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rétrospective - Page 3

  • Buren - Une fresque

    C’est un article lu dans Beaux Arts Magazine qui m’a décidée à aller voir tout de même l’exposition Daniel Buren – Une fresque au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (jusqu’au 22 mai 2016). Question d’apprendre et peut-être de mieux comprendre cet artiste a priori trop conceptuel à mon goût. Je ne le regrette pas.

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    Vue partielle du Hall Horta (Bozar, Palais des Beaux-Arts de Bruxelles)

    Depuis l’installation des colonnes rayées noir et blanc (Les deux plateaux) dans la cour du Palais-Royal à Paris, en 1986, plus personne n’ignore que Buren travaille avec un « outil visuel » : l’alternance systématique de bandes blanches et de bandes colorées verticales de 8,7 cm de largeur, inspirées « des tissus imprimés utilisés pour les auvents des magasins et bistrots parisiens » (guide du visiteur). A Bozar, il en a recouvert les colonnes du grand hall Horta et les contremarches vers l’entrée des salles d’exposition.

    Sa fresque bruxelloise instaure « un dialogue entre son travail et des œuvres choisies de plus de cent artistes du XXe et du XXIe siècles », j’étais curieuse de découvrir qui étaient ses compagnons d’art. Vu la diversité des œuvres intégrées peu à peu parmi des formes fantômes, j’ai l’impression que ces peintures, photographies, sculptures, vidéos, installations – jalons d’une rétrospective plus ou moins autobiographique – entrent dans un rythme particulier, original, qui invite à les regarder pour elles-mêmes et sans filtre.

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    Daniel Buren, "Salle des empreintes", Bozar, Bruxelles

    A l’entrée, le visiteur reçoit un dépliant format A2 : au recto une carte des lieux et le nom des artistes correspondant aux formes numérotées ; au verso, un texte d’introduction suivi des légendes, salle par salle. Facile, se dit-on d’abord, mais ce ne sera pas si simple : après la « salle des empreintes » (formes exactes des œuvres exposées laissées en blanc sur les murs rayés de vert et sur le parquet), les œuvres apparaîtront bien accrochées par ci par là, mais sans aucun numéro.

    Pour identifier les artistes qu’on connaît un peu, pas de problème, mais pour les autres ? Les titres des légendes sont parfois explicites, pas toujours, alors on cherche une signature, on se réfère à la couleur des empreintes (« ombres » bleues d’un côté de la salle, roses de l’autre) reprises sous les légendes et on se bat avec son dépliant pour rendre à César ce qui est à César…

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    © Dan Flavin, Cornerpiece, 1978, M HKA Anvers

    A quoi bon, me suis-je dit à un moment donné, regarde, flâne, va simplement à la rencontre de ce qui se présente à toi. En abandonnant l’identification à tout prix de chaque œuvre, je me suis sentie beaucoup plus libre et mieux disposée. Alors j’ai profité de l’autorisation de prendre des photos (un petit Picasso excepté) pour pouvoir revenir plus tard aux indications du guide.

    Dans la salle 2, face à une planche de Matisse (Icare), des néons dans un coin : Cornerpiece de Dan Flavin. On reflexion de Bertrand Lavier attire par le jeu des reflets : les coups de brosse à la surface d’un miroir l’ont rendu opaque ; dès qu’on bouge, l’œuvre change, et aussi avec la lumière ambiante et les ombres des visiteurs.

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    © Bertrand Lavier, On reflexion, 1984, FRAC, Paris

    Quand des œuvres sont accrochées très haut, comme dans les salons de peinture du XVIIIe siècle, on les aperçoit plus qu’on ne les voit. Dans la grande salle suivante un grand rectangle lumineux m’intrigue. Simple projection sur un mur vierge ? Non, le Ciel de Ann Veronica Janssens va s’animer d’ombres et de nuages, doucement.

    La salle 3 accueille aussi des mots, près d’une photographie de Sophie Calle, Prenez soin de vous : ces derniers mots d’un « mail de rupture », elle a demandé à 107 femmes de les interpréter à leur manière – ici une traduction en langage sms par Alice Lenay. Exercice de déchiffrage. Observation des reflets – un leitmotiv dans le choix de Buren.

