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fêtes

  • Comme sur une scène

    Bona Divine Jacqueline.jpg« Elle le manifeste aussi, ce goût pour la scène, dans sa façon de marcher, de se déplacer, de prendre des poses, à chaque instant de sa vie quotidienne, et puis, on le sait, elle a l’art des entrées. En bref, elle agit consciemment ou non comme si le public était là, tout le temps là, pour la regarder.
    Le costume, c’est le premier acte théâtral, la manifestation du personnage. Jacqueline de Ribes soigne ses apparitions. Quand elle s’apprête, c’est pour affronter le public qui l’attend et qu’elle ne veut pas décevoir. Elle entre chaque jour dans sa propre vie comme sur une scène. »

    Dominique Bona, Divine Jacqueline

  • Ribes ou l'élégance

    Dans Divine Jacqueline, Dominique Bona ne parle ni d’une artiste ni d’un écrivain, mais d’une femme réputée pour son élégance exceptionnelle – « la dernière reine de Paris, la survivante d’un monde à jamais disparu » –, un modèle vivant qu’elle a pu interroger, qui lui a ouvert ses archives. Parmi les photos projetées sur la façade de l’Empire State Building le 19 avril 2017, à l’occasion des cent cinquante ans de Harper’s Bazaar, figurait une seule Française au « profil de pharaonne », celui de « la femme la plus stylée du monde » selon la presse américaine. En 2015, le Metropolitan Museum of Art lui a consacré une exposition prestigieuse : « Jacqueline de Ribes, the Art of Style ».

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    Jacqueline de Ribes photographiée par Richard Avedon, 1962 (détail)

    Dominique Bona se souvient de leur premier entretien dans un hôtel parisien : « Très haute, très droite, elle s’arrête un instant dans l’encadrement de la porte ». Son allure impressionne, même à l’approche de ses quatre-vingt-dix ans. « Un nom d’ancienne France. Un titre de comtesse, après celui de vicomtesse qu’elle a porté jusqu’à l’âge de cinquante-trois ans. Un rang social assuré. Une fortune, non moins exceptionnelle, héritée au berceau. Et le train de vie luxueux qui en découle. Enfin pour couronner le tout, la beauté, qui est un don des fées, une beauté enviable. »

    Intriguée par l’histoire de cette « super-privilégiée », Bona l’académicienne s’intéresse à sa conception de l’élégance : pas qu’une affaire de vêtements, mais d’attitude, de recherche, de rigueur et de dignité – « une lutte permanente ». Jacqueline de Ribes porte de la Haute Couture, inspire les créateurs. Pour Yves Saint Laurent, elle était « Oriane », la duchesse de Guermantes. S’habiller est sa passion, elle aime concevoir des robes, des costumes ; elle a eu sa propre marque. « Elle est à sa façon une artiste, une artiste de soi. Car elle aime se créer. Sans cesse travailler son image. »

    L’hôtel particulier des Ribes est au 50, rue de la Bienfaisance (Paris 8e). A l’occasion de son élection à l’Académie française, au printemps 2013, Bona y a été conviée à un « petit dîner » de vingt-quatre personnes en deux tables de douze. Elle y découvre un univers très proustien : argenterie, cristal, bougies, service en gants blancs. 

    « Née Bonnin de la Bonninière de Beaumont », un nom qui remonte aux Croisades, Jacqueline a pris son grand-père maternel pour modèle, Olivier de Rivaud, « un self-made-man », créateur de la banque Rivaud, passionné de courses. Elle ressemble à sa grand-mère Nicole de Rivaud, grande, élégante, qu’elle a beaucoup observée. « Je suis la fille de mes grands-parents. » Elle affirme que ses parents « n’aimaient pas les enfants, encore moins les leurs. »

    La biographe s’intéresse aux ascendants, aux carrières, aux relations, aux modes de vie des uns et des autres. Jean de Beaumont aimait le sport, la chasse, les femmes. Paule de Beaumont avait toutes les qualités, mais pour sa fille, cette femme merveilleuse fut une mère sans amour, « distante et froide ». Jacqueline est née en juillet 1929, dix mois après leur mariage. En pension, elle n’a reçu aucune visite de sa mère, à qui ses propres parents avaient donné « une éducation parfaite mais pareillement distante. »

    A dix-huit ans, elle rencontre Edouard de Ribes, vingt-quatre ans, aussitôt amoureux de la « belle gazelle ». Ils se marient en 1948 et habitent dans une aile de l’hôtel du comte et de la comtesse de Ribes, très conservateurs, qui imposent les rites et les horaires. Dominique Bona décrit le manque de lumière en journée dans cet hôtel « musée », qui se métamorphose la nuit pour les grands dîners en lieu féerique. Les enfants Ribes, à leur tour, verront peu leur mère.

    Son fils se souvient des moments où celle-ci passait dans sa chambre se montrer à lui en robe du soir. A seize ans, Jacqueline avait rencontré Christian Dior et visité ses ateliers. Elle coud elle-même, retouche ses toilettes, elle sait construire une robe. Les fêtes, les bals costumés excitent sa fantaisie créative. Elle conserve tous ses costumes. Ses réceptions sont éblouissantes, elle soigne tous les détails.

