A Aix-en-Provence, l’Hôtel de Caumont présente une belle exposition : « Chefs-d’œuvre du Guggenheim. De Manet à Picasso, la collection Thannhauser ». Dès l’ouverture de sa Moderne Galerie à Munich en 1909, Heinrich Thannhauser a pris l’option de « l’audace artistique » en montrant « de nouveaux talents et des artistes expérimentaux » (les citations sont extraites du catalogue). Son fils Justin, son successeur, a fait une donation importante de 75 tableaux de sa collection au musée Guggenheim en 1963, après avoir perdu ses deux fils puis sa femme. Ainsi, selon lui, « l’œuvre de [sa] vie trouvait enfin son sens. »
Seurat, Paysanne assise dans l’herbe, 1883 (Solomon R. Guggenheim museum, New York)
Dès l’entrée de l’exposition, j’ai été touchée par les trois toiles lumineuses et paisibles de Seurat : Paysanne assise dans l’herbe, Paysannes au travail, Paysan à la houe. Encore sous influence impressionniste en 1882-1883, il peint déjà par petites touches de couleurs complémentaires (vert, bleu, jaune). Leur atmosphère contraste avec un portrait de Cézanne, Homme aux bras croisés, mis à l’honneur dans sa ville.
Cézanne, Bibémus, vers 1894-1895 (Solomon R. Guggenheim museum, New York, Thannhauser Collection)
Les peintures suivantes, de Manet et de Renoir, sont antérieures ; de grands peintres se côtoient ici avec bonheur. Des paysages de Cézanne retrouvent leur région natale, comme Bibémus, affiche de l’exposition, accompagnés de natures mortes aux fruits et objets mis en valeur sur une nappe blanche. Celles-ci font l’objet d’une intéressante analyse dans le catalogue, « Le pouvoir d’étonner » par Sasha Kalter-Wasserman.
Va, Gogh, Montagnes à Saint-Rémy, 1889 (Solomon R. Guggenheim museum, New York, Thannhauser Collection)
Van Gogh est bien représenté avec trois toiles : Le Viaduc (Asnières, 1887), Paysage enneigé (Arles, 1888) et surtout Montagnes à Saint-Rémy (1889). Sur trois ans, quelle évolution ! Après avoir quitté Paris pour Arles en février 1888, ses couleurs changent, sa palette devient « nettement plus colorée », comme il l’écrit à son frère Théo. L’année suivante, à la suite de plusieurs crises, Vincent trouve refuge à l’asile de Saint-Rémy-de-Provence et y peint des paysages tourbillonnants. Il faut s’attarder devant ces montagnes mouvementées, ces arbres et cette maison à leur pied, ces fleurs au bord du chemin – comment ne pas s’émouvoir ? Un beau Gauguin est accroché non loin, Haere Mai.
De nombreuses photographies en noir et blanc sont présentées tout au long du parcours, on y voit les membres de la famille Thannhauser et des documents, des vues d’expositions où figuraient les artistes exposés. Certaines photos en grand format donnent l’impression de côtoyer les visiteurs d’alors, la scénographie est soignée. On en trouve plus encore dans le catalogue, pour un tiers consacré à l’histoire du galeriste et de la collection. Dans une vitrine, près de trois petites danseuses de Degas en bronze, j’ai aimé cette petite sculpture de Maillol, Femme au crabe.
Maillol, La Femme au crabe, vers 1902-1905 (Solomon R. Guggenheim museum, New York, Thannhauser Collection)
Un portrait de Mistinguett par Picabia, des Picasso du début –Justin K. Thannhauser a été en relation étroite avec l’artiste espagnol, dont trente œuvres ont été léguées au Guggenheim – font la transition vers la seconde partie de l’exposition à l’étage supérieur. Coup de cœur pour La montagne bleue de Kandinsky, un festival de couleurs dans ce paysage et les tenues des cavaliers ! L’énorme Vache jaune de Franz Marc explose aussi de vitalité, en contraste avec une belle toile de Robert Delaunay, La Ville, aux petites touches rouges, bleues, turquoises, entre les gris et les beiges de ce beau paysage urbain.
Kandinsky, La montagne bleue (détail), 1908-1909 (Solomon R. Guggenheim museum, New York)
Sans pouvoir ni vouloir tout énumérer, je vous signale les très amusants Joueurs de football d’Henri Rousseau qui lancent un ballon ovale, des joueurs de rugby en fait. Place au cubisme ensuite, avec de beaux Juan Gris comme Les Cerises. De Braque, je ne connaissais pas ce goût des couleurs chaudes révélé dans Théière sur fond jaune, une peinture plus tardive.
Picasso, Femme aux cheveux jaunes, 1931(Solomon R. Guggenheim museum, New York, Thannhauser Collection)
Le parcours se termine avec une belle série de Picasso, notamment une toile malicieuse offerte à Justin et à sa femme pour leur mariage, Le Homard et le Chat. Femme aux cheveux jaunes est un merveilleux portrait de Marie-Thérèse, d’une grande douceur. Cette cinquantaine de Chefs-d’œuvre du Guggenheim ont quitté pour la première fois le musée Guggenheim de New-York. Après Bilbao et avant Milan, ils sont exposés à Aix-en-Provence jusqu’au 29 septembre.
