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livres - Page 7

  • Chambre avec vue

    Les lumières en ligne d’un boulevard, au loin. Le dôme éclairé de la basilique du Sacré-Cœur (Koekelberg) à l’horizon. Plus près, des fenêtres qui sortent de l’ombre, l’une après l’autre, hublots dispersés d’un paquebot de nuit. Pour la première fois, je pianote sur le clavier dans ma chambre à moi, ma chambre avec vue, à côté d’un mur de livres qui m’a coûté toute une semaine de rangement. Cela valait la peine.

     

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    17.X.2010

     

    Déménager une bibliothèque, c’est une expérience déjà vécue deux fois, à l’école, avec une sympathique ribambelle d’élèves pour se charger du transport et du classement selon les consignes. Déménager ma bibliothèque, trente-cinq ans de lecture, c’est autre chose. Les livres avaient trouvé leur rayon petit à petit, jusqu’au moment où certains s’étaient garés en double file, faute de place. Mais j’étais loin d’imaginer le volume de caisses que cela représentait, une fois les étagères quittées. J’avais en tête un nouvel agencement : la culture générale, les livres d’art et de voyage dans le séjour ; la littérature, la langue française dans mon bureau. Encore fallait-il ajuster les rangées de livres et les espaces disponibles, concilier l’ordre thématique et les formats divers, caser tout cela au mieux.

     

    Vous comprenez de quoi je parle. Plusieurs l’ont laissé entendre dans leurs commentaires : les livres représentent la plus grosse part d’un déménagement pour celles et ceux que les bibliothèques font saliver, même si l’on ne possède pas, comme Alberto Manguel, une grange de presbytère vouée exclusivement à leur accueil. Les bibliothèques privées, en général, donnent aux amis de papier la compagnie d’objets – photos, cartes reçues d’êtres chers, souvenirs. Ceux-ci ne s’installent pas non plus au hasard, leur place répond à des affinités secrètes. Il y a des choses que l’on veut au plus près du bureau, d’emblée sous le regard, il y a un oiseau près du plafond – voler de ses propres ailes – et ces pantoufles de paille tressée achetées sur le bord de la route à une vieille paysanne russe – garder les pieds sur terre.

    Il reste quelques cartons à vider et bien des choses à installer, avant Noël, disons. Mais il est temps de revenir aux textes et aux prétextes, de rouvrir un journal, de revisiter les blogs, de retrouver un rythme de vie plus paisible, ce qui signifie pour moi, en particulier, de vous proposer à nouveau quatre rendez-vous par semaine à partir de lundi prochain. Même si cela ne change rien pour vous, sachez que ces billets coulent à présent d’une source renouvelée, par la grâce d’une chambre à soi où Virginia Woolf, Colette, Anaïs Nin, Elsa Morante, Simone de Beauvoir, Hella H. Haasse, Doris Lessing, Anita Brookner – dans le désordre d’un hommage aux femmes de lettres – jouissent avec moi, en quelque sorte, du bonheur d’une chambre avec vue.

  • Pas d'amabilité

    « Dans la lecture, l’amitié est soudain ramenée à sa pureté première. Avec les livres, pas d’amabilité. Ces amis-là, si nous passons la soirée avec eux, c’est vraiment que nous en avons envie. »

     

    Marcel Proust (cité par Alain de Botton, Comment Proust peut changer votre vie) 

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  • Livres

    « Ceux qui lisent, ceux qui nous parlent de ce qu’ils lisent,

    Ceux qui tournent les pages bruissantes de leurs livres,

    Ceux qui ont le pouvoir sur l’encre rouge et noire, et sur les images,

    Ceux-là nous dirigent, nous guident, nous montrent le chemin. »

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    Codex aztèque de 1524 (Archives du Vatican)

    cité par A. Manguel, La bibliothèque, la nuit

  • Fou de bibliothèque

    « Une pièce lambrissée de bois sombre, avec de douces flaques de lumière et des fauteuils confortables, et un espace adjacent, plus petit, dans lequel j’installerais ma table de travail et mes ouvrages de référence. » Le rêve d’Alberto Manguel, l’auteur d’une passionnante Histoire de la lecture (1998), a pris forme dans la grange d’un presbytère au sud de la Loire, dont il aperçoit pour la première fois le mur de pierre en l’an 2000, et où il décide d’enfin construire la pièce idéale où réunir tous ses livres. Dans son avant-propos à La bibliothèque, la nuit (2006), il avoue ce désir de jeunesse, devenir bibliothécaire, réalisé à l’âge de cinquante-six ans, « l’âge auquel on peut dire que commence la vraie vie », précise-t-il en citant L’Idiot de Dostoïevski.

