plutôt, écrit-il en 1976, de cet autre et lointain moi-même qui avait vécu l’épisode d’Auschwitz et l’avait raconté. » Témoigner par l’écrit, témoigner par la parole. En 1987, il se donne la mort dans la cage d’escalier de son immeuble.
L’exposition « Primo Levi : de la survie à l’œuvre » est présentée dans la belle bibliothèque du Centre Scolaire des Dames de Marie, installée dans l’ancienne chapelle néo-gothique. Trente panneaux richement illustrés présentent un homme « aux multiples facettes » et son œuvre, ainsi que l’histoire de la Déportation, les camps d’Auschwitz, l’univers concentrationnaire. Des documents filmés sont projetés, près de l’escalier qui mène à la mezzanine. La direction, Mme El Akel et ses élèves du troisième degré ont accueilli le public avec beaucoup de gentillesse, encore merci. L’exposition est ouverte au public sur rendez-vous, jusqu’au 5 mai.