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Quand on semble

Voici la page du Journal de Kafka à laquelle m’a fait penser la promenade de Mrs Dalloway au hasard des rues londoniennes.

Kafka dans la rue.jpg« Quand on semble définitivement décidé à rester chez soi pour la soirée, quand on a mis un veston d´intérieur, quand on est assis après le dîner à la table éclairée, qu’on s’est proposé tel travail ou tel jeu qui précède habituellement le moment d’aller se coucher, quand il fait dehors un temps désagréable qui justifie tout naturellement le fait de rester chez soi, quand on est resté si longuement immobile à la table que partir maintenant provoquerait non seulement la colère paternelle, mais encore la stupéfaction générale, quand de plus l’escalier est déjà sombre et que la porte de la rue est fermée et quand, en dépit de tout cela, on se lève, mû par un malaise soudain, qu’on change de veste, qu’on apparaît sur-le-champ en costume de ville, qu’on déclare être obligé de sortir, qu’on croit laisser derrière soi une colère plus ou moins grande selon la vitesse avec laquelle on claque la porte de l’appartement pour couper court à une discussion générale sur votre départ, quand on se retrouve dans la rue avec des membres qui récompensent par une mobilité particulière cette liberté qu’on leur a procurée et qu’ils n’attendaient déjà plus, quand on sent s’éveiller en soi toutes les capacités de décision grâce à cette décision unique, quand on constate, en donnant à cela une portée plus grande que la portée ordinaire, que c’est moins le besoin que la force qui vous pousse à produire et à supporter facilement la plus rapide des transformations, que, laissé à soi-même, on se développe dans l’intelligence et le calme tout autant que dans le fait d’en jouir, alors, on est pour ce soir-là si entièrement sorti de sa famille qu’on ne le serait pas de manière plus convaincante par les voyages les plus lointains, et l’on a vécu une aventure qui, en raison de l’extrême solitude qu’elle représente pour l’Europe, ne peut être qualifiée que de russe. Tout cela est encore accru si, à cette heure tardive de la soirée, on va rendre visite à un ami pour voir comment il va. »

Franz Kafka, Journal, 5 janvier 1912

Photo : Kafka à Prague en 1922

Commentaires

  • Oui, cela rejoint cette tension extrême qu'il a décrite dans la Lettre au père.

  • Pour lui, certainement. Bonne soirée, Edmée.

  • Une seule et même phrase pour accentuer l'urgence, la nécessité et elle donne tant d'importance à la phrase courte qui suit. Merci Tania pour ce passage si bien choisi ! Belle journée et Bises.

  • J'adore que cette longue phrase se termine sur une aventure "russe" ! Une page souvent relue quand je feuillette ce Journal. Merci, Claudie.

  • comme je le comprends! (et comme il le décrit bien, ce sentiment, cette difficulté, cet avant et cet après :-))

  • Si tu savais le nombre de fois que je pense à lui quand je ressens le plaisir d'une sortie, la fraîcheur vivifiante du dehors !

  • Au hasard de moments d'insomnie, j'ai pu écouter des morceaux d'émissions sur lui cette nuit, notamment "la lettre au père". J'ai pensé à toi bien sûr.

  • Merci d'avoir pensé à moi durant cette rencontre d'insomniaques !

  • Et quel génie !

  • Heureuse que tu aimes aussi ce texte, Colo.

  • Une expérience que chacun de nous connaît, je pense. S'arracher au confort, ne pas céder à la facilité, portent en eux leur récompense. Merci, Tania !

  • C'est cela, et l'aventure pas forcément loin de chez soi.
    Avec plaisir, Annie.

  • Ce qui s'appelle dénouer un nœud, cette phrase est hallucinante dans sa longueur, la forme complète merveilleusement le fond !!! C'est un très beau texte, merci Tania. brigitte

  • Je compte extraire de ce Journal d'autres pépites pour les partager ici. Bonne soirée, Brigitte, avec ou sans sortie.

  • Bon dimanche, Marie.

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