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  • Enfin

    sibilla,aleramo,une femme,roman,autobiographie,littérature italienne,condition féminine,féminisme,mariage,maternité,travail,société,écriture« Enfin, j’acceptais en moi le dur devoir de marcher seule, de lutter seule, de mettre au jour tout ce qui montait en moi de plus fort, de plus pur, de plus beau. Enfin, je rougissais de mes inutiles remords, de ma longue souffrance stérile, de la désaffection dans laquelle j’avais laissé mon esprit comme si je l’avais haï. Enfin, je goûtais la saveur de la vie comme à quinze ans. »

    Sibilla Aleramo, Une femme

  • Devenir une femme

    De Sibilla Aleramo (1876-1960), rencontrée pour la première fois en lisant Ursa minor, les éditions des femmes ont eu la bonne idée de rééditer Une femme, l’autobiographie romancée avec laquelle l’écrivaine italienne connut un grand succès en 1906. « J’ai eu une enfance libre et vive » : vous pouvez écouter Emmanuelle Riva en lire les premières pages en ligne.

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    Enfance et jeunesse, mariage, rupture : c’est le fil de sa vie qu’elle déroule jusqu’à ses trente ans – et l’écriture pour se sauver, pour témoigner. Elle dit d’abord l’adoration qu’elle avait pour son père, « le modèle lumineux de [sa] petite personne », attentif à ses études et ses lectures. Sa mère, d’origine plus modeste, pieuse, se confiait peu et subissait jusqu’aux larmes l’autorité souvent cinglante de son mari.

    Quand son père décide de quitter Milan pour diriger une entreprise chimique dans le Midi, Sibilla, douze ans, est éblouie par le soleil, la  mer, le ciel – « un immense sourire au-dessus de moi ». Ses études sont interrompues : son père fait d’elle son employée, sa future secrétaire ; la voilà devenue « un individu affairé et convaincu de l’importance de [sa] mission », s’intéressant aux grands et petits événements de l’usine, observant les ouvriers.

    Sa mère ne s’en préoccupe pas, reste timide, mal à l’aise, souvent triste. Pour la première fois, l’adolescente la voit comme « une malade très atteinte qui ne veut rien dire de son mal. » Trois ans plus tard, une tentative de suicide de sa mère confirme la menace et Sibilla se reproche de la soutenir trop peu. A quinze ans, elle se métamorphose, on la remarque et en particulier, un jeune employé de son père.

    C’est l’année des chocs : elle apprend que son père, qu’elle pensait loyal, a une maîtresse, et bientôt sa mère le sait aussi. Même si elle se croit « quelqu’un de libre et de fort », Sibilla se retrouve de plus en plus sous l’emprise d’un employé amoureux qui un jour, dans les bureaux de l’usine, pousse plus loin les caresses et la viole avant de s’enfuir – « C’était cela, appartenir à un homme ? »

    Non seulement elle n’en dit rien à personne, mais elle accepte d’être fiancée à cet homme, puis de l’épouser, comme si quitter ses parents suffirait à lui rendre la stabilité perdue. La désillusion est totale, qu’il s’agisse de sa vie conjugale ou de sa belle-famille, sans compter l’égarement de plus en plus marqué qui va conduire sa mère à l’asile. Dans ses relations, elle n’a de conversation intéressante qu’avec un jeune docteur toscan, « cultivé et d’intelligence vive ». Elle a le sentiment que tout est vain, « le bonheur et la souffrance, l’effort et la révolte : il ne restait que la noblesse de la résignation. »

    L’événement qui lui rend goût à la vie, c’est la naissance de son fils, sur qui elle reporte tout son amour. Elle voit maintenant « deux projets distincts » occuper ses pensées : aimer et éduquer son fils, exprimer dans l’art ce qui la bouleverse – « le plan d’un livre se dessinait dans ma tête. » Son mari lui est devenu indifférent, elle se reproche d’avoir négligé son « moi profond et sincère », elle répond même aux attentions d’un autre homme. La jalousie rendra son mari violent, tyrannique même, jusqu’à l’enfermer chez eux, mais elle écrit, elle renaît. « Un cycle se terminait, l’ordre se rétablissait. »

    Ses débuts d’écrivain, des notes brèves sur l’enfant, sur ses impressions, sur la vie, vont de pair avec un regard nouveau sur le monde. La tranquillité, la solitude l’amènent à lire un livre que lui avait offert son père, d’un sociologue qui éveille sa réflexion sur les situations sociales, sur la condition féminine. « Grâce aux livres je n’étais plus seule, j’étais un individu qui prêtait attention, consentait et collaborait à un effort collectif. »

