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Peinture - Page 35

  • Micheline Boyadjian

    Dans La Libre Belgique du mardi 30 juillet, un titre m’a émue : « Micheline Boyadjian a fui le monde ». Roger Pierre Turine rend hommage à « la plus grande peintre naïve du pays » qui vient de se retirer du monde à 96 ans. « Micheline Boyadjian a estimé dimanche qu’elle avait assez vécu. »

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    © Micheline Boyadjian, Le kiosque en hiver, s. d.

    Micheline Boyadjian a peint des paysages, des figures, des intérieurs silencieux. « Naïve, pas naïve ? Voilà la question. Mais finalement qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse », écrit René Dalemans dans Cent ans d’arts plastiques en Belgique (album Artis-Historia) à la page où j’ai glissé un jour une reproduction du Château rose.

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    © Micheline Boyadjian, Le château rose, 1965

    Il poursuit : « Micheline Evrard, élève des bonnes sœurs, secrétaire modèle, épouse du cardiologue Noubar Boyadjian, mère de famille, éprouve, la trentaine venue, le désir impérieux de s’exprimer et va s’inscrire à l’Académie de Bruxelles où Léon Devos lui laisse la bride sur le cou. » Sa technique s’affirme et elle se met à peindre un univers familier dans des tons doux, en demi-teintes, « avec un sens poétique très particulier et très sûr », écrit Anatole Jakovsky dans la monographie qu’il lui a consacrée.

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    Les Musées royaux des Beaux-Arts possèdent deux de ses œuvres dans leur collection : Le treizième invité (1980) et Les parapluies (1958). Le Musée Art & Histoire expose le « Musée du cœur », une collection de 500 objets de son mari, le cardiologue Noubar Boyadjian, offerte au musée en 1990. Le couple a également fait une donation au musée L pour ses collections d’art naïf et populaire.

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    © Micheline Boyadjian, Le treizième invité, 1977
    Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles / photo : J. Geleyns - Art Photography

    Je ne sais pas grand-chose de plus au sujet de cette « petite femme menue » née à Bruges en 1923, dont les œuvres me retiennent toujours quand j’en vois. Roger Pierre Turine décrit Micheline Boyadjian comme une artiste « d’une irréductible exigence, d’une probité, d’un allant et d’une indépendance sans pareils ». Calme, généreuse, charmante, subtile… Les épithètes du critique forment un joli portrait qu’il conclut ainsi : « La petite grande dame s’en est allée, mais son passage sur terre préserve un bel avenir enchanté à qui s’émeut de la vérité d’un couple fusionnel. »

  • Baie

    kahnweiler,juan gris,sa vie son oeuvre ses écrits,essai,littérature française,peinture,cubisme,culture« Dans la Baie de Bandol, le journal s’inscrit sur les montagnes, et le contour de la table se continue, au trait, sur les eaux de la baie. Les collines et le ciel pénètrent dans la chambre, sont montrés sur le mur. Le bateau à voile se pose sur la table. Sorte de « plan lyrique », la surface du tableau, trouée nulle part, réunit en elle les objets chantés par le peintre. »

    Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), Juan Gris, sa vie son œuvre ses écrits

    Juan Gris, La vue sur la baie, 1921, Paris, Musée national d’art moderne

  • Juan Gris 1887-1927

    C’est en ami que Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), « l’homme de l’art », comme l’appelle Pierre Assouline, a rédigé Juan Gris, sa vie, son œuvre, ses écrits, publié en 1946. Par cet essai, « le plus grand marchand de tableaux de son temps » rend hommage au peintre espagnol qu’il considère comme « le plus pur » des cubistes.

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    Juan Gris, Violon et verre, 1913, MNAM, Paris

    La vie de Juan Gris, il la raconte en commençant par une visite à Picasso au Bateau-Lavoir en 1908. Rue Ravignan, le jeune marchand remarque un très beau jeune homme qui peint devant une fenêtre ouverte. Picasso lui apprend qu’il s’appelle Juan Gris. Celui-ci vivra plus de quinze ans dans cet atelier très pauvre : « son œuvre a été peint entre vingt-trois et quarante ans, et je n’ai connu qu’un jeune homme qui fut, malgré sa gravité foncière, sociable, gai, sauf aux heures atroces où le cafard le terrassait. »

    Né à Madrid en 1887 dans une famille aisée, José Victoriano Gonzales était le treizième enfant sur quatorze, la plupart morts jeunes. Il dessinait depuis l’enfance et a dû batailler contre ses parents pour étudier la peinture. Il adopte le pseudonyme de Juan Gris avant d’arriver à Paris en 1906 : « Il en était content et il me semble bien qu’il y a accord entre ce nom et l’œuvre. Est-ce à cause de la couleur, est-ce à cause de ce que ce nom peut avoir de modeste ? Je ne saurais le dire. »

    « La gloire naissante de son compatriote Picasso avait amené Gris au 13, rue Ravignan. » Pour gagner sa vie, il envoie des dessins à des journaux illustrés. Quatre ans plus tard, il commence à montrer ses toiles. Durant l’hiver 1912, Kahnweiler, convaincu de la grande valeur de l’artiste, convient avec lui d’acheter toute sa production, qu’il accroche en permanence dans sa galerie, rue Vignon. Parmi les premiers acheteurs, Gertrude Stein, Léonce Rosenberg, le sculpteur américain Brenner.

