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Littérature italienne - Page 9

  • Rien ne se répète

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    « Apprendre à l’école de la vie ! C’est ce que nous nous répétons à chaque tournant, et chaque fois nous y croyons ! Alors qu’en réalité rien ne nous sert de leçon, que rien ne se répète pareillement, et qu’il n’y a qu’une chose qui reste égale dans le temps : notre regard, quand il s’élève de la vie vers le fond du ciel, dans une persuasion d’oubli. »

    Sibilla Aleramo, Ursa minor

  • L'aube de nouveau

    C’est à la Librairie du Port de Toulon que le nom de Sibilla Aleramo a retenu mon attention, avec ce titre : Ursa minor, Notes de carnet et d’autres encore. « Les carnets intimes de la pasionaria des lettres italiennes ». Parmi ceux qu’elle fascina : Gorki, Colette, Anatole France, D’Annunzio, Rodin et Stefan Zweig qui aurait déclaré après l’avoir rencontrée : « Qui n’a pas vu Sibilla Aleramo à Rome en cette première décennie du vingtième siècle n’a rien vu. » (Quatrième de couverture)

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    Sibilla Aleramo
    (1876-1960) (Source)

    Ursa minor (Orsa minore, Note di taccuino), son « livre secret » publié à Milan en 1938, recueille des notes de carnet en réalité écrites sur des feuilles volantes, « au gré des temps et des lieux », indique-t-elle dans la préface, où elle veut croire « à leur jeunesse intacte ». Aperçus d’une femme : l’une de ses idées fixes est de croire à « l’autonomie de l’esprit féminin ; celle de prétendre que l’écrivaine, la poétesse se différencient nettement de l’écrivain, du poète ».

    Le premier fragment mériterait d’être cité en entier : « C’est l’aube de nouveau : tu ne devines pas encore si elle se teintera de rose ou de gris : n’importe, lève-toi, c’est un nouveau jour, tout recommence, et tout ce qui était hier est submergé, grâce aux quelques petites heures de la nuit qui sont passées sur toi comme la mort passe entre deux générations. Lève-toi, l’aube est faite pour la créature qui sait ainsi se présenter d’elle-même chaque jour à la vie.[…] » (Les notes ne sont pas datées, sauf certaines reprises dans une note finale ; le 8 mai 1912 pour celle-ci. Parfois elles commencent par un titre, thème ou lieu.)

    Peu d’anedotes. Sibilla Aleramo jette sur le papier, au présent, des pensées, des émotions, des aphorismes : « Je ne suis pas portée à m’emparer des choses : les choses viennent à moi - et je me fonds en elles. » Intuition, mensonge, sincérité, création, tout nourrit sa réflexion. Et les lectures (Novalis, Colette, Shakespeare…) et les rencontres (« La fillette qui ressemble à celle que je fus. »)

    Ses impressions naissent de son passage dans un lieu ou d’un événement : celles d’un samedi saint en train « parmi les champs de la Romagne », après avoir appris que Giovanni Pascoli agonise, deviennent un hommage funèbre au latiniste et poète (« Le bourdon du pèlerin »). « Ravenne », elle l’évoque dans un tableau coloré, puis par la visite d’un mausolée.

    « Saisons d’Assise » : dessin d’un paysage, méditation sur la figure de saint François, poète en chacune de ses actions, « homme libre », observation des visiteurs d’Assise, douceur d’un « cyprès brun, avec son petit cyprès à côté », « violet de l’ombre », « souplesse » des lignes. « Le regard ne saurait désirer se porter au-delà ; tout ce que la terre a de plus suave tient dans cette coupe violette. »

    Au « souriant visage ivoirin de Gabriele D’Annunzio » que le nom de Rimbaud a fait frémir, Sibilla Aleramo raconte sa visite à sa sœur Isabelle dans la petite maison d’Auteuil qu’elle habitait avec son mari, Paterne Berrichon, devenu le biographe dévoué de son beau-frère Jean-Arthur. Douleur, joie, autant de manifestations humaines de l’existence. « Chacun de nous croit presser la vie contre son cœur plus fortement que tout autre. (…) Alors que chacun n’est jamais qu’un aspect infinitésimal du mystère. »

