« De quoi a-t-on peur quand on a peur de tout ? Du temps qui passe et du temps qui ne passe pas. De la mort et de la vie. Je pourrais dire que mes poumons n’étaient jamais assez remplis d’air, quel que soit le nombre de bouffées que j’inhalais. Ou que mes pensées étaient trop rapides pour aboutir, tronquées par des accès de vigilance. Mais même dire ça serait encourager le mensonge selon lequel on peut décrire la terreur, alors que tous ceux qui l’ont connue savent qu’elle n’a pas de composants, mais se trouve partout en vous en même temps, jusqu’à ce qu’on n’arrive plus à se reconnaître autrement que par les tensions qui enchaînent une minute à la suivante. Et pourtant je continue de mentir en la décrivant, car comment pourrais-je, sinon, éviter cette seconde, et celle qui va suivre ? Et c’est en ça que consiste cet état : le besoin incessant d’échapper à un instant qui n’a jamais de fin. »
Adam Haslett, Imagine que je sois parti
Commentaires
Je ne suis pas certaine d’apprécier ce style de lecture même s’il peut être intéressant d’analyser le processus.
Le blog me permet de présenter ce que j'ai lu, vu et apprécié, sans aucune prescription, bien sûr. Merci pour ton commentaire, Thaïs, et bon week-end.
Un exercice impossible donc que celui de décrire, sans mentir, cet état.." jusqu’à ce qu’on n’arrive plus à se reconnaître autrement que par les tensions qui enchaînent une minute à la suivante".
C'est bien pourquoi il y a des réunions si bénéfiques de personnes vivant ou ayant vécu la même chose. Seuls les pairs peuvent comprendre, que ce soit le deuil, les addictions, le cancer, l'anxiété, etc.
Un exploit ce livre donc ?
Ce passage exprime le point de vue de Michael sur sa souffrance et c'est très troublant. Comme tu l'écris, dans certains cas, seules d'autres personnes qui vivent la même chose peuvent vraiment comprendre.
Un exploit ? Je dirais une tentative remarquable pour montrer le ressenti et les relations avec son entourage. Merci, Colo.
Ce doit être étouffant et lancinant comme impression, avec en plus la quasi-certitude de ne pas être compris. Ce sont des états terribles.
Oui, à un point que je n'imaginais pas.
Franchement, ce texte est passionnant, ouvre à bien des questions.
Bon week-end, Tania!
Cela m'a fait découvrir une tout autre perception du monde et aussi une passion pour la musique house. A toi aussi, Anne.
Je trouve le passage que tu cites remarquable dans sa description de cette expérience très singulièrement et déstabilisant de l'anxiété. C'est ce que j'aime dans la litterature: nous faire découvrir des états, des experiences le temps de quelques pages, que nous ne connaîtrons peut-être jamais; ou alors nous aider à mettre à distance nos inquiétudes, nos terreur, par le simple fait de les voir là décrites sur la page. Et tout cela nous rend plus humains. Du coup, je vais me renseigner sur ce roman.
Merci pour ce commentaire, Cléanthe, une vision de la littérature que je partage entièrement et j'aime particulièrement ta conclusion : "tout cela nous rend plus humains".
Même si ce roman plonge dans les régions sombres de l'âme humaine, ce qui amène certains lecteurs à le juger "toxique" pour les personnes fragiles, il me paraît conduire à plus de bienveillance envers des comportements que nous évitons parce qu'ils nous font peur et à mieux comprendre que pour des personnes qui souffrent, la présence, l'écoute valent mieux que des conseils. Bon dimanche !
Un extrait très intéressant qui nous plonge dans un ressenti qui n'est pas forcément le notre mais nous permet d'appréhender celui d'un autre...Merci de le partager avec nous. On apprend toujours de nos lectures.
Exactement, Manou. Bonne semaine.