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cinéma - Page 13

  • Matins du monde

    L’écrivain Michel Le Bris, qui a créé il y a vingt ans le festival « Etonnants voyageurs » à Saint-Malo, a dû annuler l’édition de cette année en Haïti*, pour les raisons que l’on sait. En 2008, son roman La Beauté du monde a été retenu pour le Goncourt, attribué finalement à Atiq Rahimi pour Syngué Sabour. Pierre de Patience… La beauté du monde : comment résister au titre de ce gros roman ? 

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    http://www.safarimuseum.com/
    The Martin and Osa Johnson Safari Museum

    Les images, au début, de la savane africaine où s’ébranle un troupeau d’éléphants filmés par Martin Johnson, caméra à l’épaule, rappellent le film de Sidney Pollack inspiré par La ferme africaine de Karen Blixen, Out of Africa, lorsqu’elle vole en compagnie de Denys Finch Hatton. Si la Danoise est brièvement évoquée par Le Bris, son amant, en revanche, joue les délicieux confidents auprès d’Osa Johnson, l’héroïne, l’aventurière, l’âme du récit de Michel Le Bris après avoir été celle des films de son mari. Un couple qui a réellement existé.

    Modeste auteur d’un conte animalier et d’un récit pour adolescents, la jeune Winnie est engagée en 1938 pour écrire une biographie de la fameuse « légende moderne de l’Amérique ». C’est Osa qui a choisi cette jeune fille « jamais sortie de Wyaconda » parce qu’elle la jugeait capable de la comprendre vraiment, elle, une fille de Chanute (Kansas) devenue star. Et voilà Winnie au milieu du Tout-New-York : « Journalistes, photographes, chroniqueurs mondains, éditeurs, gens de cinéma, personnalités de la mode, membres du Muséum, gloires de l’exploration, ils étaient tous là, sous les lambris brillamment éclairés du Waldorf Astoria », où on expose aussi dans un décor « furieusement africain », la collection « Osafari » de vêtements de sport, avant l’entrée en scène d’Osa – « à elle seule, un album de clichés africains, un dépliant touristique, un catalogue de produits à l’africaine ».

    Les premiers contacts déçoivent Winnie : un regard « absent, et froid », une femme qui boit trop, à qui manque son mari, ce Martin Johnson qui un jour a cassé son rêve de jolie maison pour famille nombreuse, obsédé par l’idée de « partir, faire le tour du monde ». D’abord sept longues années de galère, raconte Osa, un premier film sur les cannibales, pour continuer là où s’était arrêté Jack London, dont Martin avait été l’élève et l’employé.

    Dans la “jungle urbaine” de New York, en 1920-1921, les Johnson attirent les regards avec leurs deux singes, Kalowatt et Bessie, qui ne les quittent pas. Martin est ambitieux. « Chevaucher la puissance du monde, ou se noyer ! » disait Jack London. Après le temps du livre venait celui du cinéma, pensait Martin. Quand un soir de 1920, il reçoit l’invitation de l’Explorer’s Club, à l’initiative de Carl Akeley, un naturaliste passionné par l’Afrique et le projet d’un grand Hall africain au Muséum, Martin exulte. « Comment expliquer, interroge Andrews, leur ami explorateur, que certains naissent ainsi, rongés de nostalgie, à croire qu’une part d’eux-mêmes leur manque, sans laquelle ils ne peuvent vivre, et qu’il leur faut traquer, en vain, jusqu’au bout du monde ? » Ce dernier rêve de retourner en Mongolie, dans le désert de Gobi dont il est tombé amoureux.

    Martin, à seize ans, a décidé de « vivre de la photo ». Dix ans plus tard, il a épousé Osa pour vivre son rêve avec elle. Tandis qu’il rencontre tous ceux qui peuvent l’aider à financer son grand projet – filmer les animaux sauvages en Afrique, « le Paradis, juste avant la Chute » –, Osa découvre la vie new-yorkaise dont Le Bris se plaît à reconstituer les ambiances, les personnalités en vue. La première partie du roman ressuscite l’époque, explicite les motivations, la longue préparation des Johnson à leur voyage au Kenya en 1921 et 1922.

