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iran - Page 2

  • Désorientale

    C’est en écoutant Négar Djavadi parler de Désorientale sur France Inter, un dimanche de septembre, sur la route, que m’est venue l’envie de lire ce roman. Je l’ai reçu il y a peu (merci encore), et une fois ouvert, je ne l’ai plus lâché. L’histoire d’une Iranienne réfugiée en France et de sa famille – comme celle de la romancière, « une famille d’intellectuels opposants au Shah puis à Khomeiny » – traverse tout le XXe siècle, avec des allers et retours constants entre la vie au présent de Kimiâ, la narratrice, une jeune femme d’aujourd’hui, et des épisodes de leur passé.

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    http://www.lci.fr/livre/avec-desorientale-negar-djavadi-jette-un-regard-persan-sur-la-litterature-francaise-2001890.html

    Kimiâ se rappelle la réponse de son père, Darius Sadr, la première fois qu’elle est descendue avec lui dans le métro parisien, en 1981, et s’étonne de ne pas le voir prendre l’escalator : « L’escalator, c’est pour eux. » Elle avait dix ans et ne comprenait pas tout, mais elle se souvient de son regard « désarmé ». Darius Sadr est le héros de cette famille qu’elle nous décrit par « soubresauts organiques », s’appuyant sur une mémoire « imparfaite, mais sincère », et postposant toujours le récit de « l’événement ».

    A présent, elle attend à l’hôpital Cochin une insémination artificielle, seule, alors que les autres patients sont en couple. « On écoute mieux avec les yeux qu’avec les oreilles. (…) Si tu as quelque chose à dire, écris-le », disait son père. « J’ai changé de pays et de langues, je me suis inventé d’autres passés, d’autres identités. J’ai lutté, oh oui, j’ai lutté, contre ce vent impétueux qui s’est levé il y a très longtemps, dans une province reculée de la Perse nommée Mazandaran. »

    Et voici la première de ces histoires gigognes qui jalonnent le récit, « La Fameuse Histoire d’Oncle Numéro 2 », telle que la contait Saddeq Sadr. Elle se termine à la naissance de Nour, la grand-mère paternelle que Kimiâ n’a pas connue. Tandis que son oncle racontait et pleurait, de l’autre côté de la fenêtre, « la Révolution était en marche », les habitants de Téhéran criaient « Mort au Shah » et « Allah Akbar ».

    Saddeq Sadr vient de mourir. Sa sœur aînée, Leïli, « sensible et fragile comme de la vieille dentelle », vient de le lui annoncer, sans oser le dire à leur mère, Sara. L’épouse de Darius, si drôle et si active, « débordante d’amour et d’anxiété pour l’humanité entière », n’est plus la même depuis « l’événement ». C’était l’oncle dont Kimiâ se sentait le plus proche. Elle se souvient de leur premier séjour chez lui en août 1978, quand « le mouvement de protestation contre le régime du Shah s’était radicalisé » : la police était à la recherche de leur père, « le Sakharov d’Iran », caché quelque part dans Téhéran, et leur mère, à la suite d’une violente altercation avec un haut gradé de l’armée, avait été hospitalisée.

    Leïli, Mina et Kimiâ, les trois filles de Darius et Sara, ont fréquenté l’école française. C’était cher, mais leur mère francophile, enseignante dans un lycée public, rêvait pour ses filles d’études supérieures à l’étranger (un très beau personnage). « Contrairement à mes sœurs, je n’aimais pas le français, une langue que je trouvais alambiquée/ampoulée et avec laquelle je refusais de nouer le moindre contact en dehors de l’école. » Kimiâ ne jugeait pas le français supérieur au persan et n’aimait pas la suffisance des lycéennes par rapport aux Iraniens.

    Tout tournait autour de Darius, dans leur famille, mais lui ne s’intéressait qu’à la politique et à la philosophie. « Nous vivions à côté de lui, grandissions, mangions, réussissions des examens, ouvrions la porte d’entrée, tombions malades, obtenions des diplômes, fermions la porte d’entrée sans qu’il s’en aperçoive. »

    Le silence de la salle d’attente autour de Kimiâ est aux antipodes de ce que serait la même scène en Iran où on n’aime «  ni la solitude, ni le silence », où tout se passe dans des bavardages sans fin – un besoin de communiquer étranger aux Français qui restent fermés sur eux-mêmes et leur espace vital.

