Connaissez-vous Helena Norberg-Hodge ? Un entretien de Sabine Verhest avec cette « lauréate du prix Nobel alternatif » (Right Livelihood Award, 1992), dans La Libre Belgique du 27 avril 2020, m’a donné envie d’en savoir un peu plus sur cette philosophe écologiste britannique et de partager son analyse avec vous, dans la continuité de la « décroissance heureuse » de Maurizio Pallante.
Helena Norberg-Hodge au Ladakh, 1986
« Les crises auxquelles nous sommes confrontés partagent une racine commune : la mondialisation économique. L’antidote ? La localisation. » Helena Norberg-Hodge et l’organisation Local Futures prônent une nouvelle économie qui nous préserve des dérives sociales et des pénuries constatées aujourd’hui à cause de notre dépendance envers les monopoles mondiaux. En prenant conscience de la trop grande vulnérabilité de nos sociétés qui en découle, nous voilà plus nombreux, il me semble, à nous ouvrir aux idées qu’elle a développées dans Le local est notre avenir.
Non seulement la localisation raccourcit la distance entre la production et la consommation, autrement dit les circuits courts, mais elle réduit aussi la consommation d’énergie et la pollution. « En même temps, la localisation reconstruit le tissu d’une véritable communauté, le sentiment d’être dépendant d’autres êtres humains, au lieu de bureaucraties lointaines et de forces anonymes. »
Le sentiment de connexion ainsi ravivé répond à un besoin humain fondamental : le lien « avec les autres et avec le monde vivant qui nous entoure ». C’est pourquoi Helena Norberg-Hodge parle d’une « économie du bonheur », une formule que je ne trouve pas très adéquate, mais elle décrit très bien l’insatisfaction causée par la séparation entre les gens, la distance, la déconnexion auxquelles conduit la mondialisation, alors que l’économie locale amène des relations « lentes » avec les autres, plus profondes et porteuses de sens.
Elle appelle de ses vœux « un mouvement mondial pour le changement », un encadrement de l’économie par des valeurs écologiques et sociales, afin de « prévenir d’autres destructions » que celles dont nous sommes déjà les témoins : le fossé entre les riches et les pauvres qui s’élargit, l’appauvrissement de notre environnement, l’accroissement de l’anxiété.
Sur le site de Local Futures, dont l’histoire commence au Ladakh, en Inde, il y a plus de quarante ans, vous trouverez leurs projets, leurs activités, leurs propositions économiques. Sur leur blog, je vous signale, entre autres, un article de GRAIN publié au début du mois d’avril sur l’origine de Covid-19, et un autre intitulé « Une perspective de décroissance sur la crise des coronavirus » qui explique comment cette crise, si elle n’est pas une décroissance, montre combien la décroissance est nécessaire et possible.
Souvent, les soignants et les autres « aidants » que nous applaudissons tous les soirs à vingt heures – cela faiblit un peu dans ma rue, lassitude ou effet du déconfinement annoncé et espéré – et aussi les personnes qui se sont mises à coudre des masques, à distribuer de l’aide alimentaire, à faire des courses pour leurs voisins, expriment souvent à quel point ce qui les soutient dans la crise actuelle, c’est la conscience de faire quelque chose qui a vraiment du sens, qui va vraiment aider les autres.
J’aime la façon dont le mouvement Local Futures relie les réalités économiques aux réalités sociales, insiste sur le sens de nos relations avec les autres et avec le monde qui nous entoure. Nous pouvons tous avancer vers une « économie du bonheur » avec Helena Norberg-Hodge, non seulement en faisant quelque chose qui soit à notre portée pour rendre le monde meilleur, mais aussi en nous opposant à « la dérégulation du commerce et de la finance, qui donne aux entreprises mondiales monopolistiques plus de puissance, plus d’argent, plus de droits, pendant qu’on restreint les droits de tous les autres. »
P.-S. Signalée par Colo, une opinion de Gil Bartholeyns sur la crise sanitaire, pour compléter la réflexion (La Libre.be, 9/5/2020)
Commentaires
Merci pour cette rencontre avec une penseuse que je ne connaissais pas, Tania. Le local (c'est-à-dire l'humain), voilà ce qui nous sauvera.
Bonne journée,
ANNE
J'y crois aussi, Anne. Même si ce n'est pas possible pour tout, il y a beaucoup moins d'impossible qu'on ne le pense - à condition de s'y mettre.
C'est un beau portrait; maintenant, la finance n'est pas à l'origine de tous nos maux; c'est la façon dont elle est gérée qui est le plus responsable. Vaste sujet et immense problématique. Pour les penseurs, les problèmes sont plus facile à résoudre sur le papier; dans les faits…
Ton blog nous ouvre toujours des pistes de réflexion!
Dans les faits, on peut par exemple continuer à fréquenter les commerces de proximité après le confinement, soutenir l'économie locale plutôt que recourir aux livraisons pour n'importe quoi. Bonne journée, Anne.
oui bien sûr on a envie de faire sens, de se rendre utile, ... je suis vraiment curieuse de voir vers quelle sorte d'"après" nous nous dirigeons...
Ce sera déjà bien d'être "après", mais je m'interroge comme toi.
Je découvre cette belle dame et son propos m'intéresse. Je vais lire les liens sur mon téléphone qui possède un traducteur automatique, mon anglais n'étant pas des plus performants... Je m'interroge sur le futur, nos dirigeants à travers le monde m'inquiètent sérieusement. Belle après-midi Tania, à bientôt. brigitte
La crise économique et sociale qui découle de cette crise sanitaire risque de relancer les visions à court terme et non le développement durable. Que ce soit par notre mode de vie ou par notre vote, nous aurons des choix à faire pour un futur qui porte davantage les valeurs qui nous importent.
