Quel bonheur d’écouter Nuccio Ordine ce samedi 8 février 2020 au micro de Pascale Seys ! Pendant des années, cette philosophe et chroniqueuse animait une excellente émission d’entretien à la radio, Le grand charivari. A présent, c’est dans La couleur des idées, chaque samedi de 11 à 12 heures sur Musiq3, qu’elle interroge « une personnalité du monde des idées et de la création qui fait l’actualité pour partager sa pensée et sa vision du monde ».
Nuccio Ordine, Angélique Kidjo, François Taddei, Dr Honoris Causa 2020 de l'UCLouvain (source)
Nuccio Ordine a été récemment nommé Docteur Honoris Causa de l’UCLouvain. Grand défenseur de l’humanisme, ce professeur italien continue à attirer l’attention sur L’utilité de l’inutile. Il dénonce la dérive utilitariste qu’il constate dans l’enseignement, aussi bien à l’école qu’à l’université, censée « former des citoyens cultivés et libres ». Il donne l’exemple de Fabiola Gianotti, la directrice du Cern à Genève. « Elle a fait du grec et du latin, et dix ans de piano. Pour elle, c’est cette culture de base qui lui a permis d’être une bonne physicienne. »
En même temps que lui, l’UCL a honoré la chanteuse et compositrice béninoise Angélique Kidjo qui « milite pour favoriser l'éducation des jeunes filles et femmes d'Afrique » – si vous avez suivi la cérémonie du centenaire de l’armistice de 1918 à Paris, vous vous souvenez certainement de son interprétation magnifique de « Blewu » (Doucement) – et aussi François Taddei, qui cherche au CRI à « développer une société où le partage, le mentorat et la coopération sont la norme et transforment l'apprentissage tout au long de la vie ».
Ecoutons Ordine : « Souvent, je demande à mes étudiants : pourquoi vous êtes-vous inscrit à l’Université? Ils me répondent : pour obtenir un diplôme. J’essaye de leur faire comprendre qu’on ne vient pas à l’Université pour obtenir un diplôme. On s’inscrit à l’Université pour devenir meilleur. Hélas, aujourd’hui, on vit dans une société qui nous dit qu’étudier signifie apprendre un métier et gagner de l’argent. »
Certains étudiants confondent l’amitié véritable, qui est rencontre, échange, présence à l’autre, bref, une relation personnelle, avec des clics et de nombreux amis sur les réseaux sociaux. Qui n’a jamais observé un petit groupe occupé à communiquer sur le téléphone au lieu de se parler entre eux ? « Le rôle d’un professeur est de changer la vie de ses étudiants. Un ordinateur ne changera jamais la vie de personne. Actuellement, on dépense beaucoup d’argent pour créer l’école digitale et, dans le même temps, on massacre les budgets pour la formation des professeurs. »
J’ai été émue d’entendre l’invité lire la fameuse lettre de Camus à M. Germain, son instituteur, à qui il rend hommage dans Le premier homme. Cette lettre qu’il lui a envoyée après avoir reçu le Prix Nobel de Littérature y est d’ailleurs reprise à la fin du volume, j’ai omis de le signaler, ainsi que la réponse de Germain Louis à Camus, datée d’Alger, le 30 avril 1959, et qui commence par ces mots « Mon cher petit ».
Ordine m’a également touchée en évoquant ses deux maîtres et amis, George Steiner qui vient de décéder, et Umberto Eco qui savait toujours faire rire en glissant une blague même dans les conversations les plus sérieuses. L’émission devrait pouvoir être bientôt réécoutée en ligne. Elle nourrit ma réflexion sur l’importance de toutes ces choses inutiles comme la littérature, la musique, l’art, et de la transmission, que beaucoup aujourd’hui ressentent comme fragilisée.
Nuccio Ordine a publié l’an dernier Les Hommes ne sont pas des îles, dans le prolongement d’Une année avec les classiques (2015), une « petite bibliothèque idéale pour nous accompagner dans un voyage fascinant à travers la littérature et la philosophie. » Professeur à l’Université de Calabre, ce grand défenseur des études dans le but d’apprendre, de comprendre et de découvrir a repris à son compte les propos de Victor Hugo réclamant plus de fonds destinés au savoir et à l’éducation des jeunes, surtout en période de crise (lire ici sa conférence à Louvain-la-Neuve, riche en citations).
