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Textes & prétextes - Page 284

  • Ruine-de-Rome

    reeves,hubert,j'ai vu une fleur sauvage,l'herbier de malicorne,fleurs,botanique,culture,cymbalaire,linaire,ruine-de-rome« Les vieux murs de pierre de Malicorne sont couverts d’une attendrissante petite plante avec une fleur bicolore mauve et jaune, nommée Linaire cymbalaire ou Cymbalaire des murs. Elle porte aussi le nom de Ruine-de-Rome, ce qui laisse deviner son efficacité à escalader les pierres érigées et à couvrir d’immenses surfaces. »

    Hubert Reeves, J’ai vu une fleur sauvage

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    Photos © Patricia Aubertin (merci).

    Je vous invite à découvrir un "simple herbier" sur son beau site intitulé "Un regard sur la nature", en compagnie des arbres, des oiseaux, des jeux d'eau et des saisons.

  • L'herbier de Reeves

    Depuis son passage à La Grande Librairie, où il a fait l’éloge de la Ruine-de-Rome que j’aime tant, j’étais curieuse de lire J’ai vu une fleur sauvage de Hubert Reeves. Le titre vient d’un haïku :

    « J’ai vu une fleur sauvage
    Quand j’ai su son nom
    Je l’ai trouvée plus belle ».

    C’est autour de sa vieille ferme de Malicorne (en Puisaye, Bourgogne – la région natale de Colette) qu’il a observé « la beauté du monde » dans un domaine acquis pour « vivre auprès de grands arbres » en ce qui le concerne, où sa seconde épouse a pu exercer son goût de la restauration pour « faire de cette propriété un lieu d’amitiés et d’échanges ».

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    Source : http://www.gerbeaud.com/livres/j-ai-vu-une-fleur-sauvage-l-herbier-de-malicorne-livre,288.html

    L’astro-physicien franco-canadien, vulgarisateur exceptionnel, s’est engagé depuis longtemps en faveur de l’écologie. « L’herbier de Malicorne » (sous-titre) est un florilège au sens étymologique, suivi de « Propos botaniques ». Des photos de Patricia Aubertin accompagnent ses textes sur ces fleurs sauvages, « des splendeurs à portée de chacun mais que l’on peut piétiner toute sa vie sans jamais se pencher pour les admirer ». Les fleurs ne se trouvant pas à hauteur des yeux dans la nature ; au moins deux photos par espèce les montrent de manière à ce que le lecteur puisse les identifier à son tour. En principe, près de 600 photographies devraient être accessibles sur www.herbier-hubert-reeves.fr, adresse apparemment obsolète.

    Reeves consacre deux, trois pages à chacune des fleurs de son herbier, présentées par ordre alphabétique, de l’Anémone Sylvie à la Vesce sauvage. Ce sont de petits récits personnels plus que des descriptions botaniques, où l’auteur raconte ses rencontres : un lieu, une saison, des circonstances particulières. Il s’émerveille de leur apparition à tel ou tel moment de l’année, vante leur beauté et parfois leurs propriétés, leur génie reproductif – « de la haute technologie végétale » –, prend plaisir à rapporter une légende ou une anecdote.

    C’est dans les Alpes que j’ai appris à mieux observer les fleurs pour les distinguer les unes des autres, ce qui est plus facile avec les grandes qu’avec les petites. Pour soutenir l’effort de la montée, rien de tel que d’observer ce qui pousse au bord du chemin, et le but une fois atteint, quel plaisir de découvrir les fleurs alpines si éclatantes ! Aussi ai-je beaucoup aimé me promener à Malicorne en compagnie d’Hubert Reeves et l’écouter parler tantôt de fleurs que je connais ou croyais connaître, tantôt de belles inconnues.

    « L’Arum tacheté, piège fatal » : nous avons tous vu des arums blancs chez les fleuristes, c’est assez facile de reconnaître la fleur de celui-ci, « également nommé Gouet », qui prospère dans les sous-bois humides au début du printemps, avec des feuilles qui ressemblent à celles des épinards, parfois tachetées de noir. Le « piège » qui assure sa pollinisation est remarquablement astucieux. Pour ma part, ce qui m’a réjouie, c’est d’enfin identifier ces ravissantes petites grappes de baies rouges « hautement toxiques » souvent observées en chemin.

