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paysage - Page 6

  • Maître du mystère

    Le bleu du rêve. Le silence de la neige. La musique des brumes. C’est l’univers de William Degouve de Nuncques, maître du mystère (1867-1935), présenté au Musée Rops à Namur jusqu’au 6 mai 2012. Le Musée Kröller-Müller d’Otterlo (Pays-Bas), dont la collection compte 27 œuvres du peintre, accueillera ensuite cette exposition, de mai à septembre.

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    Couverture du catalogue (Fonds Mercator)

    Méconnu aujourd’hui, Degouve était l’ami de Jan Toorop, qui a fait de lui un beau portrait au pastel qu’on découvre dans la première salle, et d’Henry de Groux qu’il a peint de profil, en béret de velours, une écharpe blanche autour du cou, assis face au chevalet – une composition très intéressante. Le futur gendre de Rops, Eugène Demolder, écrivain et avocat belge, était le témoin de Degouve de Nuncques à son mariage avec la peintre Juliette Massin, la sœur de Marthe, l’épouse de Verhaeren. (Que peignait-elle ? Autre mystère.)

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    Musée Rops, rue Fumal 212, Namur

    Mais Degouve est surtout un paysagiste : hameau sous la neige, grotte aux stalactites, rêve de voyage, autant d’invitations à regarder la nature dans ses métamorphoses. A part, un Paysage bruxellois (Degouve a habité une maison-atelier au 202 de la rue des Coteaux) qui fait un peu penser à Laermans, deux femmes en sombre sur les pavés, des maisons en enfilade, un clocher – la figure humaine est rare dans les paysages de Degouve de Nuncques. C’est un amoureux résolu des campagnes, du calme et de la paix loin de l’agitation des villes.

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    Degouve de Nuncques, Paysage bruxellois

    Après quelques tableaux « mystiques » (Degouve n’est pas croyant), dont le plus étonnant est sans doute Les anges de la nuit, d’inquiétantes peintures de forêt sans lumière – La forêt lépreuse où les racines verdâtres sont presque phosphorescentes, le peintre y a mélangé aux pigments une matière cireuse. 

    Mon premier coup de cœur va au Canal, une longue toile horizontale (42,4 x 122,5, magnifiquement rendue par l’excellent catalogue publié au Fonds Mercator, sur toute sa longueur si l’on déplie les rabats de la couverture). Des arbres dénudés à l’avant-plan font face, de l’autre côté du canal où flotte une barque, à un bâtiment abandonné, dont les multiples fenêtres en plein cintre ont toutes leurs vitres brisées.

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    Degouve de Nuncques, Nocturne au Parc Royal de Bruxelles (Paris, Musée d’Orsay)

    Ensuite, les « nocturnes bleus », délicats comme des Nocturnes en musique, qui nous font entrer de plain-pied dans l’univers symboliste des Maeterlinck, Verhaeren et Rodenbach dont Degouve se sentait si proche : Parc de Milan, où les fleurs de marronniers brillent doucement, La Forêt et son mystère, et le fantastique pastel Nocturne au Parc Royal de Bruxelles, où l’on suit une allée oblique entre des pelouses rectilignes vers un bosquet, dans la clarté lunaire de réverbères invisibles.  

    Crépuscule au lac de Côme, un grand format, révèle une nuit grandiose comme une cape qui enveloppe les montagnes de son silence, dans de subtils dégradés de bleu nuit ; les maisons ponctuent le rivage de grains blancs minuscules, sauf la plus proche, très éclairée, au bord du lac où elle se reflète. Que dire des vues de Venise ? La nuit transfigure le réel. Il faut s’attarder devant ces pastels, « poussière lumineuse » (Denis Laoureux) que le peintre préférait à l’huile, pour s’habituer à leur clarté assourdie et apprécier les variations de couleur.

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    Degouve préfère la lune au soleil « indiscret », le soir au jour, pour laisser opérer la magie. Ainsi ce très beau Jardin mystérieux où les fleurs et les champignons dans l’herbe, les arbres, les arbustes et les haies mènent l’œil vers une maison blanche où deux colombes, sur le toit, font chanter la toile. Sur le même mur, Mon jardin, une vue d’automne, et entre les deux, la célèbre Maison aveugle déjà présentée ici.

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    Degouve de Nuncques, L’arbre aux corbeaux

    De salle en salle, dans les vitrines, des photos et des lettres, et aussi la boîte de pastel du peintre et, sur le palier du premier étage, sa boite à pinceaux dont le couvercle ouvert révèle une marine. Mais en montant l’escalier, vous n’aurez d’yeux que pour la grande toile claire qui vous accueille en haut : L’arbre aux corbeaux, un magnifique paysage hivernal où l’arbre nu, recourbé, sert de perchoir aux oiseaux noirs devant un vaste panorama dans toute la gamme des blancs, des gris et des bleus, de la terre jusque dans le ciel.