Au micro de Pascale Seys, il ajoutait : « Aujourd’hui, toute la politique est basée sur l’égoïsme. Trump, Bolsonaro et Salvini disent tous la même chose : mon pays d’abord, ce qui arrive aux autres n’est pas important. Or, les classiques nous enseignent exactement le contraire. Le sens de la solidarité est décisif. Le futur de l’humanité n’est pas possible sans le bien commun. » A méditer aussi en Belgique, où l’on attend toujours la formation d’un gouvernement fédéral.
Commentaires
Il y a encore d'excellentes émissions à la radio, on y écoute des personnalités qui ont réellement des choses à dire. Je ne connais pas la radio que tu évoques, mais on a l'équivalent avec France-Culture.
Musiq3 est la 3e chaîne radio de la RTBF, dédiée à la musique classique et à la culture. On peut à présent réécouter l'émission en ligne : https://www.rtbf.be/musiq3/emissions/detail_la-couleur-des-idees/accueil/article_nuccio-ordine-la-culture-est-l-unique-possibilite-de-nous-rendre-meilleurs?id=10426611&programId=13216
Oui, nous sommes hélas dans une époque ou utile veut dire économiquement rentable....
Je vais aller écouter cette émission , merci. J'aime Musiq3 le matin, en dégustant mon café.
Nous voilà donc commençant de même notre journée !
Merci Tania, je vais aller l'écouter.
Avec plaisir.
c'est un sujet dont je n'ai cessé de débattre avec mes élèves, l'utile, l'inutile... il n'y a pas de connaissances inutiles...
Les enseignants se sentent bien sûr concernés, mais les propos d'Ordine peuvent intéresser tous ceux qui se préoccupent de l'évolution de la société.
Merci Tania, je vais pod-caster aussi !
La belle structure d'un être humain est une foule de choses qui paraissent inutiles.
Et une écologie salvatrice ne peut pas être que technique. Elle est vouée à l’échec sans l'entente, l'écoute et la compassion. Bonne soirée !
Bonne écoute et bonne journée, Claudie.
Chouette émission (pas inutile, d'ailleurs!) et beaux choix musicaux. Merci Tania!
N'est-ce pas ? Ravie de te lire ici.
Très intéressant. Je vais lire Ordine que j'avoue ne pas connaître dans mon inculture. Et quant à l'idée de solidarité nécessaire pour le bien commun, en Belgique je ne sais pas, mais chez moi en France il est sûr que les partis politiques devraient enfin le comprendre, avant qu'il ne soit trop tard.
Bonjour, Ariane. J'espère que cette lecture nourrira ta réflexion et, comme toi, j'espère que le sens du bien commun finira par prendre le dessus sur les intérêts partisans.
L'émission est disponible et...je suis disponible, quelle heureuse coïncidence ! Merci Tania pour ce beau billet plein de vie et ces gens riches d'une belle humanité. Tes liens sont passionnants. Bel après midi à toi. brigitte
Magnifique moment que ce moment de radio, les choix musicaux y sont en plus extraordinaires ! Merci Tania. Bises. brigitte
Grand merci à toi pour le retour. Bonne fin de journée, bises.
Le professuer Nuccio Ordine déclare : "On s’inscrit à l’Université pour devenir meilleur. Hélas, aujourd’hui, on vit dans une société qui nous dit qu’étudier signifie apprendre un métier et gagner de l’argent. » .
Je me suis dit, en le lisant, qu'il était facile quand on est un intellectuel à l'abri du besoin de faire ce genre de réflexion à propos d'étudiants qui se font du souci pour leur avenir et se savent guetter par le chômage.
Puis, je suis allée voir le lien qui renvoie à la conférence du professeur et dans laquelle il cite Victor Hugo : « Mais, si je veux ardemment, passionnément le pain de l’ouvrier, le pain du travailleur, qui est mon frère, à côté du pain de la vie, je veux le pain de la pensée qui est aussi le pain de la vie. Je veux multiplier le pain de l’esprit comme le pain du corps. […] Il faudrait multiplier les écoles, les chaires, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les librairies. Il faudrait multiplier les maisons d’études pour les enfants, les maisons de lecture pour les hommes, tous les établissements, tous les asiles où l’on médite, où l’on s’instruit, où l’on se recueille, où l’on apprend quelque chose, où l’on devient meilleur. »...
et me voilà réconciliée. Le texte de Constantin Kavafis est très beau aussi.
Je te suis reconnaissante d'avoir repris ce passage de Victor Hugo cité dans sa conférence à Louvain-la-Neuve, que je trouve très belle aussi. Bonne soirée, Claudialucia.