    Divine Jacqueline (le nom de la collection printemps-été 1999 de Jean-Paul Gaultier, en son honneur) : pour découvrir cette femme immortalisée par les meilleurs photographes, on suit Jacqueline de Ribes dans une succession de mondanités parisiennes et cosmopolites. Son goût du paraître, elle le met aussi au service des galas de charité et du mécénat, de productions théâtrales. Elle tient à ce que sa vie soit « un peu utile » et la mise en œuvre de ses projets, d’événements, l’exercice constant de sa créativité, lui ont permis de se libérer dans une certaine mesure de sa cage dorée.

  • Joie de Vivre

    Le 17 janvier, dans une semaine, l’exposition « Joie de Vivre » fermera ses portes au Palais des Beaux-Arts de Lille – une sélection thématique qui traverse les siècles et qui remplit sa promesse : vraiment réjouissante ! J’ai passé à Lille une excellente journée vendredi dernier, le soleil en prime (dedans et dehors).

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    © Niki de Saint Phalle (1930-2002), Nana jaune, 1995
    Polyester peint, 220 x 110 x 300 cm - Collection particulière

    Une Nana jaune de Niki de Saint-Phalle accueille les visiteurs dans l’atrium où le titre de l’exposition s’affiche en néons graphiques, comme à l’entrée de ses différentes sections. Puis on emprunte un couloir de quatre mille étiquettes « La Vache qui rit » rassemblées par Wim Delvoye sous un titre emprunté à Darwin : de quoi s’amuser à observer l’évolution de l’emballage pour mieux emballer le consommateur – et tirer la langue au pop-art ?

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    © Mark Handforth (1969-), Rising Sun, 2003
    Installation murale, tubes fluo, câbles électriques, 700 x 1 200 cm
    Collection FRAC Poitou-Charentes

    Un immense soleil de néon (Rising sun, Mark Handforth) invite dans la première salle, « Sous le soleil ». Une grande toile d’Edward Munch, Hommes se baignant, montre des baigneurs nus, de face, et d’autre dans la mer : du jaune sur un dos, un torse, une épaule, une cuisse, sur la plage, et des vibrations solaires qui se mêlent à la fraîcheur de l’eau striée de vert et de bleu. Splendide !

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    Edvard Munch (1863-1944), Hommes se baignant, 1907-1908
    Huile sur toile, 206 x 227 cm, Helsinki, Ateneum Art Museum / Finnish National Gallery, Collection Antell

    Il y a de quoi nous retenir longuement ici : L’air du soir d’Henri-Edmond Cross (baigneuses et promeneuses) et d’autres œuvres dont ses célèbres Iles d’or ; L’Eau de Frantisek Kupka, la plus belle évocation du plaisir que l’on ressent en se baignant que j’aie jamais vue en peinture , et aussi Rythme, joie de vivre de Robert Delaunay, un grand format où les couleurs vives s’enroulent et nous emportent.

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    © František Kupka (1871-1957), L’Eau, 1906-1909
    Huile sur toile, 63 x 80 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle
    Dépôt au musée des Beaux-Arts de Nancy, 1998, Don d’Eugénie Kupka en 1963

    Le bonheur est illustré d’abord par des scènes de jeux. Sur un bas-relief romain du IIe siècle, des garçons en tuniques courtes font rouler des balles à terre, des filles en jupes longues lancent des balles en l’air. En face, un charmant portrait par Chardin d’une fillette tenant d’une main sa raquette, de l’autre un volant à plumes – des couleurs et une harmonie inégalables (Petite fille jouant au volant).

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    Jean Siméon Chardin (1699 - 1779), Petite fille jouant au volant, 1737
    Huile sur toile, 83 x 66 cm - Florence, Galerie des Offices

    Un ensemble de quatre photographies d’Elger Esser montre deux enfants jouant les pieds dans l’eau près de rochers : un polyptique plein d’atmosphère et, à mes yeux, la seule photographie qui soit ici à la hauteur des tableaux exposés autour. Une scène délicieuse à observer : Le Maître peintre de Jan Verhas, où un enfant blond s’exerce à l’aquarelle sous les yeux d’autres enfants attentifs et souriants.

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    Albert Fourié (1854-1937), Un repas de noces à Yport, 1886
    Huile sur toile, 245 x 355 cm Rouen, musée des Beaux-Arts

    Puis ce sont des « parties de campagne » : Un repas de noces à Yport d’Albert Fourié montre en grand format de joyeux convives attablés à l’ombre d’un arbre. Le verger en haut, la nappe blanche en bas, vie et lumière. Quel plaisir de revoir plus loin Jour de fête de Kouznetsov (et quel contraste avec la sculpture placée en dessous, La sieste, un marbre de Denis Foyatier).

