Petit éloge des brumes offre tout ce qu’il faut pour s’embrumer de mots et d’images, de livres et de lieux ; on y retrouve la prédilection de Corinne Atlan pour la culture japonaise qui lui a inspiré le bel Automne à Kyoto. Dans son avant-propos, elle rappelle que le mot « brume » désigne d’abord en latin le jour le plus court de l’année, le solstice d’hiver, puis toute la saison hivernale, les brouillards de mer, enfin le brouillard léger : « seule la distance de visibilité sépare la brume du brouillard ».
© Antoine
Voici les trois parties de ce petit essai délicieux, pour vous mettre en appétit : « Apprentissage des brouillards », « Nuées du souvenir », « L’archipel des brumes ». Corinne Atlan remonte aux sources personnelles de sa « préférence pour le vague », le rêve en regardant les nuages, pour le fluide, le flou, « les paysages à demi réels des contes ». C’est peut-être cela qui lui a fait choisir le métier de traductrice – bien qu’« à la recherche des correspondances les plus exactes possible entre une langue et une autre » – et son pays d’adoption, « où la brume, les phénomènes évanescents, l’ombre et les rêves sont rois, et où pourtant les trains partent et arrivent à l’heure. »
Beaucoup de lectures, de films, d’œuvres d’art, participent à cette évocation des brumes, avec un moment clé dans sa jeunesse, durant les vacances d’été en Normandie : la première fois qu’elle assiste à une aube, après une nuit où un cauchemar l’a tenue éveillée – « Je faisais l’expérience pour la première fois de ce lien entre la beauté du monde et l’envie irrépressible d’aller vers l’horizon. »
Dix ans d’enseignement du français au Népal font surgir de sa mémoire, « brouillard percé de soudaines trouées et de longs corridors aux parois impalpables », des impressions de Katmandou, de marches dans la forêt sacrée de Shivapuri, la lecture d’écrivains voyageurs, le goût de la langue japonaise, sans savoir encore qu’elle en ferait un métier.
« L’archipel des brumes », c’est le Japon où elle vit une bonne partie de l’année. Corinne Atlan partage avec les Asiatiques « le culte des montagnes » : « Au Japon comme en Chine, l’écriture même associe la montagne à la recherche de la vérité dans les solitudes sauvages, faisant des vallées le lieu des occupations humaines ordinaires. » Nuages et brumes y sont omniprésents dans la poésie, la peinture, la langue même liant « l’errance, les forêts, les montagnes, la pluie, les brumes et les larmes ».
© Casey Yee, Mononoke forest, Yakushima island
J’ai particulièrement aimé les pages sur l’île de Yakushima, « île-brume, île-pluie », sur sa forêt millénaire où « on perd très vite tout repère » : « les énormes branches moussues aux formes fantasmagoriques, les fumerolles qui montent de l’humus, ce vert quasi surnaturel des mousses quand la pluie s’interrompt et qu’un rayon de soleil perce les futaies sombres, nous incitant à poursuivre toujours plus loin. »
Dans le train qui la ramène à Kyoto, elle lit Oreiller d’herbe [sic] de Sôseki, le roman « à la fois « le plus brumeux » et le plus éclairant » qu’elle connaisse, réflexion sur l’art et ode à la brume. S’ensuit l’évocation de différents paysages de grands peintres japonais, des encres sur papier qui illustrent de façon sublime ce voile brumeux propre au climat japonais. Haïkus, cinéma, tout l’art nippon en est imprégné.
Petit éloge des brumes est un texte précieux de Corinne Atlan, un inédit publié dans la collection Folio 2€ – qui donc en a parlé récemment, que je puisse l’en remercier ? « Nous qui pensons être faits de matière solide sommes traversés depuis notre venue au monde par une multitude de paroles, lectures, images, rencontres, influences et expériences qui nous fondent. Nous sommes en réalité de la même pâte malléable que les nuages et les brumes. »
Commentaires
Magnifique article, magnifiques brumes et cette île de Yakushima; on perd tout repère dans le désert mais aussi dans les forêts (je me rappelle celle de Guyane, infinie et labyrinthique) Je n'ai rien lu de ce que tu cites, mais je note……...Merci!
