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écrivain belge - Page 4

  • Patience

    Meganck editionsfdeville-le-jour-ou-mon-pere-na-plus-eu-le-dernier-mot.jpg« Je ne lui connaissais pas cette patience. A dire vrai, je ne connais pas grand-chose de Kasper Braecke, si ce n’est sa passion pour les courses cyclistes et les documentaires sur la Seconde Guerre mondiale, si ce n’est son racisme, son goût de l’Allemagne, et plus récemment celui des îles subarctiques et des voyages immobiles.
    Il continue :
    – Loti se retournerait sans doute dans sa tombe. Mais bon, je crois que j’approche une certaine idée d’un vieux morutier. Je dois encore achever les peintures…
    Il pose la maquette sur la table. On trinque. Je cogne mon verre contre le sien, un peu de vin rouge tombe sur la maquette. Le pont est maculé d’une petite mare couleur sang qui se met à couler vers la cabine.
    – Désolé.
    – Ce n’est rien, William. Le voilà baptisé ! »

    Marc Meganck, Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot

  • Un père détestable

    Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot, de l’écrivain bruxellois Marc Meganck, est un roman de la détestation. A quarante ans passés, William, le narrateur, y règle ses comptes avec sa famille : Kasper Braecke, un père raciste et nostalgique du nazisme, qui travaille aux espaces verts de sa commune ; Claudine Mertens, une mère qui entretient les peurs et, par crainte du chagrin, écrase les araignées du matin ; Didier, un frère aîné en tous points conforme à l’attente des parents et qui méprise son cadet.

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    Franz Gailliard (1861-1932), Marine (Ostende)

    La première partie, « Les peurs », est un tableau sans concession d’une enfance solitaire parmi les Braecke-Mertens, en banlieue bruxelloise. La tentative de suicide au gaz de la grand-mère, que le grand-père infidèle a sauvée au dernier moment, la laissant quasi sans voix et le souffle court, a peut-être contribué au climat pesant dans lequel William a grandi. Son meilleur ami mort dans un accident, il quitte les scouts, pratique le vélo ou la marche en solitaire. Un jour, il suit son père dans les bois, curieux de voir où il s’évade de plus en plus souvent, et le retrouve chez Frankie, plus qu’une amie pour Kasper. Celle-ci lui lui a rendu le goût de la lecture en lui offrant Pêcheur d’Islande.

    A 42 ans, William souffre de « tachycardie existentielle ». Son bilan ne le réjouit pas : sa liaison avec Anaïs, leurs échappées en city-trips, sont du passé. L’odeur des dimanches « poulet-frites-compote » chez ses parents lui est devenue insupportable, mais pas à son frère Didier,  le fils préféré, qui leur rend visite avec sa femme et ses fils. Après la mort de leur mère, Kasper reste dans l’appartement d’Ostende, près du port, où Claudine et lui s’étaient installés après avoir vendu la maison.

    Plongé à son tour dans le roman de Pierre Loti, le narrateur oscille entre ses souvenirs douloureux et un projet fou. Son père n’a jamais dévié de la ligne agressive à son égard, quand William a choisi des études d’archéologie, quand il a publié un premier roman où il a « sali » leur nom de famille… L’alcool, les bars, les errances nocturnes dans Bruxelles sont devenues son « voyage immobile », sa santé chancelle. Mais il s’est mis en tête de faire un voyage en bateau jusqu’en Islande avec son père détestable, dans l’espoir d’avoir enfin une vraie conversation avec lui et des réponses aux questions qu’il se pose depuis l’enfance – est-il son vrai père ?

    Malgré l’hostilité du grand frère, devant son entêtement, Kasper, septante-huit ans, finit par accepter. Ils iront en Islande au printemps, père et fils, sur les pas de Loti, d’île en île de l’Atlantique nord. Sera-ce enfin l’occasion de se rapprocher un peu ? Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot : le titre en dit long sur cette haine familiale. Marc Meganck la raconte avec réalisme et puissance dans l’expression des sentiments. La dérive personnelle de William en manque d’affection et en quête de vérité est rendue avec tant de force qu’on veut absolument savoir où elle le mènera, même si son pari est risqué.