    Et c’est ensuite, là-bas, que le roman se déploie. Aux descriptions très documentées du New York des explorateurs succède une aventure personnelle, la vie d’un couple en Afrique pour la première fois, le souffle coupé par « la beauté du monde ». A Nairobi, ils font la connaissance, entre autres, de Finch Hatton. Osa s’étonne des récits de chasse contés par tous les amateurs de vie sauvage. Pourquoi la violence se mêle-t-elle à l’approche et à l’admiration des animaux sauvages ? Plus douée que Martin pour la chasse, elle cèdera pourtant elle-même à l’ivresse du moment où le tireur ne fait plus qu’un avec sa cible.

    Le Bris raconte tout : les conditions et les problèmes matériels de l’expédition, les errements, les attentes, les rencontres, les émerveillements, les tournages manqués, les images inattendues. A travers la découverte de l’Afrique, peuples, animaux, paysages, c’est la quête des premiers âges du monde, du Jardin d’Eden, par un homme et une femme que cette expérience nouvelle tantôt unit tantôt sépare. C’est splendide. Nous partageons leurs matins du monde enchanteurs, leurs nuits aux aguets, un bain solitaire dans le lac « Paradis »« un lieu n’est pas un lieu si vous ne l’habitez pas ».

    La troisième partie de La Beauté du monde, plus courte, montre que le retour n’est pas si aisé après un tel périple : « Voyage-t-on, en vérité, pour voyager, ou pour avoir voyagé – et que des mondes naissent, au retour, dans les mots prononcés, les images montrées ? » Il faudra que le film, le récit prennent forme, que New-York les reçoive. A Winnie de raconter la légende des « amants de l'aventure », à Le Bris d’exprimer comment «  au mystère du voyage répondait d’étrange façon celui de la littérature ».

    * * *
    * « Mieux vaut allumer une chandelle dans l'obscurité,
    que maudire l'obscurité. »
     (Confucius) :
    l’appel à agir pour Haïti, à lire sur le blog de Doulidelle.

  • Sur du sable

    Lors d'un entretien sur Les plages d’Agnès, (Allociné), Agnès Varda commente un article qui l'appelle la "Tourneuse de plages" et revient sur une séquence : des trophées sont posés sur le sable, ceux de Jacques Demy et les siens, et un vent de tempête les recouvre peu à peu.

    « Il y a l’idée de vent dans La tourneuse de pages (sic). Il y a l’idée du sable que le vent modèle. C’est en même temps le sable dans lequel tout va disparaître, nos prix, nos trophées et nous-mêmes, et aussi le poème de Prévert : « Et la mer efface sur le sable les pas des amants désunis. » »

     
    © Les Films du Losange Galerie complète sur AlloCiné
  • Varda-plages

    Elle ne raconte pas sa vie, mais elle en parle. Elle ne raconte pas ses films, mais ils y sont. Elle ne raconte pas ceux qu’elle aime, mais elle les montre. Agnès Varda vient de recevoir un César (le César du documentaire, faute de catégorie adéquate) pour Les plages d’Agnès (2008), qu’une seule salle présente à Bruxelles, le Vendôme. C’est la deuxième semaine, n’attendez pas si vous voulez vous offrir une heure cinquante de bonheur sur grand écran.

    Varda a étudié la photographie, et la photo est partout dans ce film. Portraits d’inconnus trouvés aux Puces, souvenirs de famille, expositions thématiques – superbes photos de Jean Vilar exposées à Avignon, par exemple. Pourquoi la photographe est-elle devenue cinéaste ? Parce qu’aux images, elle voulait ajouter des mots, dit Varda. Etait-elle cinéphile ? Non. Elle s’est lancée comme ça, avec l’envie de faire des choses. 