Un petit livre qui a tout d'un grand, à s'offrir ! Bonne journée, Anne & bon déconfinement.
c'est vrai que cette collection à 2 € est pleine de petits bijoux, j'en ai déjà plusieurs :-)
et ton article (bel article!) me fait penser qu'il y a très très longtemps que je n'ai plus vu ni brume ni brouillard... incroyable ;-)
Fine pluie sur Bruxelles ce matin, retour des brumes en vue ?
J'ai commandé (en double exemplaires) Le livre de Soseki, oreiller d'herbes, car je sais qu'il plaira à mon peintre favori…..Et sans doute , plus tard, le petit éloge des brumes… Ce ne sera pas les premiers livres achetés en te lisant…..
Tant mieux, j'ai l'intention de le lire aussi. Bonne après-midi, Anne.
Ces mots "« les énormes branches moussues aux formes fantasmagoriques, les fumerolles qui montent de l’humus, ce vert quasi surnaturel des mousses quand la pluie s’interrompt et qu’un rayon de soleil perce les futaies sombres, nous incitant à poursuivre toujours plus loin. »et ton illustration vont magnifiquement en semble.
La brume et la pluie dans ce bijou, toute une poésie semble-t-il, ce qui ne peut que me plaire...en mots car en vrai tant d'humidité, hum;-))
Merci pour ce beau billet!
En cliquant sur le lien de Casey Yee puis "retour à Galerie", tu trouveras d'autres photos de cette fameuse forêt de Yakushima.
Rideaux de perles sur les vitres ici ce matin, la végétation s'abreuve de la pluie bienvenue. Merci pour ton enthousiasme, Colo.
Un Folio à deux euros ? C'est comme s'il était déjà chez moi .. le thème est certainement passionnant et tu me remets en mémoire son livre sur le Japon que je n'ai pas encore lu.
Bonne lecture, Aifelle.
Il me tente bien. J'avais beaucoup aimé Automne à Kyoto. Je vais commander celui-ci ! Merci et bonne journée ! A bientôt ?
Il vaut la peine, tu verras. Pour le reste, je t'écris bientôt.
je note cela immédiatement car j'ai beaucoup aimé son livre Automne à Tokyo
une auteure à découvrir, fine, sensible
D'accord avec toi. Bonne journée, Dominique.
Un livre que je devrais offrir à mon fils qui est revenu dernièrement enchanté de son voyage au Japon et à moi-même pour mieux connaître cette civilisation si étonnante dont je connais surtout les cinéastes. Belle journée
Un voyage au Japon permet certainement d'entrer plus avant dans cette belle culture. Je vous recommande aussi "Eloge de l'ombre" de Tanizaki.
Ce livre ressemble à une gourmandise, cette culture orientale m'attire de plus en plus avec le temps... Merci Tania, bises ensoleillées et juste un peu brumeuses. brigitte
Ce petit livre est de ceux qui éveillent notre intérêt pour cette esthétique admirable, en tout cas. Il me semble que tu l'aimerais.
Un petit bijou délicat ce livre semble-t-il ! Tes illustrations nous plongent, nous immergent totalement dans ce monde de brume et de nuée. Je note, je note. Merci Tania pour ce conseil de lecture. Temps très mitigé ici. Bises.
Ici aussi, les averses se succèdent. Bonne lecture si tu ouvres ce "petit éloge", Claudie.
Je me suis dit au départ que le sujet ne m'intéressait pas du tout mais au final, je me sens attirée par cet essai ( pour les descriptions de pays :-))
C'est aussi un carnet de route, en quelque sorte, tu verras.