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    Degouve de Nuncques, Côte aux Baléares (Majorque, Cala San Vicente)

    Quel contraste avec les vues des Baléares, où Degouve de Nuncques et sa femme ont séjourné de 1899 à 1902 et que le peintre décrit dans une lettre comme une « terre africaine aux multiples beautés qu’un soleil fort et permanent éclaire et poétise ». Ces paysages-là sont les plus déconcertants. Que ce soit vers le cap Formentor, devant la baie de Pollensa ou ailleurs sur la côte Nord, Degouve, à l’inverse des réalistes ou des impressionnistes, déréalise le paysage, le voile d’une atmosphère feutrée, très douce, pour créer « un sentiment cosmique et panthéiste » (Elisée Trenc).

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    Degouve de Nuncques, Barque sous la neige (Otterlo, Kröller-Müller Museum)

    Aux Pays-Bas où le peintre a trouvé refuge pendant la première guerre mondiale ou en Belgique, Degouve de Nuncques, misanthrope avoué, s’enfonce dans les campagnes, trouve un gîte chez les paysans, peint parfois l’été (Un été en Brabant) mais surtout ces paysages de neige harmonieux pour lesquels il est réputé, dans des tonalités délicates et variées. Meules de foin, arbres, clôtures, rivières et maisons composent un monde silencieux, serein, immobile, le monde d’un peintre contemplatif au regard de poète.

     

     

  • Au Musée Bonnard

    Pierre Bonnard (1867-1947) a enfin son musée, le premier qui lui soit exclusivement dédié. Le Cannet, où il a vécu ses dernières années, a soigné la métamorphose de l’Hôtel Saint-Vianney, d’architecture Belle Epoque, tout près de la mairie, en musée accueillant, lumineux, paisible, presque appuyé à l’église Sainte-Philomène (où eurent lieu les obsèques du peintre) qu’on peut admirer par les fenêtres. Cage d’escalier en marbre blanc ponctué de noir, boiseries claires prolongées par de larges lattes de parquet au bord du carrelage taupe des salles, murs gris clair, stores discrets, la rénovation des lieux leur confère confort et douceur. 

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    L’exposition inaugurale, « Bonnard et Le Cannet. Dans la lumière de la Méditerranée » (26 juin - 25 septembre 2011) se visite en descendant à partir du cinquième étage, accessible par ascenseur. Elle s’ouvre sur un Autoportrait de 1930 au regard inquiet, attentif : le peintre y porte ses lunettes rondes, la lumière solaire court sur son visage, sur les rayures de son vêtement, sur le fond derrière lui – le jaune, une couleur qu’il explore dans toute sa gamme et qu’on retrouve dans tous les autoportraits exposés ici, dont le célèbre Boxeur

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    Autoportrait (1930) gouache, crayon et aquarelle © Adagp © Triton Foundation, Pays-Bas

    La première fois que Bonnard découvre le Var et la Côte d’Azur, il est ébloui : « J’ai eu un coup des Mille et Une Nuits, la mer, les murs jaunes, les reflets aussi colorés que les lumières », écrit-il en 1909. Devant Le port de Saint-Tropez (1911 – Metropolitan Museum, New-York), une toile presque carrée, un de ses formats préférés, le regard glisse vers la mer entre les murs ocre des maisons aux ombres bleues – on aperçoit ensuite, dans le coin inférieur droit, de profil, Marthe, son épouse, son modèle, omniprésente dans son œuvre.

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    Bonnard a peint au Cannet près de trois cents tableaux et gouaches. Environ soixante paysages, intérieurs et autoportraits sont proposés aux visiteurs pour quelques jours encore, sur trois niveaux. Des acquisitions, des dépôts, des prêts. Marines, voiliers, vues de la côte, jardins, et des scènes intimistes à l’intérieur de la villa Le Bosquet, une maison rose aux volets verts qu’il avait agrandie pour y aménager un atelier, y accueillir des amis (les Hahnloser, Matisse, entre autres) et dotée d’une salle de bain à l’intention de Marthe : il peint celle-ci partout, dans le jardin, à table, à sa toilette, nue, habillée, éternellement jeune.  

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    Le toit de la Villa Le Bosquet, presque invisible de l'avenue Victoria (ne se visite pas)

    La salle à manger au Cannet (1932 – dépôt du musée d’Orsay) est merveilleuse. Au premier plan, sur une nappe blanche, un plat fleuri, une bouteille, quelques assiettes, un verre ; cela n’a rien d’une nature morte savamment agencée, les objets y semblent à leur place habituelle, comme cette boite au couvercle rouge au milieu de la table (le mur où est accrochée cette toile est exactement de cette couleur). Sur une chaise, derrière une corbeille de fruits, Marthe se tourne délicatement vers un chat blanc sur ses genoux, qui pointe le museau vers la table. Autour de cette scène familière, Bonnard fait chatoyer les couleurs des murs, des meubles, de la cheminée.