Commentaires
Un peu loin pour moi, mais ça semble vraiment raffiné comme expo... Bibémus, tant de souvenirs pour moi là-bas... et le cabanon de Cézanne, que j'ai bien connu...
Une belle expo, oui, ravie de te rappeler ces bons souvenirs (j'espère). Je n'ai pas encore tout visité sur les traces de Cézanne, mais je le ferai.
L'hôtel de Caumont est une merveille de musée; l'an dernier, j'y ai vu l'expo Nicolas de Staël, très différente de celle que j'avais vue à l'espace Pompidou quelques années avant; là aussi, j'ai adoré. Il n'est pas impossible qu'au retour de Collioure, j'aille voir celle- là. Un détour qui vaut le coup, merci de l'info! .
J'aurais bien voulu voir cette expo-là, mais cela ne s'était pas arrangé. L'Hôtel de Caumont est un bel écrin pour l'art, j'espère que tu pourras t'y arrêter.
La magnifique Marie-Thérèse fait écho à celle, si attendrissante, endormie dans le fauteuil rouge, totalement abandonnée dans son rêve.
En effet. J'ajoute un lien vers ce "Rêve" : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/9/9d/Le-reve-1932.jpg
Et le lien vers votre billet qui la montre : https://christianwery.blogspot.com/2019/05/manet-picasso-des-toiles-et-des-femmes.html#more
Bonjour Tania et merci de partager toute cette magnifique collection. C'est superbe. Merci aussi pour les explications. Les deux premières toiles sont splendides.
Bel après-midi.
Bisous
Avec plaisir, Denise. Je suis restée un bon moment à regarder les trois Seurat, dans les mêmes tonalités.
Tu me rappelles également de bons souvenirs, une escapade à Aix avec l'exposition ( magnifique ) Turner à l'hôtel de Caumont, un lieu de visite très agréable. Je suis intéressée par cette exposition ( j'avoue, surtout par le second étage ), je l'avais notée, c'est un excellent prétexte pour retourner à Aix cet été !
Pas vu non plus cette exposition Turner. L'Hôtel de Caumont est vraiment un lieu à visiter quand on passe dans cette région. J'espère que tu pourras y retourner bientôt.
Merci! Moi c'est le Guggenheim de Bilbao, visité il y a peu, que ça m'évoque.
Comme je viens de chez Christw, je me demandais ce que dirait Sollers de la femme aux cheveux jaunes...
Bonne fin de journée Tania.
J'ai cherché dans "Picasso, le héros" (1996, un texte inclus dans "Eloge de l'infini" et aussi publié à part avec des illustrations) si Sollers écrit sur ce tableau en particulier, mais non. Pour toi, sa dernière phrase : "Qu'on l'admette ou non, la peinture vit de poésie".
Lorsque je suis passée à Aix-en-Provence il y a quelques années, l'Hôtel de Caumont n'était pas encore ouvert. Dommage, j'aurais beaucoup aimé ce genre d'exposition.
C'est un endroit que je te souhaite de découvrir un jour, pour l'hôtel lui-même, magnifiquement restauré, et pour l'une ou l'autre de ces expositions de qualité qui s'y succèdent. A voir aussi à Aix, en plus du musée Granet, la collection Planque dans une ancienne chapelle (voir un ancien billet sur une journée à Aix).
Quelle miraculeuse intuition de la part de Heindich Thannhauser ( au nom quasi wagnérien ! ) Savoir apprécier des oeuvres si révolutionnaires pour l'époque me laisse songeuse , quand je compare ma propre résistance à la peinture contemporaine ...
Merci pour ce beau partage !
En fait, Heinrich Th. voulait surtout que sa galerie expose des artistes contemporains, même si leur travail allait à l'encontre de ses goûts personnels (lu dans le catalogue). Et puis son fils, qui a étudié l'histoire de l'art, a continué en ce sens.
Merci Tania pour cette belle présentation, un régal de te suivre dans ce musée ! Je trouve toujours un plus aux "collections particulières", connaitre leur histoire, comprendre la recherche du collectionneur qui connaissait, cotoyait souvent les peintres.
Nous avons vu il y a quelques semaines en passant par la Suisse à La Fondation Gianadda, la collection Ordrupgaard "trésors des impressionnistes". Avec une expo couplée dans le même lieu des photos de Nadar du 19ième siècle, photos prises dans son studio parisien de Courbet, Manet, Hugo, Zola, Debussy....Impressionnant. Belle fin de semaine et Bises.
Je suis allée voir qui était ce collectionneur danois sur le site de la Fondation Gianadda, qui expose un bel ensemble, en effet. Merci de m'avoir signalé cette expo et les portraits photographiques par Nadar qui m'intéresseraient aussi. Mais pas de voyage en Suisse prévu d'ici la fin de ces expos.
Le bleu de Seurat....
Bon dimanche.
Bon dimanche, Marie.
Je connais bien ce lieu, magnifiquement restauré, à un peu plus de deux heures de chez nous. Je pense que nous irons visiter cette exposition en août, où curieusement il y a peu de monde à Aix ou en septembre, en espérant que les salles ne seront pas trop pleines. Je l'avais noté, mais merci à toi, Tania de me l'avoir rappelé !
Comme toi, j'aime visiter une expo quand il n'y a pas trop de monde. Le plus souvent, le matin, à l'ouverture, quand je peux. Je t'en souhaite déjà bonne visite, Annie.