    Les plages d’Agnès sont un festival de créativité. Ce n’est pas une vie racontée, reconstituée, même si la cinéaste retourne dans la maison d’Ixelles, à la mer du Nord où elle a passé toutes les vacances de son enfance, même si elle se rappelle la vie sur un voilier à Sète, les débuts à Paris, les gens en Californie, ses impressions en Chine… Varda mélange souvenirs et fictions, images d’archives et fabrication d’images. C’est gai, léger, coloré, on en sort plus optimiste qu’on n’y est entré.

    A plusieurs reprises, Varda utilise le mot « puzzle » pour décrire sa façon de travailler, et ce film en est un. Plutôt kaléidoscope que déroulé chronologique. Elle procède par collage. Sur « la plage belge », au début du film, elle installe des miroirs devant la mer, elle installe des éclats dans l’image, elle joue avec les points de vue. Elle se montre, elle montre les autres. Elle invente, elle s’amuse. Et nous sommes conviés à cette fête. Une artiste donne forme à ses souvenirs comme à ses rêves. La baleine, par exemple, parce que l’histoire de Jonas la fascine. Dans une baleine (fabrication maison), elle s’aménage une chambre de toile où elle s’étend, heureuse comme un poisson dans l’eau.

    Face à la caméra, une femme nous regarde, nous parle, et dans une telle connivence que l’on comprend pourquoi autour d’elle il y a tant d’amour et d’amitié. Une femme de cœur. La petite qui a appris à remailler les filets avec un pêcheur. La grande qui a pris ses cliques et ses claques pour aller en Corse, toute seule. Celle qui aime les couleurs, les écharpes dans le vent, les chats, celle qui photographie ses voisins. Cette femme toute simple qui a fait tourner des débutants : Noiret, Depardieu, Birkin, Bonnaire. Calder venait construire ses mobiles dans sa cour, Jim Morrison assister à un tournage. Il y a des étoiles dans son ciel. Jacques Demy dans son cœur.

    Oui, on peut avoir quatre-vingts ans (quatre-vingts balais, vous verrez ce que c’est) et rester curieuse de ce que la vie offre, rester allègre. Séquence clin d’œil à Sempé : un cortège de jeunes manifestants et sur le côté, une petite vieille (Agnès Varda) qui brandit une pancarte « J’ai mal partout ». La séquence où Agnès Varda dit que le cinéma, c’est sa maison, a pour décor une « cabane » de verre : contre les vitres, déroulées, des pellicules de scènes tournées avec Deneuve et Piccoli, traces d’un film jamais achevé. La lumière traverse leurs visages. A l’intérieur, une pile de bobines, où elle s’assied - elle est chez elle.

    Il faut un sacré culot pour mettre ainsi en scène sa vie, son univers, avec ce naturel du travail bien fait. Si Agnès Varda achète les fiches de cinéma sur ses films dans les bacs des brocanteurs, elle ne laisse pas sa vie en friche. Son regard est plein de malice tendre. Les plages d’Agnès sont un carnet de voyage dans la mémoire – « Je me souviens pendant que je vis. »

  • Sacré Woody

    Pour me changer les idées, rien de tel que du Woody Allen, me suis-je dit. Sacré Woody, fais-moi rire. J’aurais sans doute mieux fait de m’installer dans le canapé et de glisser Annie Hall ou Manhattan dans le lecteur. J’ai ouvert un recueil de nouvelles du maître aux fameuses lunettes, L’erreur est humaine (2007).

     

    La nouvelle éponyme s’intitule, au complet, L’erreur est humaine et la lévitation divine. Autres titres prometteurs : Ainsi mangeait Zarathoustra et A Vienne que pourra. « Eussé-je été un encornet que ce préambule aurait suffi à déclencher une éjaculation d’encre noire » peut-on lire dans ce récit où l’on projette un grand spectacle « Fun de siècle » avec Alma Mahler en bombe sexuelle, entourée de Klimt, Schiele, Zweig, Kokoschka, et plus si affinités.