Belle journée de mai ici, j'espère que tu peux déjà ou que tu pourras bientôt te promener un peu plus loin de chez toi - jusqu'à la mer ?
Merci pour cet article car ce sujet m'intéresse beaucoup. Cette philosophe, c'est une découverte pour moi et je vais suivre les liens que tu proposes.
J'ai vu que Jean Rouaud vient de publier un ouvrage dans lequel il évoque aussi cette économie désincarnée.
Bonne journée !
Ces deux pages du journal me l'ont fait découvrir. Je vais aller voir ce qu'a écrit Jean Rouaud. Bonne journée, Marie.
Son livre s'intitule L'avenir des simples.
Merci, Marie.
On a tous besoin de retrouver du bon sens, comme avant ai-je envie de dire puisque j'ai connu l'avant-mondialisation comme plusieurs d'entre nous.. Dans les années 80, personne ne nous a expliqué vraiment que nous passions à un monde de finance où l'on perdait pied avec la réalité. Il a fallu du temps pour réaliser l'ampleur de ce qui se passait. C'est l'époque où j'écoutais Pierre Rabhi en conférence et il alertait déjà sur ce type de problème à venir. Je n'aime pas tellement le discours que j'entends, du genre, ça va repartir comme avant, en pire. Je pense que nous y pouvons tous un petit quelque chose ..
Avec toi, j'espère que ces lanceurs d'alerte qui ont vu clair depuis des décennies vont être mieux écoutés et surtout suivis. Nous pouvons tous y faire quelque chose, oui.
Bonne journée, Aifelle.
Une philosophie évidemment pleine de bon sens et de sagesse!!!
Nous voilà tous pleins de bonnes intentions, mais le confinement a -t-il été assez long pour que nous changions nos habitudes? C'est tellement plus rapide d'aller au supermarché. Prendrons-nous le temps d'aller chez l'épicier, le boucher, le droguiste, le poissonnier....?
Les marchés sont des endroits à fréquenter bien sûr, là les produits locaux sont en bonne place.
Je suis partagée entre un fol espoir et tant de doutes...
Merci Tania.
Je ne pense pas non plus que nous renoncerons au supermarché le plus proche, où on trouve de tout, mais nous pouvons y être plus attentifs à l'origine des produits. Si nous avons un accès facile à des commerces de proximité comme ceux que tu cites (les drogueries sont rares à Bruxelles), nous pouvons avoir à cœur d'y faire aussi des achats réguliers pour qu'ils subsistent et prospèrent.
en lisant ton billet j'ai pensé à tous ces hommes qui depuis des semaines me permettent de vivre correctement chez moi grâce à leur dévouement car leur salaire n'est pas une récompense hélas
Tu as raison d'attirer l'attention là-dessus, Dominique. Dans mon quartier, ici et là sont affichés des remerciements pour les soignants et aussi employés des postes, ramasseurs des poubelles, balayeurs de rue, livreurs, caissières, etc. (M/F, comme on dit dans les petites annonces). La question du juste salaire se pose, encore et toujours.
Tout (enfin une chose primordiale) est dite dans la première phrase. Quand j'entends à la télé qu'il faut vite se remettre à consommer, je gueule tte seule devt mon poste, point levé, en criant : Vive la décroissance ... Consommer, certes, mais pour se nourrir, et local, oui, le plus possible. Si seulement ces deux mois nous avaient fait réfléchir sur notre condition : la condition humaine, un peu plus que la condition du profit ! Une condition humaine heureuse, et non une condition du profit heureux ! (merde alors !) :-) Pardon je m'emporte mais c'est toi aussi, qui me pousses ! ♥
Tu t'emportes pour ce qui importe, Nikole, merci.
Intéressant, merci Tania.
Je me méfie aussi des grands mots " l'économie du bonheur" pour le moins paradoxal. Existe-il un sens "noble" à ce mot économie qui nous a détruits ? ..
Mais le local, le petit périmètre, oui !
Sur les doutes, et sur l'après, il y a au moins deux choses, qu'avions-nos engagé dans ce sens et que nous allons renforcer /amplifier car la situation nous a convaincus que c'était la bonne direction.
"L'expérience" aura-t-elle suffisamment marqué pour faire démarrer -sur le fond de ces questions- celles et ceux qui n'y étaient pas du tout...
Vastes questions !
A suivre.
Merci pour cette contribution au débat, K. En appelant à consommer mieux au sens de "plus localement", j''aurais pu ajouter en consommant "moins" aussi, cela va sans dire.
Merci Tania pour la découverte de cette philosophe écologiste et des liens. Consommer local parait une évidence, plus facile à mettre en place dans les campagnes et les petites villes. Et quel bonheur de remplir peu à peu son panier de couleurs au gré des étals ! Mais certaines personnes débordées ou n'ayant pas appris, ou n'ayant pas l'habitude, ne savent pas cuisiner, préparer des plats basiques et préfèrent des produits transformés. Quel dommage ! C'est peut être un apprentissage qu'il faudrait remettre en avant.
Belle fin de semaine Tania, et bises.
Pour ceux qui seraient dans ce cas, il y a un service qui fonctionne avec succès en Belgique : la livraison d'une boîte contenant les ingrédients et la recette correspondante, choisie sur propositions. Bon week-end, Claudie.
je ne connaissais pas, mais c'est intéressant!
Merci pour ton intérêt, Eimelle, à bientôt.