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exposition - Page 58

  • Signé van de Velde

    « Passion Fonction Beauté » : ne manquez pas la grande exposition des Musées Royaux d’Art et d’Histoire, au Cinquantenaire à Bruxelles, pour célébrer les cent cinquante ans de Henry van de Velde (1863-1957). Né à Anvers, d’abord peintre, ce créateur touche à tout va s’illustrer surtout dans l’architecture et les arts appliqués. En Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas – la première et la dernière des quatre maisons qu’il a conçues pour sa famille se situent à Uccle (Bloemenwerf) et à Tervueren (La Nouvelle Maison).  

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    Couverture du dossier pédagogique des MRAH, bien illustré

    Vous avez peut-être visité le musée Kröller-Müller dessiné par lui à Otterlo. Vous avez certainement déjà vu le magnifique chandelier art nouveau à six branches, emblème de cette rétrospective, ou le fameux bureau « rognon » que je ne manque pas d’admirer chaque fois que je vais au Musée d’Orsay. Mais vous ignoriez peut-être comme moi que le logo de la SNCB, avec son « B » cerné d’un ovale, est signé van de Velde, et qu’il a décoré aussi des voitures de la compagnie, en première, deuxième et troisième classe. 

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    Van de Velde, Portrait de Jeanne Biart

    L’exposition commence par ses dix ans de peinture (1883-1893), surtout paysagiste, avec un beau portrait de sa sœur, Portrait de Jeanne Biart. Van de Velde admire Millet, les impressionnistes, avant d’adopter la technique de Seurat. Ses Dunes de 1988 n’ont plus rien à voir avec le Moulin réaliste de ses débuts, ni Soleil d’hiver et surtout La fille qui remaille, un chef-d’oeuvre.

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    Van de Velde, La fille qui remaille © MRBAB

    En participant au Salon des XX, van de Velde est frappé par les céramiques de Finch, qui lui fait découvrir le mouvement Arts & Crafts. Il décide alors de se tourner vers les arts appliqués, qui correspondent davantage à ses idées sociales en faveur de la beauté pour tous et dans la vie quotidienne, même si ce sont des acheteurs aisés qui vont devenir ses commanditaires. 

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    Paire de chandeliers, bronze argenté, Bruxelles, 1898-1899 © MRAH

    Meubles et objets contemporains anglais et belges – service à thé de voyage en argent de Christopher Dresser, chaise de Morris, mobilier de Godwin, grande armoire buffet de Victor Horta, grès de Delaherche…– entourent les premières œuvres de van de Velde, dont un étonnant portrait au pastel du poète Max Elskamp, son camarade de classe et ami depuis leurs treize ans. Des coupes, des vases, des reliures, des bijoux… L’exposition rassemble des centaines d’objets. 

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    Van de Velde, Vase, 1901-1902 © MRAH

    En 1894, Henry van de Velde écrit dans son manifeste, « Déblaiement d’art », le principe premier de son art : « La ligne est une force. » Une œuvre remarquable, « Veillée d’anges », en laine et soie, l’illustre parfaitement (il la conservera chez lui toute sa vie). Quatre jeunes femmes sont agenouillées en prière dans un jardin, devant un enfant couché sur l’herbe, tandis que derrière des arbres stylisés, des femmes en coiffe observent la scène. Sur la ligne d’horizon, très haute, des arbres jalonnent une route. Les couleurs, les formes, les lignes – l’arrondi des robes sur l’herbe répondant aux autres courbes –,  tout mérite l’attention dans ce chef-d’œuvre tout en « arabesques linéaires », aujourd’hui dans un musée de Zurich. 

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    Van de Velde, Sofa, 1905  © MRAH

    Plus loin, à la fin d’une série d’œuvres sur papier, un pastel, Composition végétale abstraite (qui m’a fait penser à Spilliaert) offre de somptueux tons de bleu, vert et orange. Dans cette salle, on présente de belles pièces en Val Saint Lambert dues à Louis-Léon Ledru d’après des dessins de van de Velde, dont une jolie coupe aux noix à deux anses et une grande coupe verte à volutes. 