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    ©
    Sophie Calle, Prenez soin de vous, 2007

    Non loin d’un grand Simon Hantaï bicolore, je suis heureuse de tourner autour du Torse de jeune homme de Brancusi – une colonne, des cylindres, en effet. L’igloo de verre qui occupe la salle d’angle lui vole un peu la vedette : Spostamenti della Terra e della Luna su un asse (Mouvements de la Terre et la Lune sur un axe) de Mario Merz, représentant de l’Arte Povera. Plus loin, un bois de Penone, Nel Legno. Minuscule par rapport au reste, Salaire solaire de Franck Scurti.

    Un mélange d’artistes plus ou moins connus, figuratifs ou non, de tous horizons. Monet, Cézanne, Chagall semblent un peu perdus dans cette fresque, comme venus d’une autre planète. Le moins qu’on puisse dire est que cette sélection est d’un bel éclectisme. La reprise des empreintes de salle en salle offre un fil conducteur, à défaut d’ordre chronologique ou thématique, sans aucune hiérarchie. Artistes rencontrés, influences, œuvres « questionnantes », il s’agit néanmoins d’un « itinéraire personnel ».

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    © Mario Merz, Spostamenti della Terra e della Luna su un asse, 2002 

    « Placer, déplacer, replacer », voilà ce que fait Buren comme il le dit dans le film projeté devant l’entrée de l’exposition (pas besoin de billet pour s’installer devant l’écran, le film dure en tout trois heures et demie). C’est une sorte de rétrospective audio-visuelle montrant ses « interventions des années 60 à aujourd’hui, dont 80% ont disparu ».

    J’y suis restée un quart d’heure pour l’écouter à propos des Deux plateaux du Palais-Royal à Paris : la manière dont il a étudié, mesuré, occupé la cour pour y créer une œuvre « monumentale sans effet de monumentalisme » et « marier l’historique et le contemporain » est très intéressante, loin du « n’importe quoi » que lui reprochaient certains à l’époque.

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    Plutôt sceptique au départ, je reconnais que cette exposition aide à mieux percevoir l’originalité de ce travail artistique : ni peintre ni sculpteur, Daniel Buren, en couvrant des surfaces, est avant tout un créateur d’espaces.

  • Elle c'est toi

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    Ella ets tu (détail) © Rafel Joan, 1995

    « Ella ets tu » (Elle c’est toi, 1996) est aussi une peinture sombre et mystérieuse, au pinceau rapide et gestuel, dont la composition évoque une Annonciation, sujet fréquemment abordé par les grands peintres italiens de la Renaissance et du Baroque. Dans la partie inférieure droite du tableau, on perçoit une tache foncée, dont le contour rappelle une tête de femme, à la manière d’un sphynx ; l’artiste m’explique que c’est une pierre qu’il avait gardée, qui ressemblait, effectivement, à une tête de femme et qu’il voyait comme une sculpture de déesse primitive. Elle est comme tapie dans les branches et les feuilles d’un arbre, peut-être aux aguets. Le fond blanc du tableau fait penser à un écran de cinéma. Une autre silhouette, sombre et curviligne, aux formes organiques, flotte dans l’angle supérieur gauche : c’est une charcuterie en train de sécher. 

    Enrique Juncosa, La fixité : la peinture de Rafel Joan (Catalogue Es Baluard, Palma de Mallorca, 2014)

  • Rafel Joan Peintures

    Es Baluard (le rempart), le musée d’art moderne et contemporain de Palma de Majorque, s’est ouvert en 2004. Ses terrasses accessibles de l’extérieur offrent de belles vues sur la ville, la mer et la montagne. Après avoir découvert ses collections d’art en lien avec les îles Baléares, nous y avons visité la belle rétrospective consacrée au peintre mallorquin Rafel Joan (elle vient de fermer ses portes). 