    Soulagé des soucis matériels, Juan Gris peut aller passer l’été à Céret, où Picasso et Braque ont déjà rejoint Manolo Hugué, artiste classiciste et « méditerranéen », qui y vit toute l’année. Gris le choque en « soutenant la nécessité d’un aspect nouveau comme conséquence inéluctable d’un état d’esprit nouveau ». Gris travaille bien, les discussions sur l’art soutiennent sa peinture et le font opter pour « une plus grande simplicité, une clarté accrue ». Kahnweiler aime ce garçon « modeste, mais intransigeant » et l’admire.

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    Juan Gris, Paysage à Céret, 1913, Moderna Museet, Stockolm

    En août 1914, Gris lui écrit de Collioure où il s’est installé juste avant que la guerre n’éclate, inquiet du sort de ses amis artistes ou poètes. Il voit souvent Matisse, comme lui enclin à réfléchir sur son art et à en parler. Mais sa situation matérielle l’oblige à rentrer à Paris. S’il peut travailler, c’est grâce à Léonce Rosenberg qui « assuma pendant la guerre – et ce sera son honneur durable – la tâche que [il / Kahnweiler] ne pouvai[t] plus remplir : la défense du cubisme. »

    A Paris, Juan Gris a pour voisins Max Jacob et aussi Reverdy, devenu un ami intime. Sa correspondance avec Kahnweiler reprend en 1919 : il y fait l’éloge de Reverdy, de Braque ou de Picasso, exprime des réserves sur Seurat ou Léger, s’étonne du succès de Metzinger. Gertrude Stein l’a touché en considérant un de ses tableaux comme le meilleur du Salon.

    Une pleurésie marque le début de ses ennuis de santé. Après une hospitalisation, il s’installe avec sa femme Josette à Bandol – « Quel beau soleil, mais quel pays sinistre ! » La joie de vivre revient : il a appris à danser, ils vont au bal tous les dimanches soir. C’est là-bas que Diaghilev le contacte pour un décor et des costumes de ballet, un travail qui va le fatiguer énormément.

    L’épouse de Kahnweiler lui trouve un petit appartement à Boulogne-sur-Seine, dans la rue où ils habitent. Gris rencontre leurs amis, les habitués du dimanche. Le reste du temps, il ne voit pas grand monde. Josette et lui passent souvent la soirée chez les Kahnweiler. « Cher Jean ! », écrit-il ; c’est ainsi que le peintre préférait qu’on l’appelle, par amour de tout ce qui était français.

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    Juan Gris, Les cerises, 1915, Guggenheim Museum, New York (Collection Thannhauser)

    Juan Gris lisait beaucoup : Gongora, Valle-Inclán, Rubén Darío ; Mallarmé, Reverdy, Radiguet… L’hiver 1925-1926, il s’installe à Toulon où il se plaît et travaille bien. En février, il commence à avoir de la température, des crachements de sang, puis de l’asthme. Il souffrira beaucoup, avant de mourir d’une crise d’urémie le 11 mai 1927, à quarante ans.

    La seconde partie de l’essai explique les principes du cubisme, son évolution, les chemins différents empruntés par les artistes que Kahnweiler a côtoyés de près, l’œuvre de Juan Gris surtout, du cubisme analytique au cubisme synthétique. Les écrits du peintre constituent la dernière partie : notices, réponses, notes sur la peinture. Avec une vingtaine d’œuvres illustrées, l’essai se révèle au total une formidable exploration de l’œuvre d’un peintre que Kahnweiler situe ainsi : « Je vois Gris en face de Picasso comme Raphaël en face de Michel-Ange. »

  • Espérances

    simone van der vlugt,bleu de delft,roman,littérature néerlandaise,pays-bas,xviie,peinture sur céramique,culture« Le résultat est en effet à la hauteur de nos espérances : le bleu azur ressort magnifiquement sur le fond blanc, immaculé, les dragons rivalisent de mystère avec les personnages chinois, les fleurs et les anges. L’éclat de la glaçure supplémentaire donne véritablement vie à la scène. Je n’arrive pas à croire que je suis l’auteur de cette assiette. La fierté et la joie irradient mon visage.
    Le sourire aux lèvres, je regarde Evert, toujours penché sur les assiettes, à la limite de la prosternation. Il tourne alors la tête vers moi, radieux.
    Un sourire a également fait son apparition sur le visage de Frans. Quand mes yeux rencontrent les siens, j’y décèle pour la première fois du respect. »

    Simone van der Vlugt, Bleu de Delft

  • Bleu de Delft

    La femme en bleu lisant une lettre de Vermeer orne l’édition française de Bleu de Delft, un roman de Simone van der Vlugt (Nachtblauw, littéralement « bleu nuit », traduit du néerlandais par Guillaume de Neufbourg). Catrijn, son héroïne, y croise plusieurs maîtres de la peinture hollandaise au XVIIe siècle. Sur l’édition originale, de façon plus pertinente, ce sont des carreaux de la fameuse faïence dite « bleu de Delft ».