    Connaissez-vous l’origine du velcro ? « Vel » pour velours, « cro » pour crochets ? Reeves explique comment son inventeur s’est inspiré de la Grande Bardane, « du Velcro végétal ». Cherchez-vous « un remède à la fièvre amoureuse » ? Avez-vous déjà observé la Cucullie ? Les appellations des fleurs sont une autre joyeuse entrée dans leur univers : « La Cardère sauvage, cabaret des oiseaux », « La Lunaire annuelle, monnaie du pape ». Reeves invente parfois de jolis surnoms : « Le Mouron rouge, un petit Zorro », « La Reine-des-prés, aspirine végétale ».

    Dans « Propos botaniques », Hubert Reeves aborde une vingtaine de sujets liés à l’observation des fleurs d’une façon plus scientifique mais toujours accessible. Il montre l’évolution de notre regard sur les plantes grâce aux observations des botanistes. On a découvert leur perception et leur adaptation à l’environnement, leurs façons de communiquer, leur vie sociale complexe : « les plantes sont en train de gagner des places dans l’échelle de la complexité du vivant ».

    L’histoire végétale de la Terre, il la résume en trois ères d’environ deux cents millions d’années : l’ère des fougères, la plus ancienne ; l’ère des conifères ; l’ère des plantes à fleurs, qui a débuté « il y a un peu moins de 180 millions d’années ». Grâce à l’obliquité de la Terre, dont l’axe est légèrement incliné par rapport à celui du soleil, nous connaissons différentes saisons et les variations des feuillages et des fleurs qui leur correspondent.

    Enfin, sans insectes, pas de pollinisation ! Reeves observe et déplore la raréfaction des papillons en quelques décennies, la biodiversité en baisse. Il soutient le projet des « Oasis Nature », déjà plus de six cents, en France, en Belgique et au Québec, présentées sur le site Humanité et biodiversité. Malicorne en fait partie et c’est aussi le titre qu’il a donné, en 1990, à ses « Réflexions d’un observateur de la nature ».

    Il y a quelques jours, Hubert Reeves a reçu le grade de grand officier de l’Ordre national du Québec : « Dans son discours de réception, M. Reeves a notamment relaté que c’est sa grand-mère qui lui avait donné le goût de devenir un conteur, de susciter l’intérêt de ses interlocuteurs. » (Radio-Canada) J’ai vu une fleur sauvage encourage à admirer les étoiles sur la terre comme au ciel.

  • Double

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    « Ensemble, nous riions des enfants que nous avions été ; nous jugions que j’avais été une méchante fille qui s’efforçait d’être gentille, et lui un gentil garçon qui s’efforçait d’être méchant. Au fil des années, ces rôles allaient s’inverser, puis s’inverser de nouveau, jusqu’à ce que nous arrivions à accepter notre nature double et à nous mettre en paix avec l’idée que nous renfermions des principes opposés, la lumière et l’obscurité. »

    Patti Smith, Just Kids

  • Patti et Robert

    En refermant Just Kids de Patti Smith (2010, traduit de l’américain par Héloïse Esquié), on quitte le couple fabuleux qu’elle formait avec Robert Mapplethorpe, « artiste et muse, un rôle qui était pour nous interchangeable ». Elle a tenu la promesse d’écrire leur histoire.