    Je ne vous raconte rien de la suite. Après ces 50 premières pages sur 350, vous aurez compris l’allure du roman : Négar Djavadi, telle Shéhérazade, passe d’une histoire, d’une situation, d’un événement à l’autre, bousculant la chronologie, attisant le mystère, égrenant peu à peu les joies et les douleurs d’une jeune femme plutôt en rupture avec le modèle familial – qui aurait cru qu’elle aussi, un jour, comme ses sœurs, voudrait être mère ? – mais qui se sent dépositaire de tous ces récits de famille entrelacés à l’histoire d’un pays, d’une époque.

    Vie en société, choix politiques et libertés personnelles, condition de la femme, multiples sont les thèmes de réflexion qui nourrissent ce premier roman. Diplômée de l’INSAS à Bruxelles et scénariste, réalisatrice de documentaires, Négar Djavali le divise en « face A », les histoires d’une famille en Iran et en France, et « face B », la quête personnelle d’une jeune femme homosexuelle et passionnée de rock alternatif. Kimiâ, la petite fille « désorientée » pendant la fuite hors d’Iran n’est à présent plus tout à fait une Orientale ni une Occidentale, d’où ce joli titre : « Désorientale ».

  • Comment décrire

    « Je me demandais comment décrire Emile Simonian. Ce dont je me souvenais, c’était ses yeux qui vous regardaient comme de très loin, et sa façon de s’asseoir, de marcher, de manger, tous ses mouvements qui étaient empreints de douceur et de calme. Mais tout cela n’avait guère d’importance aux yeux de ma sœur. « Il est grand, lui dis-je, élégant… bel homme. » Je regrettai aussitôt d’avoir dit ça. Le troisième chou à la crème s’immobilisa entre la boîte en carton et la bouche d’Alice. « Quel âge ? » » 

    Zoyâ Pirzâd, C’est moi qui éteins les lumières 

    Pirzad couverture poche.jpg

    Ne manquez pas la belle page d’accueil
    des éditions Zulma 



  • Le monde de Clarisse

    Dans C’est moi qui éteins les lumières de Zoyâ Pirzâd (traduit du persan (Iran) par Christophe Balaÿ), ce « moi », c’est Clarisse, que ses enfants trouvent au retour de l’école, comme d’habitude, dans sa cuisine. Les jumelles ramènent avec elles Emilie, la fille des nouveaux voisins qui ont emménagé dans l’appartement qu’occupait Nina, l’amie de Clarisse. 

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    "Notre menu à nous était un riz avec du ragoût de gombos."

    Photo et recette
    http://augredumarche.blogspot.be/ (merci)

    Armen, leur grand frère de quinze ans, observe à distance. Les fillettes veulent montrer à Emilie la poupée Raiponce aux mains blanches comme les siennes. Le goûter commence à peine qu’on sonne : une toute petite dame, trois rangs de perles autour du cou, réclame sa petite-fille. A peine les présentations faites, Elmira Simonian se fâche sur Emilie et l’emmène, sous le regard médusé des enfants.

    Artush, le mari de Clarisse, l’écoute à peine quand il lit le journal le soir, mais il réagit au nom des nouveaux venus. Emile Simonian, le père de la petite, a été muté récemment dans son entreprise. Clarisse observe celui qu’elle a épousé dix-sept ans plus tôt, il a pris vingt kilos, il a beaucoup changé. Puis ils vont se coucher et c’est Clarisse qui éteint les lumières.

    Le lendemain, sa mère lui raconte tout ce qu’elle sait des Simonian, elle a des idées très arrêtées sur les Arméniens de Jolfa, sur ceux de Tabriz, et se fait du souci pour son autre fille, Alice, qui « ne va pas bien ». Elle est partie s’acheter des chocolats quand la nouvelle voisine vient frapper à la porte : pour s’excuser de son attitude de la veille, elle a apporté un gâteau, et complimente Clarisse pour sa cuisine « originale » (fleurs séchées, pots de faïence, guirlandes de piments rouges et tresses d’ail) et ses belles manières – elle a fait glisser le gâteau sur un plat avant de lui servir du thé. Après avoir parlé de sa vie à Paris, à Londres, à Calcutta, elle invite toute la famille pour dîner, ils feront ainsi connaissance avec son fils Emile.