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    Près de l’entrée, Ritual (Ben Jakober & Yannick Vu, 1994) : un fil de néon passe entre des aiguilles géantes, l’effet est étonnant, très réussi, et aussi vu d’en haut, depuis l’étage. Le parcours chronologique débute en 1900, avec des paysages mallorquins signés Degouve de Nuncques (Baie de Palma), Joaquim Mir, Santiago Rusiñol, Joaquín Sorolla (Cala San Vicente), Pilar Montaner 

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    Ritual © Ben Jakober & Yannick Vu, Es Baluard

    Des œuvres modernes, ensuite, dont Chevaux en fuite par le vol de l’oiseau-terreur de Miró (1976). Des Flûtistes de Juli Ramis très matissiens, des peintures de Tapies (je vous renvoie à l’index des artistes sur le site du musée). Une salle Picasso propose une belle photo de lui et des céramiques.

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    Chevaux en fuite par le vol de l’oiseau-terreur © Miró, Es Baluard

    Une salle Miró montre ses illustrations pour Ubu et pour d’autres ouvrages, Colo y a consacré un billet. Le parcours se termine sur des œuvres plus récentes comme Ile d’un monde parfait III (2007-2008), une sculpture de Baltazar Torres. 

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    Island of a perfect world III © Baltazar Torres, Es Baluard

    Dans les salles du bas, la rétrospective Rafel Joan Pintures 1983-2013 nous a révélé l’univers de ce peintre autodidacte, né à Palma en 1957. Le bleu domine dès ses premières œuvres, comme dans « Carn i fruita » : un homme dévore un morceau de pastèque tandis que sa compagne contemple la mer, accoudée à une balustrade, vue de dos – ses rondeurs répondent à celles des plats et des fruits.

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    Femater, aigües brutes i cementeri, 1988 © Rafel Joan (Photo AraBalears)

    Rafel Joan a peint de nombreux paysages de Majorque loin des clichés, dans leur aspect quotidien, par exemple « Femater, aigües brutes i cementeri » (Ordures, eaux sales et cimetière) dans des tons de terre rouge et d’ocre, image de chaleur et de sécheresse. Plus sereine, « Cala Bóquer », une belle vue de la baie à Portocolom, décline tous les tons du bleu clair au bleu foncé.

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    S’estudi (détail), 1984-1985 © Rafel Joan 

    Un autoportrait m’a fait forte impression, « S’estudi » : dans l’atelier, où une lumière très blanche s’engouffre par la porte, l’artiste travaille, assis à sa table en tricot blanc et pantalon d’un bleu intense. La main droite dessine, la gauche trifouille dans un tiroir ouvert. Concentration. 

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    Eleazar (détail), 1992 © Rafel Joan 

    Le peintre mallorquin a vécu à Palma, au Maroc, à Barcelone, à New York – ses carnets de voyage exposés en vitrine sont très vivants – et il a peint aussi les villes avec leurs enseignes, les rues étroites fréquentées la nuit par les prostituées, les cafés et les bars. Les personnages s’y réduisent souvent à des silhouettes. Ce sont des peintures d’atmosphère, où la configuration des lieux est très bien rendue.  

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    Une autre série de toiles, très différentes dans leur cadrage et dans leurs couleurs, évoquent la contemplation de la nature, avec une grande attention aux feuillages, aux ramures et surtout, avant tout, à la lumière. « Niu » (Neige) est une ode à la lumière d’hiver qui baigne des rameaux noirs et nus, comme à l’encre. 

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    Niu (détail), 2001 © Rafel Joan

    Dans les années 2000, Rafel Joan a eu l’occasion de survoler son île en avion ultraléger et il s’en est inspiré pour peindre la terre vue du ciel (on pense parfois à Klee). Ensuite, changement complet de point de vue avec ses œuvres sous-marines, en bleu et vert, un magnifique ensemble dans lequel il cherche à rendre les impressions quil a eues en marchant sous l’eau (en tenue de plongée) parmi les poissons, les effets de la lumière sous la surface de la mer.

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    Rafel Joan vit en solitaire et peint à l’écart des tendances esthétiques contemporaines, ce qui ne l’empêche pas de participer à la vie artistique de Majorque, où il habite actuellement à Vilafranca de Bonany. Il a de nombreux amis écrivains et artistes, les peintres Barceló et Claramunt, entre autres – le premier signe un texte intitulé « Si j’ai 3 amis, l’un d’eux est RJ ». Le catalogue en catalan offre tous les textes traduits en castillan, en français et en anglais et propose en plus des œuvres exposées de belles photographies du peintre et de son atelier. 