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    Van Rysselberghe, Maria Sèthe à l'harmonium, 1891 © Musée des Beaux-Arts d'Anvers

    Des photographies (N/B) de Maria Sèthe sont projetées en grand sur un mur : l’épouse de van de Velde y porte des robes dessinées par lui, des vêtements amples par souci d’hygiène et de confort, en opposition avec la mode parisienne des corsets. Elle signe la préface d’un album de robes pour dames. Des cols, des corsages, des manchettes, des ourlets réutilisables d’une toilette à l’autre sont présentés dans de petites vitrines tables. Et de Van Rysselberghe, le magnifique portrait de Maria Sèthe rappelle qu’elle était pianiste. 

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    Photo L'Avenir

    De grandes photos jalonnent tout le parcours, des portraits de van de Velde et des vues de maisons qu’il a construites. L’impression sur plaque métallique (j’ignore le procédé exact) rend heureusement la profondeur, on le voit bien par exemple sur celle du Bloemenwerf, sa maison d’Uccle un peu inspirée de la Red House de Morris, entourée de feuillages. 

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    Villa Bloemenwerf à Uccle (photo Wikipedia)

    Comme chez Horta, qui ne l’appréciait pas et s’opposera à van de Velde à plusieurs reprises, tout est pensé pour ses intérieurs de A à Z, les poignées de portes, les encadrements en bois exotique, un centre de table qui puisse recevoir les plats chauds, une chaise d’enfant ravissante où les montants du dossier forment un « V », comme sur celle-ci. 

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    Chaise "Bloemenwerf", 1895
    Photo Chris 73 pour Wikimedia Commons 

    Si van de Velde est mieux connu et reconnu en Allemagne qu’en Belgique, c’est sans doute parce qu’il y a vécu dès 1900, à Berlin d’abord, puis à Weimar, où on lui confie le renouveau culturel de la ville. Conseiller artistique du grand-duc Guillaume-Ernest de Saxe-Weimar-Eisenach, il s’occupe entre autres du centre d’archives Nietzsche, ayant toute la confiance d’Elisabeth Förster-Nietsche. En plus de son enseignement à l’Institut des Arts appliqués, le futur Bauhaus, il doit répondre à de multiples commandes privées : construction de villas, aménagements d’intérieurs.

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    Archives Nietzsche à Weimar © http://www.klassik-stiftung.de/index.php?id=86

    Si van de Velde est mieux connu et reconnu en Allemagne qu’en Belgique, c’est sans doute parce qu’il y a vécu dès 1900, à Berlin d’abord, puis à Weimar, où on lui confie le renouveau culturel de la ville. Conseiller artistique du grand-duc Guillaume-Ernest de Saxe-Weimar-Eisenach, il s’occupe entre autres du centre d’archives Nietzsche, ayant toute la confiance d’Elisabeth Förster-Nietsche. En plus de son enseignement à l’Institut des Arts appliqués, le futur Bauhaus, il doit répondre à de multiples commandes privées : construction de villas, aménagements d’intérieurs. 

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    Affiche publicitaire signée Van de Velde 

    Vous verrez un des spectaculaires meubles avec lavabo qui s’alignaient dans le salon de coiffure de François Haby à Berlin, des affiches publicitaires et des boites pour les biscuits Tropon, des tissus, des reliures, et beaucoup de meubles, d’ensembles. Van de Velde, sans formation d’architecte au départ, était « plus intéressé à construire dix maisons qu’à faire une robe », témoigne son client et ami le comte Harry Kessler. 

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    Henry van de Velde dans son atelier à l'Ecole des Arts décoratifs (Weimar), 1898
    © Fonds Henry van de Velde - ENSAV, La Cambre, Bruxelles 

    Le clou de l’exposition, à mi-parcours, c’est une table dressée pour dix personnes, où tout est signé van de Velde : porcelaine, verres, argenterie… On a même imaginé quelles illustres connaissances de l’artiste pourraient s’y asseoir, de Julius Meier-Graefe et Stephane Bing, qui l’ont lancé en Allemagne, à la sœur de Nietzsche, le socialiste Vandervelde dont il partageait les idées ou la reine Elisabeth de Belgique (favorable à son retour en Belgique après la première guerre). 