    En littérature, elle commente aussi bien le théâtre – Strindberg (Maitre Olof), Claudel (L’Echange) – que la poésie (« Poésie, je veux embrasser un pan de ton voile vert, en ce matin de mai où tu me souris de tes yeux de reine ») ou encore la philosophie (Nietzche, surtout). « La folie, ce n’est peut-être que la solitude perpétuelle devant sa propre pensée inexprimée. »

    Ursa minor s’arrête aux livres (hommage à la grandeur de Balzac, redécouvert dans une maison où elle trouve son œuvre complète), à la musique, à la sculpture (Michel-Ange, Rodin), mais le plus souvent, Sibilla Aleramo est à la recherche d’une réflexion qui soit vraiment originale, à l’écoute des « influx spirituels ». Elle, c’est de sa vie qu’elle voudrait faire une œuvre d’art.

    Le nom de Benito Mussolini, « thaumaturge grandiose » apparaît quand elle se réjouit de la lutte contre la malaria et pour la scolarisation des paysans nomades à laquelle elle a participé avec un médecin et avec son compagnon, Giovanni Cena, de 1902 à 1909) – troublant mélange d’action sociale et de fascisme.

    Sibilla Aleramo, née Rina Faccio, doit à ce dernier son prénom d’écrivain : « Je la découvris et l’appelai Sibilla » (Cena dans son sonnet « En elle palpite l’humanité future »). Son nom, elle l’a puisé dans une ode de Carducci au Piémont, où elle-même est née. Il lui importe de donner un sens à son destin : « Etre certaine de pouvoir faire quelque chose qui vaille tout le temps que j’emploie à m’efforcer de vivre… » Dans « Renaissance », une nuit de pleine lune à Naples, elle écrit : « «  Vis ! Ecris ! » C’était ma loi qui parlait dans l’éclat de l’astre, la loi qui se manifeste et me sauve, toujours ponctuelle, par-delà tout délire et tout désespoir : inflexible, pour un grand rêve qui ne se réalise toujours pas. »

    Autres carnets, en seconde partie, se présente sous la forme d’un journal, irrégulier, de 1901 à 1934. Sibilla Aleramo y note des citations, des impressions, des réflexions, comme dans la première. L’écriture est essentielle : « Fixer sur le papier des pensées sereines, de tendres sentiments ; exprimer par des mots écrits notre fervente vision intérieure de la vie ; céder, spontanément, à l’impulsion d’insuffler à d’autres esprits la même force lumineuse… c’est bon, c’est beau, c’est digne, ce peut être grand… » (1901)

    Journal et notes représentent une aide précieuse pour reconstruire le passé – « Nous devenons presque toujours étrangers à nous-mêmes, au bout d’un certain temps. » Parfois elle semble souffrir de n’être pas artiste, mais elle se reconnaît « l’esprit spéculatif » et se sent dans la plénitude d’être en l’exerçant. Au fil des ans, l’amertume affleure chez celle qui fut davantage la muse du génie que l’artiste vouée à son art, une « compagne de douleur et de douceur ». La part des larmes est indissociable de l’amour, après la passion la solitude et la douleur. L’âge, la maladie, l’obsession d’être « vieille et finie ».

    La notice bio-bibliographique que Sibilla Aleramo rédige elle-même, peu avant de mourir, met en relief son premier livre à grand succès, Une femme (1906), et le deuxième, Le Passage (1919), écrit après sa séparation avec Cena et moins bien accueilli. Dans les petites notes annexes de l’éditeur, on découvre les multiples expériences amoureuses de l’Italienne – une histoire personnelle dont la connaissance permet sans doute de donner une autre dimension aux réflexions d’Ursa minor.