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    Patricia, l’aînée de quatre enfants, ne voulait ni grandir, ni mettre un tee-shirt quand les garçons étaient torse nu. L’amour des livres lui donne vite l’idée « d’écrire un jour un livre ». Une excursion au musée des Beaux-Arts de Philadelphie avec ses parents est une autre expérience fondatrice : la gamine de douze ans « tout en bras et en jambes qui se traînait derrière les autres » se sent transformée, « bouleversée par la révélation que les êtres humains créent de l’art et qu’être artiste, c’est voir ce que les autres ne peuvent voir. »

    « Les souffrances liées à la condition d’artiste, je ne les craignais pas, mais je redoutais terriblement de n’être pas appelée. » Objet de moqueries au lycée, elle trouve un refuge dans les livres et le rock en roll, « le salut adolescent en 1961 ». Elle dessine, danse, écrit des poèmes. Elle rêve « d’entrer dans la fraternité des artistes », de vivre comme Frida Kahlo avec Diego Rivera, « de rencontrer un artiste pour l’aimer, le soutenir et travailler à ses côtés. »

    Elle est née un lundi de 1946, Robert Mapplethorpe aussi. Le troisième de six enfants dans une famille bourgeoise catholique était « un petit garçon espiègle dont la jeunesse insouciante se nuançait délicatement d’une fascination pour la beauté. » Passionné de coloriage, dessinateur-né, il fabriquait des bijoux pour sa mère – toute sa vie il portera des colliers. Dans sa famille, « on ne parlait ni ne lisait beaucoup, et on ne partageait pas ses émotions les plus intimes. » A Patti, il disait : « Ma famille, c’est toi. »

    Tombée enceinte en 1966, Patti Smith décide de faire face seule, est renvoyée de la fac. Les voisins traitant ses parents « comme s’ils cachaient une criminelle », elle se réfugie dans une famille d’accueil. A l’hôpital, les infirmières se montrent « cruelles et insensibles » envers « la fille de Dracula » aux longs cheveux noirs. Son enfant naît « le jour de l’anniversaire du bombardement de Guernica » et elle pense à la mère qui pleure un bébé mort dans les bras sur le tableau – ses bras sont vides, elle pleure, mais son enfant va vivre, il ne manquera de rien dans sa famille d’adoption. En rentrant à la maison, elle s’achète un long imperméable noir.

    Se consolant avec Rimbaud (elle a fauché les Illuminations à l’étal d’un bouquiniste), elle prépare son plan : quitter Camden, travailler, gagner assez pour rejoindre des amis à Brooklyn. A vingt ans, elle prend le bus pour Philadelphie puis New York, un lundi de juillet, « un bon jour » pour cette superstitieuse. « Personne ne m’attendait. Tout m’attendait. »

    Ses amis ont déménagé. Le nouveau locataire lui désigne la chambre du colocataire qui a peut-être leur adresse : « Sur un lit en métal très simple, un garçon était couché. Pâle et mince, avec des masses de boucles brunes, il dormait torse nu, des colliers de perles autour du cou. J’ai attendu. Il a ouvert les yeux et souri. » Il la conduit jusqu’à leur nouveau domicile, ils ne sont pas là. Elle les attend et s’endort sur leur perron de brique rouge.

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    Patti et Robert (Source : https://illusion.scene360.com/art/91031/robert-mapplethorpe/ )

    C’est le début de la débrouille, du vagabondage d’un parc à l’autre, des nuits dehors, de la faim. Un Cherokee à la peau noire, Saint, la guide vers des endroits où trouver à manger. Ils dorment chacun de leur côté, se retrouvent pour manger, parler. Un jour, il disparaît. Elle cherche du boulot. Dans la « communauté errante » d’East Village, elle se sent en sécurité, prend une douche de temps à autre chez une connaissance et se répète les mots de Saint : « Je suis libre, je suis libre. » Cet été-là, elle rencontre Robert Mapplethorpe.

    Caissière dans un magasin au nord de Manhattan, au rayon des bijoux et de l’artisanat ethnique, elle convoite « un modeste collier de Perse » qui ressemble à un scapulaire ancien, 18 dollars, trop cher. Un client en chemise blanche et cravate l’achète, c’est le colocataire qui l’avait guidée, métamorphosé. Après avoir emballé le collier persan, elle le lui tend et lâche spontanément : « Ne le donne à aucune autre fille qu’à moi. » Elle est gênée, mais Robert sourit : « Promis. »

    Le garçon de Brooklyn la croise à nouveau un jour où elle a accepté l’invitation à dîner d’un barbu trop insistant. Ne sachant comment lui échapper, elle aperçoit le jeune homme aux colliers de perles indiennes et court vers lui : « Tu veux bien faire semblant d’être mon mec ? » Robert est en plein trip de LSD, ce qu’elle ignore, ils s’en vont et finissent la nuit chez un ancien colocataire en vacances dont il trouve la clé cachée. Il lui montre ses dessins entreposés là-bas.

    « Comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, nous sommes restés ensemble, ne nous quittant que pour aller travailler. Pas un mot ne fut prononcé ; ce fut tout bonnement un accord tacite. » Patti et Robert se sont trouvés, ils vont se transformer au contact l’un de l’autre, fidèles à leur vocation artistique, s’encourageant, s’acceptant tels qu’ils sont. La vie de bohème n’est pas une sinécure, mais ils travaillent, ils s’aiment. Son vocabulaire poétique et le vocabulaire visuel de Robert se dirigent vers des destinations différentes, il est plus ambitieux qu’elle, mais ces « enfants sauvages et fous » vont réaliser leur rêve.

    Patti a besoin d’une chambre pour travailler, Robert est de plus en plus attiré par les homosexuels. Ils deviennent eux-mêmes. Amants puis amis, ils ont besoin l’un de l’autre : « Patti, personne ne voit comme toi et moi. » Ils parviennent à louer une chambre au Chelsea Hôtel. Elle le pousse à prendre des photos lui-même au lieu d’en découper pour ses collages dans des magazines porno, lui l’encourage à dire ses poèmes en public, à chanter. Patti Smith veut être poète, pas chanteuse – « L’un n’empêche pas l’autre », réplique Robert. Et il en sera ainsi.

    Il gagne le premier de l’argent avec son art, photographie des fleurs et des corps. Elle écrit des articles pour des magazines rock, prend exemple sur les critiques d’art de Baudelaire. La Poésie reste son cap : « Je voulais insuffler dans le mot écrit l’immédiateté et l’attaque frontale du rock and roll. » Pour tous les deux, les rencontres, les relations, d’autres amours sont autant de balises pour avancer. Ils se quittent en 1972, quand Robert rencontre Sam Wagstaff qui va lui apporter tous les appuis nécessaires. Une autre vie commence : « Ensemble, séparément ».

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    A écouter sur https://www.youtube.com/watch?v=S5pU1LPpyfQ

    Mapplethorpe choque en montrant des actes sexuels « extrêmes » comme des œuvres d’art, elle ne le comprend pas toujours, mais bien son désir « de produire quelque chose que personne n’avait fait avant lui ». Elle lui fait entièrement confiance, le soutient inconditionnellement dans sa recherche de la lumière et du noir ; elle ne se drogue pas mais ose essayer des substances sous sa protection. De son côté, elle monte son groupe de rock, fait appel à lui pour les pochettes de ses albums.

    Des photos d’eux en noir et blanc, la plupart de Mapplethorpe, jalonnent Just Kids, devenu le livre culte d’une époque. Fin 1986, quand elle porte son deuxième enfant du guitariste Fred « Sonic » Smith, épousé en 1980, elle apprend que Robert souffre du sida, Sam aussi. Ils en mourront. « Pourquoi ne puis-je écrire des mots qui réveilleraient les morts ? »

  • Bien sûr

    Coe Nr 11.jpg« Rachel se prenait d’amitié pour Livia. Elle était musicienne de formation et jouait dans un quatuor à cordes qui donnait parfois des récitals à Londres, ce qui, bien sûr, ne lui rapportait rien. C’était son activité de promeneuse de chiens qui lui garantissait un maigre revenu. Elle jouait du violoncelle, et sa voix évoquait cet instrument par sa profondeur sonore et sa richesse mélancolique. Elle parlait lentement et avec soin ; son accent roumain très prononcé la rendait parfois difficile à comprendre. »

    Jonathan Coe, Numéro 11