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    Tour des livres à Gand

    A Bruxelles, on lui confie la création d’un Institut Supérieur des Arts Décoratifs à l’abbaye de La Cambre ; son enseignement est abondamment illustré par des photos et des travaux d’élèves sous sa direction. C’est van de Velde qui réalise aussi la Tour des livres de l’Université de Gand, les aménagements du paquebot prince Baudouin, un bureau pour Léopold III, entre autres. On attend toujours la publication complète en français de ses mémoires, Récit de ma vie

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    Timbre belge dédié à van de Velde (La Nouvelle Maison) en 2003

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    Timbre anniversaire 2013 

    L’avant-garde en Belgique (Les XX, La Libre Esthétique) a contribué à imposer l’art moderne en Europe. Le parcours personnel de van de Velde, d’un pays, d’un projet à l’autre, avec ses réussites et ses échecs, est développé dans un catalogue passionnant. Un cahier séparé reprend les 19 panneaux et les légendes de toutes les pièces exposées, à emporter sans doute pour une seconde visite plus confortable (les étiquettes sont parfois éloignées des objets ou placées très bas). Comptez plus de deux heures pour découvrir à l’aise cette belle rétrospective, visible jusqu’au 12 janvier prochain.

  • En accéléré

    « En l’espace de quatre-vingts ans, de 1923 à 2003, la Villa Noailles sera passée par tous les états possibles dans l’existence d’une maison : la construction, l’extension, l’effervescence, l’éclat, les malentendus, la guerre, les mondanités, le déclin, la vente, l’abandon, la ruine, la restauration, la réutilisation. (…) Aussi, avec l’avantage du raccourci et un peu comme un film en accéléré, la Villa Noailles offre un rare spectacle des aléas de la vie, et ouvre un champ d’interrogations qui intéressent l’architecture, l’art et la culture dans leur étrange rapport au temps et au monde. »

    François Carrassan, Une petite maison dans le Midi in La Villa Noailles (l’yeuse, 2003) 

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    To be contained. Aldo Bakker à Sèvres 

    http://www.aldobakker.com/news

    "Sèvres est entièrement dédiée à la porcelaine." "On peut lui donner presque toutes les formes qu'on souhaite, sans oublier les couleurs et les glaçures. Mais je ne veux pas que mes idées et mes formes soient sous le contrôle de la matière. Il faut laisser de la place à l'imagination."
    (Design Parade 8, Hyères, 2013)

     

     


  • A la Villa Noailles

    Combien de fois, en passant par Hyères, avons-nous projeté de visiter la Villa Noailles ? Cette fois, nous avions l’adresse et la confirmation de l’ouverture l’après-midi, jusqu’à la fin de septembre. Sans en savoir grand-chose, sinon que son architecte, Rob. Mallet-Stevens, était belge, nous avons emprunté la Montée Noailles en haut de laquelle, première surprise, se dressent les murs d’enceinte d’un monastère disparu. C’est à l’emplacement du clos Saint-Bernard, un terrain sur les hauteurs offert par sa mère au comte Charles de Noailles pour son mariage avec Marie-Laure Bischoffsheim, en février 1923, que le jeune couple décide de faire construire « une petite maison intéressante à habiter ». 

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    Passé l’enceinte, deux possibilités : à gauche, l’entrée du parc Saint-Bernard (les jardins en restanques, comme la maison, sont à présent domaine public et de libre accès) ; à droite, une rampe vers la Villa, dont on découvre d’abord le jardin en pointe, comme la proue d’un vaisseau, où les carrés plantés d’aloès alternent avec des rectangles d’émaux de couleurs. Il y manque « La joie de vivre », une sculpture de Lipchitz, qui tournait sur son socle.

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    Le chemin d’entrée longe la façade du « château cubiste », comme on l’a appelé, et le regard est capté d’abord par le jardin qui lui fait face sur la gauche, pourvu de sièges baroques et colorés et de transats. Les larges baies dans le mur blanc qui le clôture s’ouvrent sur un paysage splendide, plein sud : la végétation, la vieille ville, au loin la mer et les îles d’Or.

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    La villa initiale se voulait fonctionnelle avant tout. Le couple d’aristocrates amateurs d’art et de nouveauté s’est tourné vers un architecte d’intérieur décorateur aux conceptions d’avant-garde : « organiser une installation pratique, hygiénique, commode, où règne à profusion l’air et la lumière », tel est pour Mallet-Stevens le rôle de l’architecte moderne. Charles de Noailles veut que tout y soit fait « pour avoir le soleil » et refuse quoi que ce soit de « seulement architectural ». (Il fera détruire le belvédère conçu pour marquer verticalement l’axe central, il n’en reste qu’un escalier ne menant à rien.)