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    La Salle à manger au Cannet, 1932 (RMN / Patrice Schmidt © Adagp, Paris 2011)

     

    Tous les recoins de sa maison aux murs blanchis où la lumière pose des tons subtils inspirent le peintre : c’est La tasse de thé au radiateur (Marthe devant une théière noire, près d’une fenêtre) ; c’est Le placard blanc où il fait chanter des surfaces rouge orange, des bandes d’un bleu gris comme délavé, quelques touches de jaune ; c’est Le bain ou Baignoire, un sujet qui lui a donné du mal jusqu’à ce qu’il trouve la structure adéquate, en de multiples variations. Les petits agendas ouverts en vitrine sont pleins de croquis sur le vif, il y note les couleurs et toujours le temps qu’il fait : « beau », « orageux », « couvert ». De 1927 à 1946, il y tient ainsi son « répertoire de formes ». Lettre à Matisse en 1933 : « La peinture, c’est quelque chose à condition de se donner tout entier. »

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    La Côte d’Azur, The Phillips collection, Washington DC. © Adagp, Paris 2011

    Bonnard se promène chaque matin dans les collines du Cannet, fait provision de vues panoramiques, de jardins, de ciels. Côte à côte, deux paysages quasi identiques : le premier (1923), au ciel légèrement voilé au-dessus de la mer, fait émerger de la verdure des toits orange, des murs blancs, des pins ; dans le second (1924), tout vibre davantage, les stries nuageuses, les ombres à présent violettes, les frondaisons bleutées. La Côte d’Azur (The Phillips Collection, Washington DC) est un hymne à la végétation méditerranéenne : tous les verts, tous les bleus, réchauffés par les grappes du palmier et çà et là de petites touches d’un orange qui s’adoucit tout au fond, bordant le ciel au-dessus des collines.

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    Vue du Cannet © Musée Bonnard

    Grâce à la Fondation Meyer, le musée Bonnard possède une grande Vue du Cannet où les mimosas en fleurs et les toitures provençales poussent à la limite le contraste des couleurs chaudes et des couleurs froides, entre des palmiers bleus. La terrasse ensoleillée, un autre grand format, horizontal cette fois, déroule un paysage écrasé de soleil. Les murs d’une terrasse offrent de l’ombre, sur la droite, à une femme qui lit dans un transat, près d’un guéridon où un autre livre est posé, abondance de biens.

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    L’amandier en fleur © collection Centre Pompidou, dist. © Adagp, Paris 2011

    Se promener dans une telle exposition permet de passer de ces grands décors du Midi aux paysages plus simples, non moins riches en accents colorés et en émotions : Le nuage sur la mer, Méditerranée sous un ciel nocturne, Ciel d’orage sur Cannes, Baigneurs à la fin du jour. Et puis, et puis, après La route rose, La petite fenêtre, La porte de la villa « Le Bosquet », deux chefs-d’œuvre retrouvés : L’atelier au mimosa, qu’on admire ici d’une façon toute nouvelle, en regardant aussi le paysage par la fenêtre et, œuvre ultime, L’amandier en fleur, la joie de renaître peinte par un vieux peintre qui ne cessait de retoucher ses toiles et qui va mourir plus serein d’avoir ajouté un peu de jaune sous l’élan bleu et blanc de l’arbre aimé.

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    Le catalogue de « Bonnard et Le Cannet dans la lumière de la Méditerranée » comprend quelques extraits du journal et des souvenirs sur Pierre Bonnard par Gisèle Belleud, son élève de 1937 à 1947. Quand elle avait quinze ans, et déjà la volonté de peindre, sa mère l’avait menée chez le « grand peintre » qui habitait à un quart d’heure de marche de chez eux. D’abord réticent, il lui avait proposé de lui montrer de petits dessins, puis l’avait invitée à venir travailler avec lui dans l’atelier, tous les matins. Elle sera surtout portraitiste. Son précieux témoignage rend compte de leur travail et des jours difficiles, à la mort de Marthe puis, cinq ans après, du peintre.