     

    Le jour, par les fenêtres, il peut voir des poules « courir d’un côté à l’autre de leur enclos en picorant ici et là, affolées par la prodigalité de l’offre, tels des savants fous dans une bibliothèque ». « Mais la nuit, quand les lampes sont allumées dans la bibliothèque, le monde extérieur disparaît et rien n’existe plus que cet espace rempli de livres. » Plutôt qu’un phare, sa bibliothèque est une sorte de « grand vaisseau » éclairé dans l’obscurité. Virginia Woolf a distingué un jour l’homme qui aime s’instruire de celui qui aime lire, et conclu qu’il n’y a « aucun rapport entre les deux ». Et Manguel de dissocier ses lectures du jour, pleines de concentration, systématiques, et la lecture nocturne « avec une légèreté de cœur qui frise l’insouciance. »

     

    Bibliothèque de bois (vue dans une vitrine lyonnaise).jpg

     

    Comme Une histoire de la lecture, La bibliothèque, la nuit est illustrée de photographies en noir et blanc des lieux et des choses dont il parle, par exemple cet escabeau muni en haut des marches d’un siège et d’un lutrin. Mais ce fou de bibliothèque qu’est Manguel nous fait voir, nous fait sentir avec des mots sa passion pour tout ce qui relève de l’univers des livres, dont la bibliothèque incarne l’ambition d’universalité. A l’origine, il y a deux symboles : la tour de Babel, dans l’espace ; la bibliothèque d’Alexandrie, dans le temps. Le lecteur existe, écrit Manguel, pour assurer à un livre une modeste immortalité. « La lecture est, en ce sens, un rituel de renaissance. »

     

    Il est bien sûr question de l’ordre dans lequel on range les livres, des catalogues, de l’espace toujours insuffisant. Microfilms et ordinateurs ont prétendu triompher du papier, Manguel leur oppose un démenti cinglant, preuves à l’appui. Les nouvelles technologies, très coûteuses, si elles rendent service, sont à l’origine de désastres lorsqu’elles prétendent remplacer l’original par sa copie virtuelle. Coûteuse version multimédia irrécupérable moins de vingt ans plus tard, banques de données perdues, les problèmes de sauvegarde sont tels que « notre héritage de plus en plus numérique est en grand danger de disparaître », affirme un expert mondial en la matière.

     

    L’ouvrage très documenté de Manguel aborde la question de l’accès aux livres, qui a motivé d’illustres créateurs de bibliothèques publiques comme Carnegie : il fit construire plus de deux mille cinq cents bibliothèques dans douze pays anglophones. John Updike le remercia pour la liberté qui lui avait été ainsi donnée « pendant ces années de formation pendant lesquelles, en général, nous devenons ou non des lecteurs pour la vie. »

    Censure, autodafés, un chapitre passionnant sur les formes des bibliothèques et des salles de lecture – « Les livres confèrent à une pièce une identité particulière » – Manguel aborde le sujet sous tous les angles, multiplie les anecdotes significatives. Dans la bien nommée collection Babel, La bibliothèque, la nuit ne compte pas moins de vingt pages de références bibliographiques et seize pages d’index ! Jamais ennuyeux, cet allègre panorama au royaume des bibliothèques nous apprend qu’on distingue les pierres « majuscules » et « minuscules » du tuffeau qui a servi à construire son antre, que des « biblio-bourricots » amènent des livres au cœur des campagnes colombiennes, que « tout lecteur est un voyageur qui fait une pause ou quelqu’un qui rentre chez lui. »

  • Barcelone la noire

    L’ombre du vent (2001) de Carlos Ruiz Zafón commence dans l’étrange Cimetière des Livres Oubliés à Barcelone, en 1945. Daniel Sempere, dix ans, élevé dans l’amour des livres - son père tient une boutique de livres rares et d’occasion -, est invité à y choisir un livre oublié pour l’adopter et le garder toute sa vie durant. Où s’arrêter dans le labyrinthe où reposent des milliers d’ouvrages ? A l’extrémité d’un rayon, un titre en caractères dorés l’attire : « Je m’approchai de lui et caressai les mots du bout des doigts en lisant en silence : L’Ombre du Vent, Julián Carax. »

