Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Pour la décroissance

« La qualité de la vie ne dépend pas du PIB » : le sous-titre de La Décroissance heureuse cerne bien le propos de Maurizio Pallante, fondateur et président du Movimento per la decrescita felice. Dans sa préface à cet essai (traduit de l’italien par Nathalie Rose), Serge Latouche date la naissance de cette théorie de la décroissance de 2002, lors d’un colloque de l’Unesco intitulé « Défaire le développement, refaire le monde », bien qu’elle s’appuie sur des critiques et des utopies plus anciennes. Il rappelle un discours de Robert Kennedy à propos du Produit Intérieur Brut qui « mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. » 

pallante,la décroissance heureuse,essai,littérature italienne,croissance,économie,bonheur,pib,société,culture 

Les médias, à tort, préfèrent les termes « croissance négative » ou « croissance zéro » à « décroissance ». En effet, « plus » est le mot magique : plus de pouvoir d’achat, plus de consommation, plus de marchandises. Le vocabulaire de la marchandisation s’est même introduit à l’école : en Italie, on parle même de « crédits » et de « dettes » scolaires. L’argent est devenu la mesure de tout.

 

Autoproduire son yaourt, voilà l’image concrète d’où part l’exposé de Pallante. Le fabriquer soi-même signifie moins de commerce, moins de transports, moins d’emballages, et même, avec de meilleures bactéries, moins de purgatifs, donc moins de PIB, mais une qualité de vie supérieure. L’autoproduction de biens (cultiver son potager, préparer soi-même sa nourriture, ses confitures...) va au-delà du développement durable, qui vise à rendre les technologies moins polluantes, sans limiter la croissance.

 

Le manifeste du Mouvement pour la décroissance heureuse s’oppose au « cambriolage » toujours plus fort des ressources (Roegen a montré l’impossibilité d’une croissance infinie dans un monde fini). Pour y adhérer, deux conditions : autoproduire son yaourt ou un autre bien primaire et offrir des services gratuits aux personnes. Voilà le programme.

 

Impossible en effet de nier le lien de cause à effet entre la croissance du PIB et l’épuisement des ressources non renouvelables, l’accroissement exponentiel de la pollution, la dévastation des milieux naturels, la dégradation sociale. Mais chacun peut, dans sa propre vie, effectuer des choix en faveur de la décroissance.

 

La première voie est celle de la « sobriété » : réduire l’utilisation de marchandises, refuser le consumérisme stupide encouragé par la publicité. La seconde consiste à favoriser l’autoproduction et les échanges non mercantiles, en sortant des comportements standardisés. Refaire une place au don et à la réciprocité en échangeant gratuitement du temps, du professionnalisme, des connaissances, de la disponibilité humaine. Pour créer des liens sociaux, l’essayiste rappelle trois règles non écrites : il faut donner, recevoir, rendre plus que ce qu’on a reçu.

 

La décroissance heureuse distingue la pauvreté « relative » des sociétés opulentes et la pauvreté « absolue » des pays sous-développés. Les calculs qui les mesurent en fonction des revenus ne prennent pas en considération l’autoproduction, qui permet pourtant d’échapper à la pauvreté. Dans «Décroissance, travail et emploi », Pallante réfute les arguments des uns qui font de la décroissance un concept pour pays riches et des autres qui font de la croissance la condition d'un emploi pour tous. Aujourd’hui, l’emploi n’est défini que par rapport à la production de marchandises, mais cela ne recouvre pas tout le « travail » réalisé. La décroissance ne réduit pas forcément l’emploi, la croissance ne l’augmente pas toujours.

 

L’expansion de l’agriculture intensive et des fertilisants chimiques, le passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture mercantile, de la biodiversité aux monocultures, ont produit des effets pervers qui indiquent clairement les méfaits de la croissance à tout prix. Le retour au bio, qui le qualifierait de régression ?

 

Une autre piste consiste à diminuer les consommations énergétiques par moins de gaspillage et plus d’efficacité. Ce ne sont pas les producteurs d’énergie qui s’en feront les promoteurs, ce n’est pas leur intérêt. Et les politiques ? A gauche et à droite, selon l’essayiste, on confond encore le progrès avec l’innovation. On traite de « conservateur » celui qui refuse de détruire l’ancien pour construire du nouveau, on valorise tout changement a priori, même s’il entraîne la dévastation du monde et une croissance problématique des déchets, au nom du progrès.

 

A rebours des discours économiques et financiers dont les médias nous rebattent les oreilles plus que jamais, le mouvement de la décroissance heureuse nous interpelle et nous invite à revoir nos choix, à retrouver notre liberté. Les exemples concrets ne manquent pas, à commencer par l’abandon de l’eau en bouteilles de plastique au profit de l’eau du robinet, filtrée dans une carafe si nécessaire. Ne pas jeter sans cesse, faire durer les choses, les vêtements, les objets. Autoproduire, échanger davantage, en particulier des services aux personnes, cela semble plus facile à mettre en pratique à la campagne, mais dans les villes aussi on peut changer ses habitudes, acheter moins, abandonner ou partager sa voiture.