     

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    Woody Allen soigne les attaques. « Dans le cadre d’un programme de remise en forme visant à réduire mon espérance de vie à celle d’un mineur du dix-neuvième siècle, je faisais mon jogging l’été dernier dans la Cinquième Avenue. » (Les infortunes d’un génie méconnu) Ou « Je suis grandement soulagé d’apprendre qu’on est enfin capable d’expliquer l’univers. » (Théorie des cordes et désaccord)

     

    Dans Nounou très chère, Harvey apprend par sa femme que la bonne d’enfants est en train d’écrire un livre sur eux – « Pourquoi avais-je dédaigné les conseils de l’avocat qui me suggérait de faire figurer une clause de confidentialité dans notre contrat avec Mlle Viaire ? » Que faire ? La virer risque d’aggraver la situation. Après une halte au « Palais du Houblon » pour calmer son « palpitant », Harvey envisage différentes techniques de meurtre et opte pour un breuvage maléfique. Bien sûr, c’est lui qui finit par boire la tasse. Mlle Viaire a renoncé entre-temps à écrire sur ces gens trop minables. Mot de la fin : « Nous n’avons pas l’intention d’engager une autre baby-sitter, du moins tant qu’il n’y aura pas eu d’avancée technologique significative en matière de robotique. »

     

    Qui d’autre que Woody imaginerait Mes secrets minceur, par Friedrich Nietzsche, un essai qui réconcilie Platon et Montignac (Ainsi mangeait Zarathoustra) ? Toute une nouvelle sur la mise aux enchères d’une truffe blanche de plus d’un kilo (Mortelles papilles, ma jolie) ? La vente de prières personnalisées sur ebay (Notre Père qui êtes sur la toile) ? Extrait : « L’honnêteté intellectuelle est un concept tout relatif, qu’il est préférable de laisser aux intellectuels, justement – les Jean-Paul Sartre et autres Hannah Arendt. » Aux parents belges désespérés, on conseille Recalé, l’histoire terrible de Mischa, trois ans, non admis dans la meilleure école maternelle de Manhattan.

     

    Cela croustille donc joliment çà et là. Cela fourmille d’expressions populaires ou argotiques (cf. dans Dieu Skakespeare et moi, du même, Les origines de l’argot). Mais franchement, à la lecture des Opus alleniens, il manque les voix et les bobines. Celles de Woody Allen /Alvy Singer et de Diane Keaton/Annie Hall :

     

    - ALVY (en gesticulant) – Pourtant, pourtant, il faut un point de repère esthétique pour pouvoir envisager une perspective sociale. (Sous-titre : « On se croirait sur France-Culture. »)

    - ANNIE (elle rit) – Enfin, je ne sais pas. Je veux dire, je crois… je crois que vous devez être en retard, non ?

    - ALVY – C’est vrai, il va falloir que j’aille faire mes lamentations. (Annie rit.)

    (…)

    - ALVY – Hé, écoutez, écoutez. (Ils s’arrêtent.)

    - ANNIE – Quoi ?

    - ALVY – Embrassez-moi.

    - ANNIE – Sérieusement ?

    - ALVY – Oui, pourquoi pas ? Parce qu’on va forcément rentrer ensemble, non ?

    - ANNIE – Oui.

    - ALVY (poursuivant) – Et… et euh… il y aura forcément un brin de tension. Vous savez, quand on ne s’est jamais embrassé et qu’on ne sait pas très bien par où commencer. Alors je propose qu’on s’embrasse maintenant, ce sera fait, et puis, on pourra aller manger, d’accord ?

  • Dix-huit ans

    La petite-fille de François Mauriac, faire du cinéma ? Printemps 1965. La question agite la famille. Mais c’est Robert Bresson qui veut faire tourner Anne, le réalisateur du Journal d’un curé de campagne, une référence !

    Anne Wiazemsky est comédienne et écrivain  elle écrit surtout des romans, de Mon beau navire (1989) à Je m’appelle Elisabeth (2004), l'étonnante amitié entre la fille cadette d'un psychiatre et un de ses malades (qui a inspiré le récent film de Jean-Pierre Améris). Jeune fille (2007) est un récit autobiographique. Elle y évoque avec beaucoup de délicatesse le changement radical que produisit dans sa vie la rencontre avec Bresson, pour qui elle fut l’héroïne d’Au hasard Balthazar, l’histoire d’un âne et d’une jeune fille.