    Sibilla Aleramo s’interroge sur la misère sociale, sur la manière d’éduquer un enfant. Pour elle, « la bonne mère ne doit pas être comme la [sienne] une pauvre créature à sacrifier ; elle doit être une femme, une personne humaine. » Les premières études qu’elle lit sur le « mouvement féminin en Angleterre et dans les pays scandinaves » la tirent hors de « la grande foule des inconscientes, des inertes, des résignées ». Un journal de Rome publie un petit article d’elle. « Vivre ! Je le voulais désormais non plus seulement pour mon fils, mais pour moi, pour tous. »

    En partant vivre à Rome – son mari, en dispute avec son père, a démissionné – la jeune femme va enfin trouver un travail et des relations à la hauteur de ses ambitions personnelles. L’amitié d’une dessinatrice employée par la revue qui l’a engagée, les discussions avec d’autres sur l’art et la littérature, sur la société, font émerger en elle une femme qui n’a plus peur de s’opposer à son mari, même s’il menace de lui enlever son fils. Une femme est le récit d’une dignité retrouvée.

  • Rien ne se répète

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    « Apprendre à l’école de la vie ! C’est ce que nous nous répétons à chaque tournant, et chaque fois nous y croyons ! Alors qu’en réalité rien ne nous sert de leçon, que rien ne se répète pareillement, et qu’il n’y a qu’une chose qui reste égale dans le temps : notre regard, quand il s’élève de la vie vers le fond du ciel, dans une persuasion d’oubli. »

    Sibilla Aleramo, Ursa minor

  • L'aube de nouveau

    C’est à la Librairie du Port de Toulon que le nom de Sibilla Aleramo a retenu mon attention, avec ce titre : Ursa minor, Notes de carnet et d’autres encore. « Les carnets intimes de la pasionaria des lettres italiennes ». Parmi ceux qu’elle fascina : Gorki, Colette, Anatole France, D’Annunzio, Rodin et Stefan Zweig qui aurait déclaré après l’avoir rencontrée : « Qui n’a pas vu Sibilla Aleramo à Rome en cette première décennie du vingtième siècle n’a rien vu. » (Quatrième de couverture)

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    Sibilla Aleramo
    (1876-1960) (Source)

    Ursa minor (Orsa minore, Note di taccuino), son « livre secret » publié à Milan en 1938, recueille des notes de carnet en réalité écrites sur des feuilles volantes, « au gré des temps et des lieux », indique-t-elle dans la préface, où elle veut croire « à leur jeunesse intacte ». Aperçus d’une femme : l’une de ses idées fixes est de croire à « l’autonomie de l’esprit féminin ; celle de prétendre que l’écrivaine, la poétesse se différencient nettement de l’écrivain, du poète ».

    Le premier fragment mériterait d’être cité en entier : « C’est l’aube de nouveau : tu ne devines pas encore si elle se teintera de rose ou de gris : n’importe, lève-toi, c’est un nouveau jour, tout recommence, et tout ce qui était hier est submergé, grâce aux quelques petites heures de la nuit qui sont passées sur toi comme la mort passe entre deux générations. Lève-toi, l’aube est faite pour la créature qui sait ainsi se présenter d’elle-même chaque jour à la vie.[…] » (Les notes ne sont pas datées, sauf certaines reprises dans une note finale ; le 8 mai 1912 pour celle-ci. Parfois elles commencent par un titre, thème ou lieu.)

    Peu d’anedotes. Sibilla Aleramo jette sur le papier, au présent, des pensées, des émotions, des aphorismes : « Je ne suis pas portée à m’emparer des choses : les choses viennent à moi - et je me fonds en elles. » Intuition, mensonge, sincérité, création, tout nourrit sa réflexion. Et les lectures (Novalis, Colette, Shakespeare…) et les rencontres (« La fillette qui ressemble à celle que je fus. »)

    Ses impressions naissent de son passage dans un lieu ou d’un événement : celles d’un samedi saint en train « parmi les champs de la Romagne », après avoir appris que Giovanni Pascoli agonise, deviennent un hommage funèbre au latiniste et poète (« Le bourdon du pèlerin »). « Ravenne », elle l’évoque dans un tableau coloré, puis par la visite d’un mausolée.