 

Lisez La décroissance heureuse – un livre « à conseiller à tout le monde » (Martine Cornil sur la Première) – pour découvrir les démonstrations de Maurizio Pallante en détail – il ne faudrait évidemment pas réduire son analyse à un pot de yaourt maison. Sa critique du « faux bien-être de la société de consommation » et de l’individualisme, son plaidoyer en faveur des « biens relationnels » et du non-marchand ont le mérite de nourrir le débat sur l’avenir de nos sociétés malades du capitalisme ultralibéral. Arrêtons de penser qu'il faut acheter pour être heureux !

Commentaires

  • plutôt que de laisser d'aucuns jouer la croissance avec des dés pipés...

  • J'ai entendu l'émission...comme un arbre rouge au milieu des jardins encadrés.

  • Ah ! Très heureuse de trouver ici un billet sur la décroissance dont je suis depuis longtemps une adepte.
    Il est bon en effet de lire un ouvrage qui en parle correctement car il se dit beaucoup d'âneries sur la décroissance, ne serait-ce que de l'appeler "croissance zéro" terme qui voudrait seulement dire "pas de croissance" (rester au même niveau de consommation). En réalité le mouvement de la décroissance ne veut plus de ce niveau de consommation non plus, il veut de la DÉcroissance. C'est à dire faire l'inverse de croître = toujours moins mais mieux :)

  • @ JEA : Ou au casino de la Bourse...

    @ MH : Ce flamboyant ne laisse pas le dernier mot au vert !

    @ Euterpe : Merci pour ces précisions, Euterpe, j'aurais dû écrire "à tort" en parlant du langage des médias, je m'en vais l'ajouter tout de suite.

  • Intéressant. Et je partage.

    Je suis certain que 'décroissance' souffre du fait que, d'un point de vue psychologique le mot est l'opposition de croissance. Et croissance est un mot qui sonne positif. Forcément.

  • Comme Euterpe j'apprécie beaucoup ce billet .
    Plus nous consommons plus nous sommes frustrés car nous avons toujours envie de ce que nous n'avons pas et sitôt l'objet acheté nous courons après le suivant . Un peu comme le chien qui tourne perpétuellement après sa queue .
    "croissance négative" ou "croissance zéro" sont comme les expressions "non voyants" ou "non entendants" , elles ne sont que négation de tout ce que nous ne comprenons pas !
    Je pratique à ma manière la "décroissance heureuse "en réparant par exemple tout ce qui est destiné au "rebut" tout ce qu'on ne prend plus la peine de réparer , tout ce qu'on change , tout qu'on jette sous prétexte que ce n'est plus le dernier cri de la technique dont d'ailleurs on n'utilise qu' 1% de ses capacités , mais peu importe , on frime , on croit qu'on "est" parce que l'on possède !

  • La décroissance heureuse rappelle la "sobriété heureuse" de Pierre Rabhi...
    Connaissez-vous Viveret? j'en parlais il y a quelques jours par là:
    http://lesilesindigo.hautetfort.com/archive/2011/10/27/homo-sapiens-demens.html

  • Pierre Rabhi en parlait déjà il y a une bonne vingtaine d'années ... le mot donne beaucoup de boutons aux politiques, j'en ai encore entendu un cette semaine, et pas des moindres, affirmer sans autre développement que la décroissance était une absurdité ! Et pourtant, c'est la seule voie sensée.

  • @ Armando : Oui, tu as raison. Mais quel terme positif utiliser ? "Décroissance" a le mérite d'être explicite sur l'objectif du mouvement, "sobriété" manque de peps, qui trouvera un mot pour le dire de façon plus attirante ?

    @ Gérard : Je me souviens d'un entretien avec Marguerite Yourcenar à la télévision (avec Matthieu Galey ?), dans sa maison du Mont-Désert. Elle montrait un plat en porcelaine ébréché en demandant pourquoi à cause de cela il ne pourrait plus servir. Elle le caressait de la main, heureuse de la patine du temps et de l'usage.
    Vous êtes, Gérard, de ces personnes précieuses qui savent réparer, magnifique !

    @ La Bacchante : Non, je ne le connais pas, mais je suis allée lire votre billet et je partage, bien sûr, l'espoir de ce "saut qualitatif" pour l'humanité. Merci pour le lien.