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    « Adolescente timide et maladroite », élève au Collège Sainte-Marie de Passy, on l’introduit un jour dans l’appartement du cinéaste sur l’Ile Saint-Louis. Il tient à l’entendre lire, puis relire un dialogue « sans aucune intention… sans y penser… » Puis vient l’attente, fiévreuse. Anne s’interroge sur son avenir et espère vivre cette expérience nouvelle, dans un monde qu’elle ne connaît pas : « la jeune fille que j’étais en train de devenir m’était étrangère ».

    Ses dix-huit ans fêtés - « un âge où l’on ne sait encore rien de soi, où l’on doute, où l’on se cherche » -, Anne, accompagnée par sa mère, se rend pour des essais aux studios de Boulogne. Pour Bresson, c’est décidé, il ne pourra faire ce film sans elle. N’ayant plus son père, Anne est convoquée chez son grand-père Mauriac qui, malgré son inquiétude, ne s’y oppose pas, avouant même dans un grand rire qu’il l’envie, lui à qui on n’a jamais proposé de jouer !

    Commence alors la description pleine de sensibilité d’une rencontre hors du commun, avec un homme délicat, qui la considère « comme un être précieux doté de qualités que lui seul percevait. » Sur les bons conseils de Mauriac, elle continue à tenir son journal : « Ce sera passionnant, le journal d’un tournage. » D'abord, il lui faut une séance d’essayage étonnante à La Samaritaine, puis un rendez-vous chez le coiffeur Alexandre, pour allonger ses cheveux par un postiche. Anne s’amuse beaucoup, Bresson est irrésistible : « Dans sa façon de prononcer mon prénom passait à nouveau toute la douceur du monde. » Câlin, insistant, protecteur, il l’isole du reste de l’équipe pendant le tournage à Guyancourt où ils seront deux à loger chez les propriétaires. Là, il lui présente son partenaire : « La pression de sa main sur mon bras s’accentua soudain. C’est lui, murmura-t-il d’une voix émue. Dans la prairie, attaché à l’ombre d’un marronnier, un grand âne brun foncé nous contemplait. » Ce sera le seul acteur du film que le cinéaste n’arrivera pas à soumettre par le seul effet de sa voix persuasive.

    Il y a le Bresson du tournage, exigeant, pointilleux, parfois colérique, et il y a, pour Anne, le Bresson du soir, tendre, s’amusant comme un gosse avec ses chatons siamois, terriblement possessif et parfois trop pressant, ce qui la met mal à l’aise. Anne décide alors de s’émanciper, engage un flirt avec un acteur, s’échappe pour un week-end à Paris. Premières étreintes, bonheur du corps, détente. Anne s’étonne de ce que personne ne lise sur son visage qu’elle est à présent une femme. Vis-à-vis de Bresson, elle se sent plus assurée, ose l’affronter quand il l’accuse de n’être pas « gentille » avec lui ou quand il envisage pour elle une scène trop déshabillée.

    Anne Wiazemsky rapporte avec simplicité sa première expérience d’actrice, les conditions du tournage, la découverte concrète des procédés du cinéma. C’est vivant, fidèle, on y sent un véritable attachement pour toute l’équipe qui, l’apprend-elle un jour, l’appelle « la petite prisonnière » de Bresson. Elle lui rend hommage, reconnaissante. Ces journées furent « parmi les plus heureuses » de sa vie.

    C’est l’histoire d’un tournage, et aussi celle d’un tournant. La jeune fille qu’elle était y perd de son innocence, s’éloigne de sa mère, change de vie. Mais elle s’est trouvée. « Tu t’ennuies déjà avec nous ? » constate Mauriac lors d’une réunion de famille, avant d’ajouter : « Comme je te comprends ! »

    Bresson, à la fin du tournage, se confie : « Votre jeunesse m’a rendu jeune… Souvent, j’ai eu votre âge. Et devant mon air étonné : Vous comprendrez plus tard… Plus tard. »