     

    Le nom de l’auteur ne lui dit rien, mais le hasard a bien fait les choses. En le lisant, Daniel comprend « que rien ne marque autant un lecteur que le premier livre qui s’ouvre vraiment un chemin jusqu’à son cœur. » Dès lors, il lui faut découvrir qui est ce Carax et ce qu’il a écrit d’autre. Assez rapidement, il se rend compte qu’il n’existe aucun autre exemplaire de ce roman ensorcelant. Un client de son père, Barceló, libraire érudit et fortuné, lui apprend que tous les livres de cet écrivain barcelonais ont été brûlés, et qu’il n’est pas de meilleure spécialiste de son œuvre que sa nièce aveugle, Clara, presque vingt ans. Le voilà bientôt amoureux de cette belle jeune fille deux fois plus âgée que lui. « Clara Barceló me vola le cœur, la respiration et le sommeil. » Il devient son ami, son lecteur, son confident, bien qu’elle le prévienne : « Ne fais jamais confiance à personne, Daniel, et surtout pas à ceux que tu admires. Ce sont eux qui te porteront les coups les plus terribles. » 

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    Bernarda, au service des Barceló, prend Daniel en affection, émue par ce garçon sans mère. Mais il déçoit son père. Celui-ci pressent que Clara joue avec son fils comme un chat avec un canari. De plus, Daniel n’a pas tenu sa promesse, puisqu’il a offert son exemplaire si rare de L’Ombre du Vent à la jeune femme. Quand il fête ses seize ans, Daniel fait l’expérience amère de l'abandon. Ni l’oncle ni la nièce ne se rendent à son invitation, et c’est le début de la désillusion. Mis à la porte de chez les Barceló après avoir cherché à récupérer son livre, il est si mal en point qu’un clochard le prend en pitié. Il dit s’appeler Fermín Romero de Torres et prétend avoir travaillé pour les services secrets. Sans le savoir encore, Daniel a rencontré son meilleur allié. « Le commerce des livres c’est malheur et compagnie » proférait Isaac, le gardien du Cimetière des Livres Oubliés. C’est peu dire. En se mettant sur la piste de Carax, le jeune Sempere n’imagine pas le nœud d’intrigues dans lequel il met les pieds.

     

    S’il fallait donner une couleur à Barcelone, on la dirait a priori rouge ou jaune, aux couleurs de la Catalogne. Mais la Barcelone de Zafón, c’est Barcelone la noire, la terrible. Pas seulement à cause du quartier gothique - le récit nous promène ailleurs dans la ville, sur la Rambla ou sur la colline de Monjuïc -, mais parce qu’il privilégie les rues sombres, les ambiances nocturnes de la « Ville d’Ombres ». Le diable même y a droit de cité. L’ignoble « homme sans visage » porte constamment un masque de cuir et traîne derrière lui une odeur de brûlé. Autre figure sinistre, celle de l’inspecteur Fumero qui rumine depuis longtemps une vengeance terrible et attend son heure.

     

    Bien sûr, le roman a ses heures ensoleillées : « Ma Barcelone préférée a toujours
    été celle d’octobre, lorsque nous prennent des envies de promenades et que nous nous sentons mieux rien que d’avoir bu l’eau de la fontaine des Canaletas qui, ces jours-là, miracle, n’a même plus le goût de chlore. »
    C’est sous un ciel bleu vif que Daniel retrouve par hasard, à l’université, Béatriz Aguilar, la sœur de son meilleur ami du lycée. Encouragé par Fermín, expert en séduction, Daniel décide de la revoir, bien qu’elle soit fiancée.

     

    Les personnages de Zafón ont de la présence, et il y en a beaucoup à découvrir sur la piste du mystérieux Carax, fil rouge de l’intrigue. L’Ombre du Vent comblera ceux
    qui adorent les histoires à rebondissements et les méandres d’une enquête compliquée. Trahisons, crimes, secrets, amours mensongères, sentiments vrais... Malgré les longueurs de ce récit souvent tortueux, on veut accompagner Daniel Sempere jusqu’à la résolution de l’énigme, vingt ans après sa première visite au Cimetière des Livres Oubliés.