    @ Aifelle : Qu'il faut du temps pour admettre ses erreurs et y remédier. Cet autre ami de la terre écrivait récemment sur son blog à propos de la modernité :
    http://www.pierrerabhi.org/blog/index.php?post/2011/01/14/Jai-un-enorme-contentieux-avec-la-modernite

  • Passionnant billet et livre qui va tout de suite trouver son chemin vers moi, ce qu'il y a de bien quand on arrive un peu tard c'est qu'on a en prime les commentaires et réponses aux commentaires et cela ajoute encore de l'intérêt
    Depuis plusieurs mois je tente "d'alléger" ma façon de vivre, c'est parfois difficile tellement les habitudes sont ancrées, mais doucement cela vient. Mon âge fait que mon inquiétude porte sur mes enfants et encore plus mes petits enfants ... mes filles chacune à leur façon s'interrogent
    Super les liens vers des sites inconnus
    Merci Tania pour cette proposition de lecture

  • Comme Dominique, je me réjouis de lire ton billet, intéressant s'il en est, un peu tard et de profiter des com. et de tes réponses. Merci à toi, à tous.
    Il est vrai qu'à la campagne, ici du moins, l'entraide, le troc fonctionnent très très bien. Les bricolages et récupérations de tous genres sont à la mode "ceinture fort serrée".
    Un livre à offrir à MAH sans aucun doute.

  • Je vois le problème. Tu es la première à ma le signaler, je ne sais pas ce qui se passe. Cà m'est arrivé récemment avec quelques blogs, j'ai dû refaire les liens à nouveau. Je me demande si ce n'est pas dû plus à google qu'à la plateforme de blog.

  • Je viens de faire quelques tests sur les blogs où j'ai laissé des commentaires. Seuls les blogs hautetfort présentent le problème, sur les autres, le lien fonctionne bien. Est-ce que c'est ta plate-forme ? Ce serait de ce côté là qu'il y aurait un dysfonctionnement ?

  • @ Dominique : "Alléger" sa façon de vivre, beau programme, Dominique. C'est vrai que nous nous interrogeons sur le monde que nous transmettons aux plus jeunes, avec tant de défis à relever.

    @ Colo : Je sais que dans ton village, la déchetterie est un bel endroit d'échange, de récupération, de recyclage, c'est formidable. J'aimerais, bien sûr, entendre le point de vue de MAH à ce sujet.

    @ Aifelle : Il y a eu pas mal de "travaux" sur notre plate-forme et il est bien possible que ce problème y soit lié. Je t'envoie par courrier une copie d'écran, pour info.
    Mais pas de souci pour te lire, je suis abonnée à ton blog et le flux fonctionne parfaitement.

  • J'arrive bien en retard pour lire ce passionnant compte rendu! Mais je tiens à vous laisser un petit mot pour vous remercier de nous faire découvrir cet ouvrage que je vais m'empresser d'aller trouver. Tant de choses me séduisent dans ce que l'auteur propose et met en avant. Et je dois dire que ça va peut-être me décider à faire mon yaourt pour abandonner de plus en plus la dépendance aux grandes surfaces, qui favorisent la "croissance" et le "développement" de manière libérale et qui menacent la naissance d'une autre forme d'économie et donc de forme de société. Encore un grand merci!

  • J'arrive bien en retard pour lire ce passionnant compte rendu! Mais je tiens à vous laisser un petit mot pour vous remercier de nous faire découvrir cet ouvrage que je vais m'empresser d'aller trouver. Tant de choses me séduisent dans ce que l'auteur propose et met en avant. Et je dois dire que ça va peut-être me décider à faire mon yaourt pour abandonner de plus en plus la dépendance aux grandes surfaces, qui favorisent la "croissance" et le "développement" de manière libérale et qui menacent la naissance d'une autre forme d'économie et donc de forme de société. Encore un grand merci!

  • Mille excuses, je vois que mon commentaire a été posté deux fois. Je ne comprends pas...

  • @ Jeanne : Merci pour votre enthousiasme, Jeanne. Oui, nous pouvons remettre nos habitudes en question et faire de meilleurs choix, au quotidien. (Vous n'êtes pas la première à vous demander si le commentaire est arrivé à bon port ou pas, pas de problème.)
    Je lis vos textes - "Coulures du temps", "Flou automnal" - et j'admire vos photos (je me suis abonnée aux "Variations photographiques"), mais en cette période où ma mère est hospitalisée, mon temps au clavier est compté, et j'arrive à peine à répondre aux commentaires. A plus tard, donc.

  • Chère Tania, je suis ravie que vous appréciez les travaux des décroissants. Je suis une "activiste" de ces questions. J'étais à ce fameux colloque à l'Unesco où Ivan Illitch s'est exprimé pour la dernière fois. C'était une rencontre extraordinaire. Je suis une inconditionnelle du recyclage, de la réparation et suis touchée que Marguerite Yourcenar ait exprimé cette sage considération. Devrions_nousêtre jétés aux oubliettes dès que nous sommes nous-mêmes ébréchés. C'est hélas ce que fait cette société qui ose exclure du droit de vivre (se loger, se nourrir, s'éduquer) plus d'un milliard d'humains quand d'autres possèdent à eux- seuls l'équivalent du PIB des 45 pays les plus pauvres. Heureusement l'esprit de résistance se développe de jour en jour. merci pour ce billet

  • @ Zoë Lucider : Chère Zoë, merci pour ce témoignage de première main. Vous avez raison d'attirer l'attention d'abord sur les personnes qui manquent de l'essentiel pour vivre. C'est un scandale de laisser croître la pauvreté dans un monde si riche.

Écrire un commentaire

Optionnel