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Le Beau est partout

Fernand Léger (1881-1955) a souvent déclaré que « le Beau est partout », c’est le titre de la rétrospective qui vient de s’ouvrir à Bozar, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. « Le Beau est partout, dans l’ordre de vos casseroles, sur le mur blanc de votre cuisine, plus peut-être que dans votre salon XVIIIe ou dans les musées officiels. » Ou encore, dans un rapprochement entre le tableau et la photographie, « Le Beau est partout autour de nous, il fourmille, mais « il faut le voir », l’isoler, l’encadrer par l’objectif. »

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© Fernand Léger, Le Transport des forces, 1937, 4,7m x 8m. Adagp, Paris 2017 /
CNAP / Photographie Yves Chenot

On découvre d’abord une peinture monumentale, Le transport des forces, une toile de huit mètres sur cinq créée pour l’Exposition universelle de 1937. Les courbes de la nature y contrastent avec les formes géométriques du monde moderne. La peinture de Fernand Léger explore et réinvente le monde, ses objets, ses figures, dans une esthétique très reconnaissable « jouant sur l’opposition des formes et des couleurs, de l’aplat et du modelé, jusqu’à l’abstraction » (Guide du Visiteur, source des citations).  

Ce n’est pas encore le cas dans La couseuse (1910), peut-être un portrait de sa mère, mais déjà la rupture avec l’impressionnisme est claire, et aussi l’influence de Cézanne. Avant d’appliquer sa mécanique « tubiste » à tout ce qu’il rencontre, Léger a cherché sa voie du côté du cubisme, à sa manière, comme le montre La noce avec son cortège autour des mariés (première toile exposée au salon des Indépendants en 1911, encore proche de Picasso).

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© Fernand Léger, Le Mécanicien, 1918. Huile sur toile, 65 x 54 cm © Adagp, Paris 2010

Le peintre veut rompre avec « la peinture sentimentale ». Prenant exemple sur les objets industriels, il veut aboutir à un tableau « propre » au « fini » soigné – « les formes lisses de l’industrie traduisent la mécanisation de la vie moderne, qui transforme les êtres et les choses ». Elément mécanique montre sa façon de peindre les volumes en dégradé de gris, comme les courbes de son Mécanicien à moustache qui porte une bague et fume le cigare.

Devant les œuvres de Fernand Léger, je perçois deux sortes de peintures que j’appelle en moi-même les claires et les sombres – une différence de tonalité, d’ambiance, due à la part du blanc et du noir. Distinction sans doute absurde chez ce peintre ami des couleurs pures, comme on peut le voir dans le beau Disque de 1918 (Madrid). Claire, la toile Le Pont du remorqueur « dégage une impression d’harmonie qui repose sur l’équilibre entre les lignes, les volumes et, surtout, les couleurs auxquelles Léger conférait une valeur constructive » (Thierry Saumier, Sud-Ouest). Sombre, la Nature morte, A. B. C., typique des années 1920 où le peintre introduit des lettres et des bribes de mots dans ses compositions. 

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© Fernand Léger, Le Pont du remorqueur, 1920, huile sur toile 96,5 x 130 cm © Photo S. K.

Fernand Léger est à l’occasion illustrateur – Rimbaud, Cendrars – ou décorateur : il peint des décors pour L’inhumaine de Marcel Lherbier. Le cinéma est pour lui « l’art de la modernité par excellence ». On peut voir à l’exposition son film Ballet mécanique (réalisé en 1924) où les objets, le rythme, le cadrage, tout concourt avant tout au mouvement. Le peintre aimait beaucoup Charlot et en a construit une marionnette en planchettes de bois peint qu’il désarticule joyeusement. Plus loin, des écouteurs offrent le son d’une des « sept séquences oniriques » du film Dreams That Money Can Buy de Hans Richter où Léger anime des éléments de mannequins en guise de personnages.

Une grande salle est consacrée au cirque et à la danse, « l’apogée du spectacle populaire ». « Rien n’est aussi rond que le cirque », écrit Fernand Léger, et il le montre : costumes pour « La Création du monde » avec les Ballets suédois ; lithographie en jaune avec le mot « Cirque » sous un visage de clown, la bouche béante ; magnifique Cirque Medrano ! Par ici, les trapézistes, les cyclistes, les acrobates, les danseurs… On s’assied pour explorer l’énorme Composition aux deux perroquets où les corps s’empilent. 