  • Presque

    ferrante 2 folio.jpg« Tout à coup, je me rendis compte de ce presque. J’y étais parvenue ? Presque. Je m’étais arrachée à Naples et au quartier ? Presque. J’avais de nouveaux amis garçons et filles qui venaient de familles cultivées, souvent bien plus que Mme Galiani et ses enfants ? Presque. D’examen en examen, j’étais devenue une étudiante accueillie avec bienveillance par les professeurs absorbés qui m’interrogeaient ? Presque. Derrière ce presque, j’eus l’impression de comprendre comment se passaient vraiment les choses. J’avais peur. J’avais peur comme au premier jour de mon arrivée à Pise. Je craignais ceux qui savaient être cultivés sans ce presque, avec désinvolture. »

    Elena Ferrante, Le nouveau nom

  • Lenù et Lila, suite

    Aux lecteurs de L’amie prodigieuse qui n’auraient pas encore découvert la suite, disons d’emblée que Le nouveau nom d’Elena Ferrante (sous-titré Jeunesse, traduit de l’italien par Elsa Damien) tient ses promesses. On y retrouve le quartier populaire de Naples autour de Lenù et Lila – leur amitié mise à l’épreuve par le mariage de Lila Cerullo, la fille du cordonnier, avec Stefano Carraci, l’épicier, alors que Lenù (Elena Greco, la fille du portier de mairie et la narratrice) poursuit ses études.

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    Quand au printemps 1966, Lenù lit les cahiers personnels de Lila, qui les lui a confiés par crainte que son mari ne les trouve, elle y retrouve toute la séduction de son amie d’enfance. Lila a souffert de voir Lenù entrer sans elle dans le secondaire, puis s’est lancée avec enthousiasme dans la création de nouvelles chaussures Cerullo en compagnie de son frère Rino. A son mariage, malgré le choc de découvrir la première paire qu’elle a réalisée, achetée par Stefano, aux pieds de l’arrogant Marcello Solara, « Mme Carraci », à seize ans, semble se soumettre à son nouveau statut.

    Doit-elle l’imiter, accepter les codes de son quartier, réprimer ses prétentions ? Tout en s’interrogeant, Lenù sort avec Antonio, le mécanicien, très jaloux de Nino Sarratore, fils aîné d’un journaliste et excellent élève, que Lenù admire. Mais elle comprend bientôt, après son retour du voyage de noces, qu’elle a peut-être tort d’envier Lila et ses nouvelles toilettes : son mari la frappe. Alors Lenù se remet sérieusement à étudier, après une période de flottement, et accepte l’invitation de Lila de se réfugier dans une pièce de son appartement pour travailler au calme.

    « Au lycée, personne ne s’exprimait comme Nino, sans crainte des professeurs ni du proviseur. Non seulement il était le meilleur dans toutes les matières, mais il savait des choses qu’on n’enseignait pas et qu’aucun autre élève, même excellent, ne connaissait. Et il avait du caractère. Et il était beau. » Quand il s’adresse à elle, Lenù est comblée, mais une jeune fille « nette et soignée » l’attend après les cours, avec qui elle ne pourrait rivaliser.

    Lila prend sa revanche contre Stefano de toutes les manières possibles, dépense sans compter, se fait remarquer partout. Elle le prend de court lorsqu’elle accepte qu’une grande photo d’elle en robe de mariée décore la vitrine du nouveau magasin de chaussures très chic que vont ouvrir les frères Solara, avec qui il s’est associé, sur la Piazza dei Martiri. Stefano confie un jour à Lenù comment sa femme lui fait la guerre et déclenche la violence en lui, depuis leur nuit de noces. Il voudrait qu’elle la raisonne, pour qu’elle se comporte en épouse plutôt qu’en ennemie.

    Le nouveau nom conte tous les rebondissements de la vie de ce couple explosif et des autres qui se forment : la sœur de Stefano se fiance à Rino, le frère de Lila. L’amie « prodigieuse » a deviné depuis longtemps que Lenù est attirée en secret par Nino. Enceinte, elle déborde d’énergie, s’épuise en s’occupant de la nouvelle épicerie ouverte par Stefano, puis du chantier de la Piazza dei Martiri, passant d’un magasin à l’autre, puisant dans le tiroir-caisse, distribuant de l’argent à ses amis, jouant les stars.