  • Comme un animal

    « Je peins seulement à la lumière naturelle et celle-ci est comme un animal. Elle respire, change d’humeur. Une lumière artificielle est rigide et stérile. De même que quelqu’un savoure un cigare ou du vin, je savoure la lumière depuis toujours. C’est un miracle sans cesse recommencé. »

    Michaël Borremans 

    (Entretien avec Thomas Schlesser et Mélanie Gentil, Novaplanet, 26/2/2014) 

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     © Michaël Borremans, Blue2005

     As sweet as it gets, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 2014

    P.-S. En ce moment (10h10) sur Musiq3 : rediffusion de l'entretien avec Jan Hoet.

     

  • Borremans au Palais

    « As sweet as it gets » : la grande rétrospective consacrée au peintre belge Michaël Borremans (né en 1963) attire du monde au Palais des Beaux-Arts (Bozar) de Bruxelles, où se poursuit la belle exposition Zurbarán. Reconnu sur la scène internationale, l’artiste, qui a son atelier à Gand, offre un aperçu de son travail des vingt dernières années, qui sera montré ensuite à Tel-Aviv puis à Dallas. 

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    Michaël Borremans, The Avoider, 2006 
    360 x 180 cm Oil on canvas The High Museum of Art Atlanta
    Courtesy Zeno X Gallery, Antwerp and David Zwirner New York/London © Photographer Ron Amstutz

    On est accueilli par The Avoider (tous les titres sont en anglais exclusivement), un portrait en pied haut de presque quatre mètres ! En face, une toute petite toile, Homme tenant son nez. La figure humaine, le corps, c’est le thème privilégié par Borremans, qui s’inscrit de manière originale dans cet éternel sujet de la peinture. L’illusion réaliste (l’œuvre renvoie à La Rencontre de Courbet) disparaît à l’observation : les ombres de la tête et du bâton ne correspondent pas.

    Dans chaque toile, quelque chose trouble. Les petits formats, dans les premières salles, impressionnent par leur présence. Sleeper, une tête d’enfant blond couchée : est-ce une image du sommeil ou de la mort ? Le visage s’arrête à la ligne du menton ; ni cou, ni buste, juste une courbe. Les personnages de Borremans sont ailleurs, montrés de dos ou les yeux baissés, dans des vêtements d’autrefois ou plutôt sans époque, le peintre évitant toute indication de contexte. Pour lui, « le sujet est toujours un objet – et non pas une représentation d’un être vivant » (Guide du visiteur). 

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    Michaël Borremans, Sleeper, 2007-2008
    40 x 50 cm Oil on canvas Private Collection
    Courtesy Zeno X Gallery Antwerp © Photographer Peter Cox

    Certaines œuvres rendent hommage aux maîtres anciens. Deux oiseaux contre un mur, 10 et 11, rappellent le chardonneret de Fabritius. La nature morte est un autre genre exploré par le peintre : un poulet mort, un canard, un masque, une figurine. The Garment, une sorte de cape en tissu gris bleu transparent – on pense aux petites natures mortes de Manet : simplicité, matière, présence.

    Borremans, qui admire Velasquez et Goya, pratique la technique baroque, « par couches transparentes de peinture à l’huile sur un fond brun clair ou rouge » (Hans Theys, Le mystère Michaël Borremans, OKV). Anna, une femme en corsage rouge, regarde ses bras et ses mains comme ensanglantés. Tout ici est jeu perpétuel sur la présence et l’absence, la solitude, voire la souffrance. Des imperfections, des traînées, des taches rappellent la matérialité de la peinture. 

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    Michaël Borremans, The Branch, 2003
    80 x 60 cm Oil on canvas Private Collection
    Courtesy Zeno X Gallery Antwerp © Photographer Peter Cox

    La Branche, un rameau dressé contre un mur : de petits points blancs marquent le relief des bourgeons, et quelque chose de fort se dégage comme par magie de ce sujet tout simple, grâce aux ombres qui créent volume, profondeur, vie.