    Marc Meganck publie régulièrement depuis les années 2000 (histoire et archéologie, essais, récits, nouvelles, polars, romans). Il a beaucoup écrit sur Bruxelles et cite ceci en premier dans ses thèmes de prédilection : « la déambulation urbaine, le voyage, le microcosme des bistrots de quartier où j’écris, où j’observe notre humanité ». Je vous recommande ce texte daté du mois dernier sur son site : « C’est beau, une ville en paix ».

    Le Carnet et Les Instants reprend les mots de Bénédicte de Loriol après sa lecture de ce roman-ci : « On espère juste qu’il ne soit pas autobiographique… Mais on est en droit d’en douter tellement il est sincèrement bouleversant ». Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot m’a emportée dans les méandres d’une histoire de famille et dans un voyage qui secoue. Un envoi des éditions Deville.

    ***

    Pour info, ce jeudi soir, Arte commence
    la diffusion d’En thérapie 2
    (déjà disponible sur le site d’Arte TV).

     

  • Un signe pour toi

    Il est pour toi, ce signe, afin qu’il te réjouisse comme la trouvaille d’une pépite d’or.

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    Range-le si tu veux avec le flacon vide et la truelle ébréchée, mais tu le retrouveras par quelque jour de dénuement.

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    Il est chaleur et lumière et s’efforce de toucher en toi ce sourire perdu qui est plus profond que toi-même.

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    Il semble maintenant très lointain, mais voici que tout proche, il vient éveiller ce qui depuis toujours cherche un éveil. […]

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    J’ai reçu tous mes signes, mais je reviens encore caresser ces visages et ne puis me lasser d’adorer leur contour.

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    J’ai recueilli le sourire de l’ange et cet ange en retour attendait nos sourires.

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    A toi, je parle ici d’une voix malhabile.
    Puisse mon signe pour toi se faire aussi léger que la fleur du pommier.

    Afin qu’un jour tu le cueilles ardent et coloré comme la pomme de septembre.

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    Trouverais-je un signe pour toi qui as fermé tant de livres sans y découvrir de secours ?

    Saurai-je envoyer dans ta nuit cette petite lueur clignotante ?

    Saurai-je mettre dans ton pain cette poignée de ciel affirmative ? […]

     

    Géo Norge, Un signe pour toi (Œuvres poétiques, Le vin profond, Pour le hautbois)

    Début du printemps 2022

  • Questions

    Moreau editionsfdeville-la-complainte-disabeau-brigitte-moreau-9782875990464.jpg« Huguette fulmine. Elle reste silencieuse quelques instants, fait tourner le petit verre en cristal entre ses doigts d’un air distrait et prend une gorgée de sherry sans quitter des yeux la photo de son mari.
    – Qu’allons-nous faire maintenant ? Je connais Aurore, c’est une vraie tête de mule. Elle ne s’en tiendra pas là. Elle va revenir à la charge avec ses questions, elle va fouiner jusqu’à ce qu’elle trouve des réponses. C’est ce que tu aurais fait, toi aussi, Hubert, tu sais à quel point je l’aime, notre petite-fille, elle est tout ce qu’il me reste de… mais je ne veux pas… le passé doit rester enfoui… dans un carton avec les vieilles photos. Je ne le supporterais pas, je… »

    Brigitte Moreau, La Complainte d’Isabeau

  • Complainte d'Isabeau

    Brigitte Moreau signe avec La Complainte d’Isabeau, titre aux douces sonorités moyenâgeuses, un deuxième roman, après Le choix d’Agnès et des nouvelles. C’est l’histoire d’Aurore, étudiante en lettres à la Sorbonne, qui retrouve sa mère et sa grand-mère à la campagne pour l’été et reprend là « le rôle de la jeune fille polie, serviable et aimante qu’on lui a appris à devenir ».