    Le jour de l’inauguration du magasin des Solara, Lila fait une fausse couche. Les chaussures Cerullo ont beaucoup de succès, bientôt on commence à les imiter. Sollicitée pour en créer de nouvelles, Lila refuse, ça ne l’intéresse plus, elle laisse son frère se débrouiller. Mais les Solara savent qu’elle a de bonnes idées et veulent lui confier le magasin.

    Pour Lenù, le grand événement, c’est l’invitation de son professeur de lycée à une fête chez elle – « Pour moi, c’était comme me présenter à la cour, faire la révérence à la reine et danser avec les princes. » Elle n’a pas de belle robe, a peur de se ridiculiser. Quand Lila veut l’accompagner, elle craint qu’elle se fasse remarquer, parle en dialecte, mais elle n’ose refuser. Les enfants de Mme Galiani l’accueillent si gentiment que Lenù se sent tout de suite à l’aise.

    « Tout à coup, je me rendis compte que mon état de suspension qui avait commencé le jour du mariage de Lila était fini. Je savais me comporter avec ces gens-là, et je me sentais mieux avec eux qu’avec mes amis du quartier. » C’est une soirée très heureuse même si Nadia, la fille de son professeur, est la belle petite amie de Nino, également présent. Lenù est enchantée de discuter avec ces jeunes gens cultivés qui évoquent l’actualité politique et leurs lectures. Lila, restée en marge, s’est ennuyée. Dans la voiture de Stefano venu les chercher, elle éclate en moqueries contre « ces gens-là », contre Nino le beau parleur, contre Lenù et sa façon prétentieuse de parler avec eux. Il s’ensuivra une première rupture et une longue séparation.

    Nino aime discuter avec Lenù, lui prête une revue où elle découvre un article de lui, se renseigne sur ses projets de vacances et lui suggère, si elle le peut, d’aller à Forio, sur l’île d’Ischia, où il séjournera dans la maison d’un ami. En principe, ce ne sera pas possible, à cause de son travail, mais quand il est question de se rendre à la mer sur les conseils du médecin pour Lila, qui n’arrive plus à être enceinte, et que celle-ci lui propose de l’engager pour lui tenir compagnie, elle accepte – pour revoir Nino. Lenù ne peut résister à Lila. Malgré tout ce qui est déjà arrivé, elle ne soupçonne pas, dans son enthousiasme, tout ce dont son amie est capable, avec elle ou à ses dépens.

    Cette amitié aux péripéties feuilletonnesques ne nous tiendrait pas si fort en haleine si elle ne se mêlait aux autres composantes de cette saga (Le nouveau nom est le deuxième de quatre tomes) : une observation précise des milieux, des familles et des modes de vie, le questionnement perpétuel sur la situation sociale, le rôle des études, les choix à faire pour ces jeunes adultes. Lenù ne peut nier ni son appartenance à ce quartier de Naples ni son désir d’en sortir par le haut. Y arrivera-t-elle ? Avec ou sans l’imprévisible Lila ?

  • Paradis sur terre

    melandri,francesca,plus haut que la mer,roman,littérature italienne,prison,violence,culture« Ce fut alors que Paolo se mit à enseigner à son fils à ne pas se contenter du monde tel qu’il était, à le vouloir plus juste. A lui parler du philosophe de Trèves qui avait imaginé une société dans laquelle chacun recevrait selon ses besoins, et à laquelle chacun contribuerait selon ses capacités. Un monde où un fils intelligent de paysans pourrait étudier et faire fructifier son propre talent. Tous y auraient gagné : l’individu et la société. Que peut-on vouloir de plus beau, de plus humain ?
    Ce serait le paradis sur terre. Sauf que maintenant, en son nom, comme déjà tant d’autres fois au cours de ce maudit siècle, son fils et ses camarades étaient en train de créer un enfer.
    Et c’était Paolo qui lui avait appris à le vouloir, ce paradis. »

    Francesca Melandri, Plus haut que la mer