    Artush déteste ce genre de « mondanités » mais s’incline. Emilie leur ouvre la porte en jolie robe blanche, sa grand-mère porte une longue robe de soie noire et d’imposants bijoux. Et voilà Emile Simonian qui fait le baise-main à Clarisse, à sa grande surprise. Etonnante aussi, la soudaine politesse d’Armen qui serre la main d’Emilie. Les jumelles observent avec de grands yeux – « Comme au cinéma », dit l’une. Clarisse remarque une belle armoire indienne dans l’appartement pauvrement meublé. « Lorsque l’on décrit une maison, on montre le caractère de son personnage » a déclaré la romancière dans un entretien au Courrier international.

    De cette soirée plutôt guindée, Artush retiendra surtout le sort peu enviable d’Emile, accaparé par sa mère qui répond à sa place, ne cesse de lui donner des ordres et se plaint de devoir tout faire elle-même, alors qu’en Inde elle avait des domestiques.

    « Abadan (la ville natale de l’auteure) ne connaît pas de printemps, mais la chaleur et l’humidité », commente Armen en écoutant la radio du matin annoncer du temps printanier à Téhéran. Clarisse apprécie l’esprit de son aîné, qui change beaucoup ces derniers temps. Une fois tout le monde parti, elle ferme la porte à clé, savoure ce moment de solitude avant l’arrivée de sa sœur et de sa mère : elle a le temps de réfléchir, de se souvenir (de son père surtout), tout en vaquant à ses tâches ménagères. Alice est bientôt là, avec un carton de pâtisseries, elle veut tout savoir des voisins, du fils ingénieur en particulier. Alice cherche un célibataire à épouser.

    C’est moi qui éteins les lumières décrit la vie quotidienne de cette famille arménienne en Iran : sorties, fréquentations, courses, repas, école, activités des enfants… Artush a trouvé en Emile un bon partenaire aux échecs, mais le juge un peu à part, dans « un monde de légendes et de poésie ». Or Emile et Clarisse sont souvent sur la même longueur d’onde, ils aiment la lecture, les fleurs, les petits plats raffinés – elle est une excellente cuisinière. Quand ils ont l’occasion de parler ensemble, Clarisse en est toute retournée, elle avait perdu l’habitude de tant d’attention et de délicatesse à son égard.

    Zoyâ Pirzäd raconte des riens avec finesse, comme dans Un jour avant Pâques, et peu à peu, toute une société prend vie sous nos yeux avec ses coutumes, ses rites, ses préoccupations. Les femmes y sont souvent au foyer, à part la secrétaire d’Artush, qui donne des conférences pour sensibiliser les femmes à leur nouveau droit de vote. « Immense succès en Iran », « romancière adulée de ses lecteurs », peut-on lire sur la quatrième de couverture. Simple et profonde, la Clarisse de C’est moi qui éteins les lumières nous reste en tête bien après qu’on a fermé ce roman « tchekhovien ».

  • Petits matins

    « Tôt le matin, la cuisine m’appartenait exclusivement. Je faisais le thé. Je disposais sur la table le nécessaire du petit déjeuner, sans cesser de parler tout seul. Avec moi-même, ou avec d’autres : mon père, ma mère, mes professeurs, ma tante ou ma grand-mère. Les personnages de mes petits matins étaient comme j’aimais qu’ils fussent : mon père courtois et affable, ma mère riant tout le temps, mes professeurs indulgents. Ma tante et ma grand-mère éprouvaient pour ma mère de l’affection. Moi, j’avais des réponses justes et raisonnables pour chacun. »