    Borremans aime cadrer une partie du corps, comme dans Blue : d’un buste en blouse blanche, bras et mains posés sur une table, le haut a disparu. Une très belle toile, The Ear, montre une femme de dos, de la tête aux épaules ; sous son chignon, le col droit dune blouse ; les cheveux sont dégagés autour d’une oreille. Le plus souvent, ce sont les mains qui attirent le regard. Main rouge, Main verte est une des œuvres les plus représentatives de l’artiste : tenues à plat à petite distance d’une surface, enduites de couleurs complémentaires jusqu’au poignet. 

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    Michaël Borremans, The Angel, 2013
    300 x 200 cm Oil on canvas
    Courtesy Zeno X Gallery Antwerp © Photographer Dirk Pauwels

    Dans la salle des grandes toiles, la plus spectaculaire, on reste baba devant The Angel, silhouette androgyne en longue robe rose à volants, debout les bras le long du corps, le visage couvert de peinture sombre (à la manière dont on se noircit le visage au carnaval) – un ange de la mort ? The Pendant n’est pas moins ambigu : une femme debout semble pendue par les cheveux au moyen d’une corde rouge.

    La fillette d’Une jupe en bois regarde vers le bas, torse nu, les bras devant elle, comme aveugle. Derrière, les bords de grands panneaux posés contre le mur de l’atelier jouent avec les autres droites du tableau. Et voici la fameuse Robe du diable, où un homme nu couché a le corps glissé dans un étui en bois rouge qui s’évase aux genoux. Borremans construit ses images en mêlant le familier et létrange, lesthétique et le malaise.

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    Michaël Borremans, The Devil’s Dress, 2011
    203 x 367 cm Oil on canvas Dallas Museum of Art, DMA/amfAR Benefit Auction Fund
    Courtesy Zeno X Gallery Antwerp and David Zwirner New York/London © Photographer Ron Amstutz

    Des vidéos de lartiste – encore et toujours des corps immobiles sur lesquels la lumière varie ou qui tournent sur eux-mêmes comme des statues – font la transition vers son œuvre dessinée et ses sculptures. Une petite huile, The Neck, révèle à nouveau la virtuosité technique remarquée dans The Ear pour rendre le bas des cheveux, la nuque, le haut d’une chemise blanche.

    Les dessins sont présentés par séries : une fillette dont les mains glissées dans des cornets prennent différentes positions ; un homme en veston bleu assis à une table, des ronds rouges en suspension devant ses mains (The German) ; des étagères où une main retire puis repose des arbres miniatures. Borremans met aussi ces sujets en scène dans des boites où il réunit vidéos, éléments de maquette et minuscules personnages. 

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    Michaël Borremans, The Bodies (I), 2005
    60 x 80 cm Oil on canvas
    Courtesy David Zwirner New York/London ©Photographer Ron Amstutz

    Cette partie de l’exposition est parfois ludique. Mais l’inquiétant n’est jamais loin: sur un buste d’homme, quatre trous noirs, une main achève d’y peindre l’inscription « People must be punished » ; sous cette image, une scène de piscine, avec de tout petits baigneurs, un moment de détente (The Swimming Pool). On a rapproché ce dessin de La Colonie pénitentiaire de Kafka. Changement d’échelle, contradictions, de quoi égarer le spectateur. 

    Si comme moi, vous n’aviez encore rien vu de Michaël Borremans, « le peintre de l’énigme » (Guy Duplat), ne manquez pas cette rétrospective. Avec ses Laquais accrochés au Palais Royal de Bruxelles (une commande de la reine Paola) et l’émission d’un timbre-poste en son honneur, l’exposition assure une plus large reconnaissance au peintre belge dans son pays. Son savoir-faire impressionne, et on n’a pas fini d’interpréter ses intentions. Selon Hans Theys, « les essais consacrés à son œuvre ont souvent tendance à renforcer la confusion que l’artiste suscite déjà lui-même. » Contre ceux qui le considèrent comme « un démiurge démoniaque évoluant dans un univers sadique autocréé », lui décèle dans son oeuvre « comme une ode à la naïveté et au jeu ». A voir.

    ***

    P.-S. Michaël Borremans à écouter dans "Le grand charivari" sur Musiq3 (15/3/2014) :
    http://www.rtbf.be/radio/player/musiq3?id=1902768