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    Du hall d’entrée, on accède par quelques marches au « salon rose » ajouté après coup à l’arrière. Un défi, la pièce ne dispose d’aucune fenêtre. Mallet-Stevens y remédie grâce au vitrail du plafond, un agencement orthogonal de quatre sortes de verre cannelé. Dans le cadre de la huitième édition de « Design parade », festival international de design organisé dans la Villa Noailles centre d’art, on y expose des sièges de Marcel Breuer en tubes et cuir. Inspiré par le guidon de son nouveau vélo, ce « jeune maître » du Bauhaus dessine un mobilier tubulaire aux formes nouvelles. On y reconnaît des fauteuils devenus célèbres, bientôt imités en grande série.

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    Un long couloir vers la droite mène à deux chambres d’amis au rez-de-jardin, chacune dotée d’un cabinet de toilette, comme toutes les autres (cinq au total, dans la première villa). Le mobilier d’origine manque, on y présente les plans de la maison, des photographies des lieux ainsi que des artistes célèbres qui y sont passés : Cocteau, ami d’enfance de la comtesse, Dali, Buñuel, Francis Poulenc, Braque, Giacometti... Mécènes très actifs, leurs hôtes soutenaient le cinéma, la littérature et l’art. Ils organisaient de nombreuses fêtes où se retrouvait toute l’avant-garde.

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    Pour meubler leur intérieur, les Noailles se sont adressés à divers créateurs tantôt conseillés par l’architecte, tantôt repérés dans des Salons. Une horloge identique dans toutes les pièces donne la même heure grâce à un réglage centralisé : des aiguilles triangulaires et des chiffres (un cadran de Francis Jourdain) simplement apposés au mur. 

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    De l’autre côté du hall, on accède à un salon de lecture puis à deux salles à manger séparées par des portes miroirs coulissantes. On y montre du mobilier design de l’entre-deux-guerres, comme cette belle lampe en spirale dont je n’ai pas noté l’auteur. Ce qui frappe, 90 ans plus tard, c’est la modernité, la simplicité dont font preuve ces précurseurs.

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    Les Noailles aimaient le cinéma. Amusantes, ces images de Biceps et bijoux (Jacques Manuel, 1928, illustration ci-dessus), projetées dans une petite pièce près du hall, où l’on voit toute une bande en tenue rayée suivre un cours de gymnastique collectif sur le solarium près de la piscine. Ils ont permis à Cocteau de réaliser Le sang d’un poète. Après le tournage de Man Ray, Les mystères du Château du Dé (1929), Buñuel écrit en partie à la Villa Noailles le fameux Age d’or de 1930 : ce « film surréaliste parlant » produit par les Noailles provoquera un tel scandale qu’il sera interdit en France pendant un demi-siècle ! Et la réputation de ses mécènes en sera très affectée.

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    A l’étage, également orientées au sud, la chambre de monsieur, agrémentée plus tard d’une chambre en plein air (on pouvait dormir dans cette petite pièce fermée par des vitres coulissantes). Dans la chambre de madame, des photos, de petites figures féminines de Giacometti, portraits de Marie-Laure de Noailles en pied ou en buste.

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    Très vite, le couple manque d’espace pour recevoir, pour loger les domestiques. A la villa initiale s’ajouteront de 1925 à 1932 une annexe, des communs, la « petite villa » et puis une piscine, un gymnase, un squash. On ignore qui en sont les concepteurs, Mallet-Stevens n’intervenant que pour le « salon rose » en 1926. Au final, cela fera quelque 1800 mètres carrés habitables et 600 mètres carrés de terrasses.

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    Bio Composite © Mugi Yamamoto, 2013 
    http://www.mugiyamamoto.com/ 

    Comme la plupart des espaces, actuellement (jusquau 29 septembre), les grandes salles voûtées donnant sur le « jardin cubiste », jadis utilisées pour les réceptions, abritent les œuvres des jeunes designers en concours. Mugi Yamamoto (suisse) présente ses différents essais pour aboutir à un matériau « bio-composite » écologique et recyclable à base de glaise locale (Lausanne) et d’éléments biodégradables, sans cuisson, le résultat final étant assez stable et résistant pour fabriquer des meubles à bon marché.