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    En mars 1654, Catrijn ne porte pas le deuil de Govert, épousé un an plus tôt : ce veuf qui l’avait mise enceinte était alcoolique et violent. Leur enfant était mort-né. A vingt-cinq ans, elle a beaucoup à faire après les funérailles. Jacob, son valet de ferme, lui fait part des soupçons de son beau-frère à son égard. Même si cela peut encourager les rumeurs, elle est décidée à quitter le village. Bientôt, elle vend aux enchères le bétail et le mobilier de la ferme qu’ils louaient.

    Depuis toujours, elle rêve de vivre en ville, de se mettre à son compte comme « peintre sur céramique, par exemple » ; les meubles et les objets qu’elle décore sont appréciés, on lui en passe commande. Des amis d’Alkmaar lui ont parlé d’un notable à la recherche d’une domestique. Après avoir dit adieu à sa famille, elle embarque sur une barge.

    Sur place, pas de chance, son futur employeur vient de décéder. A l’auberge de ses amis, un de leurs clients fidèles, Mattias van Nulandt, entend leur conversation avec Catrijn qui désespère de trouver un emploi. Son frère cherche une intendante, à Amsterdam. C’est plus loin qu’elle n’imaginait d’aller, mais elle accepte et Mattias, trente ans, célibataire, lui écrit une lettre de recommandation. Mattias voyage beaucoup. D’emblée, ils sont attirés l’un par l’autre.

    Amsterdam est pour Catrijn le centre du monde : « Quelle effervescence ! Quelle vie ! » Beaucoup de marchands, des langues étrangères ; elle s’émerveille en marchant jusqu’au Keizersgracht où habite Adriaen van Nulandt. Le riche marchand l’engage et la présenté à son épouse, Brigitta, qui passe tout son temps à peindre. Griete, la jeune servante, ne peut mettre les pieds dans le salon de réception où Catrijn devra elle-même faire le ménage en prenant soin des deux grands vases de Chine blanc et bleu, en porcelaine très précieuse.

    L’épouse du maître a une santé fragile, on lui donne du laudanum. Elle souffre de ne pas maîtriser assez l’art de peindre, rien d’autre ne l’intéresse. Brigitta parle à Catrijn de Rembrandt van Rijn dont ils possèdent quelques toiles. Pour qu’elle soit moins malheureuse, Catrijn suggère à van Nulandt de lui faire donner quelques leçons à domicile.

    Heureuse d’une brève visite de Mattias chez son frère, Catrijn apprend par Brigitta qu’il aime beaucoup trop sa liberté pour épouser qui que ce soit, en plus de son goût pour les voyages. Grâce à lui, elle va pouvoir accompagner ses maîtres à l’atelier de Rembrandt. Le peintre remarque sa fascination pour la toile à laquelle il travaille et ils échangent quelques mots.

    C’est son élève Nicolas Maes qui se chargera de Brigitta. Il lui a suggéré de peindre un objet unique, avec peu de couleurs. Catrijn va lui chercher un vase de Chine, lui pile de la couleur bleue. Mais sa maîtresse tombe malade avant d’avoir achevé sa toile et doit s’aliter ; l’intendante ne peut résister à l’envie d’essayer ses pinceaux et ses couleurs : elle continue à peindre le vase et tout se complique quand le médecin, passant par l’atelier, remarque la toile et exprime son intention d’acheter la peinture « de madame van Nulandt » !

    L’héroïne de Bleu de Delft n’a pas froid aux yeux, on l’a compris. C’est alors que resurgit Jacob, son ancien valet au village, qui a besoin d’argent : il l’a vue « au-dessus de Govert, un oreiller entre les mains » et menace de tout révéler. Après lui avoir donné les cinquante florins qu’il réclame, Catrijn donne sa démission. Il lui faut partir pour que Jacob perde sa trace. Déçu, Adriaen van Nulandt la recommande à son autre frère, Evert, qui dirige une faïencerie à Delft et a pour ami Johannes Vermeer.

    C’est là que va se jouer le destin de Catrijn : engagée comme peintre sur céramique, elle pourra révéler ses dons. Attendra-t-elle Mattias, parti pour un an aux Indes, ou épousera-t-elle un autre prétendant ? Echappera-t-elle à Jacob et à son passé ? J’ai pensé en lisant ce roman à Miniaturiste de Jessie Burton (Amsterdam, les marchands, la vie domestique) et à La jeune fille à la perle de Tracy Chevalier (les peintres de Delft : Vermeer, Fabritius).

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    Faïence de Delft au Rijksmuseum, Amsterdam (source)

    Simone van der Vlugt, romancière néerlandaise née en 1966, a écrit des romans pour la jeunesse et de nombreux romans historiques et « thrillers » à succès. L’intrigue romanesque de Bleu de Delft divertit en même temps qu’elle évoque joliment le monde de la céramique hollandaise qui va s’inspirer de la porcelaine de Chine, la naissance et le succès du fameux bleu de Delft.