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    En trois mois, le musée Bonnard a déjà atteint l’objectif de fréquentation qu’il s’était fixé pour sa première année. Le Cannet fut pour Bonnard « le théâtre d’une exploration de la couleur sans précédent » (Véronique Serrano, commissaire de l’exposition et responsable du musée). Le peintre de la « vibrante modulation de la couleur et de la lumière » (Roger Marx), à qui l’on reprochait au début la disparition du dessin, la mollesse des formes, l’ami de Signac, de Renoir, de Matisse, ce « peintre des amers et des météores, comme l’étaient avant lui Jongkind et Boudin » (Jean Clair) écrivait en 1946 : « Il ne faut pas peindre la vie, il faut rendre vivante la peinture. »

     

  • La véranda d'Alexis

    « Véranda », ce mot qui nous vient du portugais par l’intermédiaire du hindi et de l’anglais, m’a toujours attirée par sa promesse de lumière et d’échange intime entre le dedans et le dehors. Il m’avait déjà poussée vers un roman plutôt mélancolique de Salvatore Satta (La véranda, 1981), auquel j’ai nettement préféré La véranda de Robert Alexis (2007), découverte en ce début d’année. 

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    Klimt, Chambre sur l’Attersee

     

    « La neige. Un paysage sous la neige. » Les premiers mots du récit, qui semblent évoquer notre hiver, correspondent aux visions d’un passager de train, peut-être en son dernier voyage, ce qui laisse infiniment de place aux souvenirs. Constantinople, Cassis… Dans sa rêverie, le narrateur garde les yeux ouverts : une jeune femme qui descend à Vienne, après avoir essayé en vain d’engager la conversation avec lui, ramène les images de nuits passées dans l’un ou l’autre grand hôtel viennois, de concerts, de restaurants, de soirées au cabaret. « Ma vie avait suivi le cours habituel réservé aux riches héritiers. Mais ce que certains prenaient pour les méandres d’une oisiveté privée de fin, je le considérais comme une recherche sans limite. »

     

    Lors de la traversée d’un lac autrichien, comme il savourait le paysage, il avait aperçu pour la première fois, dans un panorama qu’il pensait connaître, une haute bâtisse dans les bois à flanc de colline, une terrasse à balustres avec, sur la gauche, « une véranda soutenue par des colonnettes ». Plutôt qu’au sentiment de « déjà vu » qui lui avait fait soudain battre le cœur, alors qu’il n’était jamais venu en cet endroit par le passé,
    il préférait croire à une « fulgurance » du hasard, née d’une affiche « vantant la beauté de Steinbach » sur le quai d’une gare et à cause de laquelle il s’était rendu dans cette région. « Cette paix intérieure, cette tranquillité de l’âme, je les dois à ce que je vécus au bord de l’Attersee. »

     

    Le roman de Robert Alexis – un mystérieux écrivain lyonnais édité chez Corti - conte l’étrange relation entre l’éternel voyageur et cette maison « reconnue » pour la sienne, d’emblée. Il se renseigne. La villa appartient à un comte, un original que personne n’a jamais vu, un homme « sans âge ». Deux femmes, l’une de vingt-cinq ans, très belle, une autre plus âgée, toutes deux en sombre, s’en occupaient. L’adresse d’un notaire figure sur la grille, pour un éventuel acquéreur. « Je me souviens de ce moment comme l’un des plus forts de ma vie. » Aux sensations et aux réminiscences provoquées par sa première visite se mêlent une voix de femme, des rires, des silhouettes. « Une telle fantasmagorie ne m’étonnait pas. Je reconnaissais les hallucinations provoquées par la prise régulière d’Ayahuasca » - cette poudre des shamans en Amérique du Sud à laquelle un ami l’a initié.

     

    S’il accepte d’entrer dans ces mystères, le lecteur de La véranda embarquera dans une intrigue très romanesque, de la visite chez le notaire à la rencontre avec la propriétaire de la villa. La comtesse habite à Salzburg un immense appartement très dépouillé, suivant la volonté paternelle, à l’inverse de la maison de Linz où se superposent les tissus et les tapis, les bouquets et les meubles – « Les femmes, plus que les hommes, aiment la compagnie des choses. » Ils s’entendent parfaitement, Alicia et lui, et se réapproprient ensemble la charmante demeure, dans une complicité rare.

     

    Jusqu’à ce que l’appel du voyage entraîne à nouveau l’incurable vagabond à Bucarest, où l’attend la jeune Clara, puis en Orient, malgré l’épidémie de choléra à Istanbul. Reverra-t-il Linz un jour ? A-t-il vécu ? A-t-il rêvé ? Sans chronologie véritable, éveillée par le spectacle du monde, nourrie des élans de l’imaginaire, c’est une collection de tableaux vivants qui nous est proposée par Robert Alexis. Avec le goût du mot rare, parfois précieux, il trace peu à peu les lignes de force d’un destin partagé entre le mouvement et l’immobilité, entre le dehors et le dedans d’une vie, entre le présent et le passé, où même l’identité des êtres reste incertaine.