    « Saisons d’Assise » : dessin d’un paysage, méditation sur la figure de saint François, poète en chacune de ses actions, « homme libre », observation des visiteurs d’Assise, douceur d’un « cyprès brun, avec son petit cyprès à côté », « violet de l’ombre », « souplesse » des lignes. « Le regard ne saurait désirer se porter au-delà ; tout ce que la terre a de plus suave tient dans cette coupe violette. »

    Au « souriant visage ivoirin de Gabriele D’Annunzio » que le nom de Rimbaud a fait frémir, Sibilla Aleramo raconte sa visite à sa sœur Isabelle dans la petite maison d’Auteuil qu’elle habitait avec son mari, Paterne Berrichon, devenu le biographe dévoué de son beau-frère Jean-Arthur. Douleur, joie, autant de manifestations humaines de l’existence. « Chacun de nous croit presser la vie contre son cœur plus fortement que tout autre. (…) Alors que chacun n’est jamais qu’un aspect infinitésimal du mystère. »

    En littérature, elle commente aussi bien le théâtre – Strindberg (Maitre Olof), Claudel (L’Echange) – que la poésie (« Poésie, je veux embrasser un pan de ton voile vert, en ce matin de mai où tu me souris de tes yeux de reine ») ou encore la philosophie (Nietzche, surtout). « La folie, ce n’est peut-être que la solitude perpétuelle devant sa propre pensée inexprimée. »

    Ursa minor s’arrête aux livres (hommage à la grandeur de Balzac, redécouvert dans une maison où elle trouve son œuvre complète), à la musique, à la sculpture (Michel-Ange, Rodin), mais le plus souvent, Sibilla Aleramo est à la recherche d’une réflexion qui soit vraiment originale, à l’écoute des « influx spirituels ». Elle, c’est de sa vie qu’elle voudrait faire une œuvre d’art.

    Le nom de Benito Mussolini, « thaumaturge grandiose » apparaît quand elle se réjouit de la lutte contre la malaria et pour la scolarisation des paysans nomades à laquelle elle a participé avec un médecin et avec son compagnon, Giovanni Cena, de 1902 à 1909) – troublant mélange d’action sociale et de fascisme.

    Sibilla Aleramo, née Rina Faccio, doit à ce dernier son prénom d’écrivain : « Je la découvris et l’appelai Sibilla » (Cena dans son sonnet « En elle palpite l’humanité future »). Son nom, elle l’a puisé dans une ode de Carducci au Piémont, où elle-même est née. Il lui importe de donner un sens à son destin : « Etre certaine de pouvoir faire quelque chose qui vaille tout le temps que j’emploie à m’efforcer de vivre… » Dans « Renaissance », une nuit de pleine lune à Naples, elle écrit : « «  Vis ! Ecris ! » C’était ma loi qui parlait dans l’éclat de l’astre, la loi qui se manifeste et me sauve, toujours ponctuelle, par-delà tout délire et tout désespoir : inflexible, pour un grand rêve qui ne se réalise toujours pas. »

    Autres carnets, en seconde partie, se présente sous la forme d’un journal, irrégulier, de 1901 à 1934. Sibilla Aleramo y note des citations, des impressions, des réflexions, comme dans la première. L’écriture est essentielle : « Fixer sur le papier des pensées sereines, de tendres sentiments ; exprimer par des mots écrits notre fervente vision intérieure de la vie ; céder, spontanément, à l’impulsion d’insuffler à d’autres esprits la même force lumineuse… c’est bon, c’est beau, c’est digne, ce peut être grand… » (1901)

    Journal et notes représentent une aide précieuse pour reconstruire le passé – « Nous devenons presque toujours étrangers à nous-mêmes, au bout d’un certain temps. » Parfois elle semble souffrir de n’être pas artiste, mais elle se reconnaît « l’esprit spéculatif » et se sent dans la plénitude d’être en l’exerçant. Au fil des ans, l’amertume affleure chez celle qui fut davantage la muse du génie que l’artiste vouée à son art, une « compagne de douleur et de douceur ». La part des larmes est indissociable de l’amour, après la passion la solitude et la douleur. L’âge, la maladie, l’obsession d’être « vieille et finie ».

    La notice bio-bibliographique que Sibilla Aleramo rédige elle-même, peu avant de mourir, met en relief son premier livre à grand succès, Une femme (1906), et le deuxième, Le Passage (1919), écrit après sa séparation avec Cena et moins bien accueilli. Dans les petites notes annexes de l’éditeur, on découvre les multiples expériences amoureuses de l’Italienne – une histoire personnelle dont la connaissance permet sans doute de donner une autre dimension aux réflexions d’Ursa minor.