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    Dyade, 2013 © Julie Richoz
     
    http://www.julierichoz.ch/

    C’est une Suissesse, Julie Richoz, qui a remporté l’édition précédente de « Design parade ». Elle signe un amusant dessin d’une table où plusieurs personnes occupent des chaises aux formes variées et accueillent la nouvelle venue par cette phrase : « Entre, dessine ta chaise et installe-toi ! » Il faut monter à l’étage de la piscine (la maison s’est agrandie sur le côté et par le haut, le long du terrain en pente) pour admirer quelques-unes de ses créations récentes, dont la plus géniale est sans doute cette lampe « Dyade » mobile, jouant sur le plein, le vide et le mouvement. 

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    Avant de redescendre et d’aller vous promener dans le parc, arrêtez-vous un instant sur la grande terrasse solarium qui jouxte la piscine (aujourd’hui vide et recouverte de verre) pour rendre hommage au grand pin parasol qui lui fait face. Vous en verrez d’autres dans les jardins, mais d’ici, cette noble architecture naturelle complète magnifiquement le modernisme de la Villa Noailles.

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    Dans un intéressant coffret de trois livrets édité par l’yeuse, La Villa Noailles (2003), François Carrassan donne un aperçu historique (illustré en noir et blanc) des étapes par lesquelles elle est passée : un bref âge d’or (1923-1933), un long déclin jusqu’à ce qu’elle soit achetée par la Ville d’Hyères, en 1973. Trente ans plus tard, sa restauration s’achevait grâce à la volonté de Léopold Ritondale : « C’est un autre paradoxe de l’aventure : quand le temps ne cessait d’aggraver la ruine, que tout était dans l’impasse, savoir que la Villa Noailles serait rendue à sa vérité perdue par le fils d’un jardinier du vicomte devenu maire de la Ville d’Hyères. » (François Carrassan, Une petite maison dans le Midi)

  • Horizons

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    Léon Spilliaert, Marine aux voiles oranges (détail), 1909

    « Qu’il peigne une marine, c’est devant soi, l’Océan sans fin, les vagues mystérieuses, la plage monotone et le ciel qui se marie à l’onde, dans le lointain : qu’il représente la digue, le quai, c’est l’éloignement de la ligne qui se perd dans le vide, et c’est le vide lui-même sous la masse du ciment ; qu’il interprète un paysage, c’est l’immense ciel nuageux, la route interminable. Point de limitation, de bornes, ni d’arrêts prématurés. Les horizons fuient avec l’espace, il faut s’enfoncer, se perdre dans la vision, rêver et respirer à pleines pensées et à pleines aspirations. » 

    François Jollivet-Castelot (1874-1939) in Xavier Tricot, Bonjour Ostende, Ostende dans l’art international, Pandora publishers, Ostende, 2013. 

    ***

    Deux semaines de vacances en vue : je vous laisse respirer l’atmosphère d’Ostende à travers quelques photos. A bientôt.  

                      Tania          

    P. S. L’exposition « Des lettres et des peintres. Rops, Ensor, Magritte. » est prolongée jusqu’au 17 novembre. Des journées portes ouvertes sont proposées aux enseignants à la fin du mois de septembre, qu’on se le dise.
    http://www.mlmb.be/fr/index.html


     

  • Bonjour Ostende

    Ce joli titre d’exposition – en français à la Côte belge, ce n’est pas si courant, merci – met à l’honneur les peintres inspirés par Ostende aux Galeries Vénitiennes, sur la digue de la reine des plages belges, jusqu’au 15 septembre. « Bonjour Ostende » est d’abord le titre d’une amusante toile cubiste de Floris Jespers choisie comme affiche : silhouettes de promeneurs à la manière d’un collage, la tête ailleurs, sur un bord de mer où les poissons s’envoient en l’air – Ostende avec ses cabines rayées, ses bateaux à l’horizon. 

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    Floris Jespers, Bonjour Ostende, 1926-1927

    Plusieurs oeuvres de Floris Jespers, dont « La plage d’Ostende », remarquable aussi, accueillent les visiteurs avant qu’ils pénètrent dans une longue salle d’exposition  où les tableaux sont présentés par ordre chronologique, de 1650 à nos jours. Les anciennes représentations de la ville relèvent de la peinture d’histoire (Peter Snayers, « Le Siège d’Ostende ») et mettent en valeur le port, l’arrivée des bateaux, le marché aux poissons, la plage et la digue.