    Zoyâ Pirzâd, Un jour avant Pâques

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  • Pâques en Iran

    Traduit du persan (Iran), Un jour avant Pâques de Zoyâ Pirzâd (2008) raconte l’histoire d’une famille d’abord installée au bord de la mer Caspienne puis à Téhéran. Edmond Lazarian a grandi dans une maison mitoyenne avec l’église et l’école arméniennes. A douze ans, il est surtout l’ami de Tahereh, la fille du concierge de l’école – son père ne voit pas d’un bon œil qu’il fréquente une famille musulmane. Quelques jours avant Pâques, lorsque les orangers de la cour intérieure fleurissent,
    il capture une coccinelle : la légende dit qu’à la première coccinelle aperçue, on peut faire un vœu qui sera exaucé avant Pâques. Toute la journée, il se tracasse en classe,
    il a oublié de trouer la boîte d’allumettes et craint pour la vie de sa prisonnière. Et comme son père, à la sortie de l’école, l’oblige à l’accompagner chez le coiffeur, au retour, il est trop tard. La coccinelle est morte, et l’enfant en pleurs.
     

    Miniature arménienne.jpg

     

    Ainsi commence l’évocation d’une enfance marquée par la culture arménienne – Madame Grigorian, une amie de sa grand-mère, en est la dépositaire respectée, « la seule Arménienne de la ville à avoir vu l’Arménie ». Au cimetière de l’église, où il est interdit de jouer, mais dont Tahereh qui est un peu sorcière aime faire un terrain de cache-cache, Edmond est particulièrement impressionné par la tombe « de la femme du marchand ». A la mort de son mari, celle-ci s’est fait sculpter en train de lire, grandeur nature, pour lui tenir compagnie – avant de partir avec le sculpteur. Mais
    « la plus belle femme du monde », pour le garçon, c’est la mère de Tahereh, grande et mince, discrète, malheureuse victime des mauvais traitements de son époux. Edmond l’aperçoit un jour, en larmes, qui se confie au directeur de l’école dans sa pièce « pleine de livres ».

     

    Dans la deuxième partie du roman, un jour avant Pâques, Alenouche, la fille d’Edmond, annonce à ses parents qu’elle va se marier avec Bezhad, ce qui laisse sa mère Marta sans réaction. Heureusement, se dit le père, que sa grand-mère est morte : épouser un non-arménien ! Depuis l’enfance, sa fille se montre rebelle à la religion. Edmond est maintenant le directeur de l’école, mais se laisse remplacer de plus en plus souvent par Danik, la surveillante-générale, devenue la meilleure amie de Marta. A la naissance d’Alenouche, sa femme qui s’entendait particulièrement bien avec la grand-mère d’Edmond avait reçu d’elle sa bague de fiançailles en diamant.

     

    Si le récit, de chapitre en chapitre, change de génération, Zoyâ Persâd intègre dans chacun d’eux de multiples flash-backs. Par exemple, Edmond se souvient des disputes entre ses propres parents et du jour où sa mère avait récupéré une armoire et un lit pour les installer dans un débarras non loin de sa chambre de garçon : ce serait dorénavant la chambre de sa mère, ornée avec soin, une pièce très agréable où il aimait à se tenir près d’elle. Quant à Bezhad, l’étudiant dont Alenouche ne cesse de faire l’éloge, à sa première invitation chez eux, il déclare : « Il n’y a qu’une seule chose que je ne tolère pas, c’est l’intolérance. » Pas étonnant qu’il s’entende avec sa fille qui, du haut de ses six ans, avait un jour répliqué à sa mère : « Maman, je n’ai pas la patience d’écouter tes sermons ! » Les souvenirs d’Edmond envahissent de plus en plus le récit, concernant sa mère, son enfance, son mariage, les déménagements.

    Au dernier chapitre, c’est à nouveau la veille de Pâques – le moment le plus fort de la religion arménienne. Sa femme Marta n’est plus, ni sa mère qui lui avait offert, le jour de sa réussite au baccalauréat, un stylo-plume avec un flacon d’encre verte parce qu’elle aimait « tout et tous ceux qui se distinguent ». Alenouche s’est éloignée, mais Danik est toujours là pour fêter Pâques avec lui et lui donner un cadeau, un geste que Marta faisait si bien, elle qui avait toujours le cadeau approprié pour chacun, alors qu’Edmond ne sait jamais quoi offrir. Il y a beaucoup de délicatesse et de sensibilité dans Un jour avant Pâques, une délicieuse incursion dans les rituels et dans l’intimité d’une famille arménienne qui évolue avec son temps, mais garde ses traditions les plus précieuses.