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    Georges Lemmers (1871-1944), Femme dans un intérieur

    Heureuse de les retrouver, elle est surprise d’entendre à nouveau, la nuit venue, cette berceuse que sa mère lui chantait nuit après nuit durant son enfance, qu’elle écoutait sans ouvrir les yeux. Elle n’est plus une enfant, il faudra qu’elle le dise à sa mère, sans la blesser – elle sait qu’elle lui a manqué depuis son départ pour Paris.

    Peu à peu, le plaisir des retrouvailles cède la place à une observation plus critique des deux femmes qui l’ont élevée : Madeline, sa « mère poule », est toujours le « bon petit soldat » aux ordres d’Huguette, la grand-mère exigeante et stricte, souvent cassante, qui se retranche tous les soirs dans sa chambre pour boire un verre à la santé de son mari décédé.

    A dix-neuf ans, Aurore a l’habitude d’avoir un petit carnet avec elle pour écrire, une passion des mots qu’elle partage avec son petit ami, Alexis, dont elle n’a jamais parlé dans sa famille. Tous deux veulent devenir écrivains. Ici, elle a l’impression que la vie stagne, que l’endroit manque d’animation. Elle a besoin de faire un tour à vélo, de marcher, de s’éloigner de cette maison où tout reste à sa place. Le grand air la fatigue, mais quand la nuit ramène la voix douce aux paroles inaudibles et qu’elle ouvre les yeux, « une lumière diaphane, là, au pied de son lit », s’enfuit par la fenêtre. Plus moyen de se rendormir.

    Au téléphone, Alexis, resté à Paris, s’étonne qu’Aurore s’intéresse aux « Dames blanches » et envisage d’écrire une histoire fantastique inspirée par cette berceuse qui hante ses nuits. Lui voudrait raconter une histoire en lien avec le terrorisme, une histoire bien plus de leur temps.

    La Complainte d’Isabeau prend l’allure d’un conte lorsqu’Aurore, bravant l’interdit familial, s’aventure sur une colline voisine qu’on dit dangereuse – « des failles » – et y découvre une chaumière où habite une vieille femme que son apparition effraie. Celle-ci lui crie : « Non, Isabeau, non. Me fais pas de mal, pitié ! » Qui est Isabeau ? Le recul de sa mère et la colère de sa grand-mère quand elle leur demande si elles connaissent cette « petite vieille qui boite » vont attiser sa curiosité pour cette colline aux secrets dont elles ne lui ont jamais parlé.

    On comprend très vite que la grand-mère et la mère d’Aurore lui ont caché beaucoup de choses et que la jeune fille ne va pas en rester là, dans cette maison trop bien rangée à son goût. On comprend moins qu’Alexis lui-même cherche à la détourner de cette vieille qui passe pour folle. Aurore voudrait trouver des réponses à ses questions, notamment sur son père qu’elle n’a jamais connu.

    Dans ce roman, Brigitte Moreau mêle à l’atmosphère d’un été à la campagne le thème douloureux des secrets de famille et aussi les choix à faire dans une vie de femme. Aurore « la sent revenir, cette morsure venimeuse qui creuse dans le cœur le gouffre du manque. Et aujourd’hui, elle n’est plus une petite fille qui se satisfait d’une demi-explication. »

    Contre les silences béants de la mémoire familiale surgit la quête nécessaire des origines et de la vérité. J’aurais préféré pour ce sujet moins de romanesque, plus de nuances dans l’analyse des sentiments. Peut-être faut-il être plus jeune pour ne pas deviner entre les lignes à quoi s’attendre. Même si l’ambiance fantasmagorique m’a gênée, La Complainte d’Isabeau est bien une histoire contemporaine, où plusieurs générations se confrontent, à la fois berceuse et drame.

    (Merci aux éditions F. Deville pour cet envoi.)