    Au XIXe siècle, Michel Van Cuyck, peintre ostendais, montre la société élégante en promenade sur la digue et, sur la plage, des cabines sur roues qu’on retrouve dans une grande toile verticale de François Musin, « La plage de l’ouest et le casino d’Ostende ». Le Kursaal (ou Casino) est un endroit mythique à Ostende, son architecture a évolué au cours du temps. Musin a peint cette vue (vers 1885) depuis la plage où des pêcheurs à cheval, des enfants, des familles, prennent l’air non loin des cabines aux rayures pimpantes –un drapeau noir jaune rouge piqué dans le sable flotte au vent – sous le mur oblique de la digue avec ses grands hôtels et, tout au bout, l’arrondi de la promenade autour du casino. Superbe. 

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    François Musin, La plage de l'ouest et le casino d'Ostende, vers 1885
    (Toile plus lumineuse en réalité)

    Van Cuyck est l’un des artistes locaux chez qui le jeune James Ensor (1860-1949) a pris des cours de dessin, celui-ci est évidemment bien présent avec des marines et des vues en plongée sur des rues qu’il apercevait de son atelier sous les toits. Ses célèbres Bains d’Ostende (1890) sont drôlissimes : personnages grotesques, chiens lubriques, plage grouillant de monde sous un ciel rieur, on ne s’embête pas ! Jean-Jacques Gailliard peint Ensor marchant sur la digue, mains derrière le dos, de profil, tout en noir, avec chapeau et parapluie (« Ensor Ostendais »).

    On croise aux Galeries Vénitiennes des noms bien connus en Belgique : Degreef, Hannon, Vogels, Permeke surtout. On reconnaît « Le port d’Ostende » de Willy Schlobach avec sa grande oblique (collection Belfius), la touche pointilliste de Finch, « L’hippodrome Wellington », et on est attiré irrésistiblement vers le fond de la galerie où l’on reconnaît la patte d’un autre grand peintre ostendais, cher à notre cœur, Léon Spilliaert (1881-1946) – rien que pour lui, le déplacement vaut la peine. 

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    Spilliaert, Fillette à la plage (détail), 1909 

    Quel ensemble ! Une « Marine (nocturne) » presque noire, d’un noir d’encre, où l’on devine à peine l’horizon, une « Marine (avec vue sur le Royal Palace) » très claire, légère comme une esquisse, où le peintre distribue ses gris subtils dans l’espace dont mieux que quiconque il rend l’ouverture sur l’infini. Deux repères, le Royal Palace, à gauche, et un bateau qui fume entre ciel et mer. Une « Marine bleue et rouge » au pastel, une autre « aux voiles oranges », et que dire de cette « Digue d’Ostende » à contre-jour, somptueuse ? Une « Fillette à la plage » retient son chapeau ; sur le seuil d’une « Maison appelée « La Chaire » à Ostende », un pêcheur fume la pipe assis sur l’escalier.

    Je ne connaissais pas Jan De Clerck (1881-1962), Ostendais lui aussi, qui nous montre entre autres des bassins du port ou un chantier naval sous la neige ou en été. J’ignorais que Erich Heckel, expressionniste allemand (un des fondateurs de Die Brücke), amené en Flandre par la première guerre (comme infirmier volontaire) avait peint tant de vues d’Ostende – quel dommage que la moitié d’entre elles soient accrochées si haut qu’il faudrait un escabeau pour les approcher ! 

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    Erich Heckel, Casino d'Ostende, 1917 

    Je pourrais encore vous parler de Wolvens, de Brusselmans, de Raveel (« Het groen in de zee »)… Mais passons à la photographie et aux images captées, dans les salles annexes : Lili Dujourie y a aligné sept écrans sur lesquels on peut regarder bouger la mer en noir et blanc, marée basse, marée haute, vue de son appartement. Plus loin, de la même artiste flamande, « Ostende » (1974), dix-huit petites photos noir et blanc prises un jour de tempête.

    Contraste avec « Twilight » (« Crépuscule », 2008), un beau film en couleurs de Michel Lorand sur grand écran : un marcheur passe sur la plage avec son chien, c’est un peu flou, la caméra oscille de gauche à droite et inversement, peu à peu la lumière change… Quelques images sur son site vous en donneront un aperçu. Vous pourrez découvrir aussi d’anciens films sur Ostende, il y a de quoi vous remplir les mirettes aux Galeries Vénitiennes (à côté de l’Hôtel des Thermes). Et dans le beau catalogue bilingue de Xavier Tricot (Pandora) qui commence par « Certains noms de villes suscitent le rêve. »