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    Gustave Crauk (1827-1905), Le Baiser, 1901
    Plâtre patiné, 79 x 70 x 62 cm - Lille, Palais des Beaux-Arts

    Le Baiser de Gustave Crauk, tendre étreinte entre une jeune mère et son enfant (le cartel attire l’attention sur les petites ailes de celui-ci, allusion à son décès), occupe le centre d’une salle sur le thème des « liens » familiaux ou amicaux. Même tendresse entre Silène et Bacchus enfant, un bronze du Louvre (d’après Lysippe). De Renoir, dont j’ai omis de signaler au début du parcours une belle étude (Torse, sous le soleil), voici Gabrielle et Jean, tout en douceur. Une Vierge à l’enfant d’après Rogier van der Weyden (XVe s.) montre Marie allaitant Jésus : ses vêtements d’un rose subtil ressortent sur le fond bleu du panneau entouré de guirlandes de fleurs et de fruits sur fond doré. 

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    Rogier van der Weyden (d’après), Vierge à l’Enfant, Fin du XVe
    Huile sur bois, 49 x 33 cm - Lille, Palais des Beaux-Arts
    (désolée pour les reflets)

    Dans une tout autre gamme, le rose et le bleu enchantent dans une grande toile de Maurice Denis, Soir de Septembre, aux couleurs irréelles et merveilleuses : il a peint sa famille, femmes et enfants, sur une plage étonnamment bleue où une mer émeraude étale son écume du même rose-orangé que le ciel du soir.

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    Maurice Denis (1870-1943), Soir de septembre, 1911
    Huile sur toile, 130 x 180 cm - Nantes, musée des Beaux-Arts

    Pour illustrer les deux salles consacrées aux « liesses » (bals, carnavals, fêtes, festins), je me limiterai à un peintre que je ne connaissais pas, Georges-Antoine Rochegrosse, et à son Bal des quat’z’arts descendant les Champs-Elysées : les étudiants de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris forment un joyeux cortège avec leurs modèles. Costumes anciens et exotiques, nus, musiciens, cavaliers, ombrelles – et même une chatte et ses petits, non loin d’une pie ! –, c’est un défilé rieur qui descend de l’Arc-de-Triomphe sous surveillance (un policier de dos, sous un réverbère). Un tableau très gai, composé en diagonale, avec le sol clair qui fait ressortir le chatoiement des étoffes et des couleurs.

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    Georges-Antoine Rochegrosse (1859-1938), Le Bal des Quat’zarts descendant les Champs-Élysées, 1894
    Huile sur toile, 153 x 215 cm - Paris, École nationale supérieure des beaux-arts

    Deux salles aussi pour les « corps joyeux » – course exaltée des baigneuses de Picasso avec le vent, l’affiche de l’exposition – et trois très belles sculptures sensuelles de Rodin : L’Ange déchu, Eternelle idole et Torse d’Adèle. (Plus loin aussi, de merveilleuses Mains d’amants en plâtre.) Une petite plaque d’ivoire ronde (« valve de boîte à miroir », XIVe) représente avec finesse, de part et d’autre d’un arbre, un couple visé par Cupidon juché sur une branche, et un couple en train de s’embrasser – l’éternelle histoire.

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    Anonyme (Paris), Valve de boîte à miroir : L’Amour et deux couples, Deuxième quart du XIVe siècle
    Ivoire, Diam. 9 cm - Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge

    Hans Peter Feldmann s’est amusé, en 2014, à copier le fameux portrait de Jeune fille au repos par François Boucher : même pose aguichante, mêmes effets de jambes et d’étoffes, mais avec quelques variantes dont la plus drôle est bien l’anachronique contraste de la peau restée blanche sous le bikini de la demoiselle !

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    François Boucher (1703-1770), Jeune fille au repos (Louise O’Murphy), 1751
    Huile sur toile, 59,5 x 73,5 cm - Cologne, Wallraf-Richartz-Museum

    © Hans Peter Feldmann (1941-), Sans titre, 2014
    Huile sur toile , 40 x 50 cm - Allemagne, collection de l’artiste

    « Rires » pour terminer : un sujet plutôt rare en peinture et en sculpture, et difficile, non ? J’ai aimé celui du Jeune garçon riant de Frans Hals et le fin sourire d’un ange sculpté du XIIIe siècle (Tête d’ange provenant de Saint-Louis de Poissy).

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    Anonyme (Poissy), Tête d’ange provenant de Saint-Louis de Poissy, Après 1297
    Calcaire, 19,5 x 18 x 16,5 cm. Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge

    Dans l’atrium, des scènes de films sont proposées en boucle, les titres sont repris dans le dossier de presse, ainsi que toutes les œuvres exposées. « Joie de Vivre » : un thème stimulant pour commencer l’année. J’ai apprécié l’aménagement des espaces d’exposition avec leurs seuils panoptiques (vue d’ensemble de chaque salle dès l’entrée) et aussi les citations proposées au bas des murs (peut-être un peu trop bas) sur une bande colorée. « Toute joie parfaite consiste en la joie de vivre, et en elle seule. » (Clément Rosset)