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© Fernand Léger, Le Cirque Médrano, 1918, Legs de la Baronne Eva Gourgaud, Collection Centre Pompidou, Paris Musée national d’art moderne, Centre de création industrielle © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Jacques Faujour/Dist. RMN-GP © SABAM Belgium 2018

Une salle d’angle illustre l’intérêt constant de Léger pour la photographie (à son arrivée à Paris en 1900, Léger était assistant photographe). En 1930, la designer Charlotte Perriand photographie des objets ramassés sur la plage ou en forêt (silex, rochers, neige, bûches…) Les dessins qu’ils inspirent à Léger « témoignent d’une sensibilité nouvelle aux formes naturelles, loin de l’esthétique de la machine ».

L’architecture, elle, est le domaine des structures géométriques et de la couleur. Léger collabore avec plusieurs architectes et vise un art mural, « collectif et populaire ». Autres champs d’exploration : la céramique (commencée à Biot, où se trouve le musée national Fernand Léger), la mosaïque, le vitrail (maquettes pour l’église du Sacré-Cœur à Audincourt).

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© Fernand Léger, La lecture, 1924, Huile sur toile, 113,5 x 146 cm
Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, RMN-Grand Palais / Jacques Faujour © ADAGP, Paris

La figure humaine est traitée par le peintre comme n’importe quel objet, on le voit bien dans La lecture aux volumes cernés de noir, contrairement aux formes claires des Deux femmes debout. Toute sa vie, Léger défend des valeurs humanistes et prône « un art pour tous ». Réfugié aux Etats-Unis en 1940, il adhère au parti communiste à son retour en 1945,  sans devenir pour autant « un peintre de parti ». Il illustre le poème Liberté de Paul Eluard. Les loisirs, à la fin du parcours, résument bien sa volonté de traiter des sujets populaires.

Vous avez jusqu’au 3 juin prochain pour visiter Le Beau est partout. Le souvenir du Grand déjeuner de Fernand Léger vu à La Boverie m’a incitée à visiter cette exposition, d’abord montrée au Centre Pompidou-Metz l’an dernier. Toutes les œuvres montrées à Bruxelles ne sont pas de cette veine, mais on y voit quelques chefs-d’œuvre comme Les grands plongeurs noirs ou Les constructeurs (cinq mètres sur deux), spectaculaire hommage aux travailleurs. « Pourtant ce tableau offert à la CGT a été refusé par le syndicat qui estimait que le « peuple » ne le comprendrait pas. La CGT était alors adepte du réalisme socialiste stalinien. » (Guy Duplat dans La Libre

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Cette rétrospective montre bien le cheminement du peintre et on y apprend, à la fin, que Léger a longuement enseigné et même ouvert sa propre école en 1934, l’Académie de l’art contemporain. Ont fréquenté son atelier Maria-Elena Vieira da Silva, Louise Bourgeois, Nicolas de Staël, entre autres, et même Gainsbourg. A la sortie du Palais, un clin d’œil : sur la palissade entourant le chantier de construction voisin, on a copié des motifs de Fernand Léger et certains visiteurs n’hésitent pas à prendre la pose devant cette fresque colorée surmontée par une grande grue jaune – on reste dans le ton.

Commentaires

  • Quand j'étais jeune, j'avais en horreur cette peinture et puis avec le temps, je l'ai apprivoisée.Je suis plus attirée par les tableaux dans l'esprit du Cirque Médrano, il y explose une joie vivifiante, j'aime en voyant des œuvres, qu'elle me fasse du bien, c'est une vision très personnelle de l'art, j'en conviens... Bises, douce journée Tania. brigitte

  • Fernand Léger, je n'y arrive pas .. C'est une peinture qui ne provoque rien chez moi, je m'en étais aperçue en allant à Biot il y a quelques années.

  • @ Plumes d'Anges : Merci pour ton commentaire, qui témoigne de ce perpétuel apprentissage qu'est la rencontre avec l'art. Nous aimons certains artistes d'emblée ; pour d'autres, cela prend du temps, nous les apprivoisons comme tu l'écris - ou bien ils nous apprivoisent. Parfois rien à faire, nous restons à distance. Ravie que tu aimes aussi ce cirque harmonieux et facétieux.

    @ Aifelle : Je n'ai pas visité ce musée, mais je me souviens d'une rétrospective à la Fondation Maeght (il y a trente ans, bigre !) où j'ai vu pour la première fois certaines grandes toiles spectaculaires, dont ses fameux plongeurs. Le goût des couleurs et de la composition aidant, je suis plus sensible à certaines oeuvres qu'à d'autres, tu l'auras compris.

  • Je ne connaissais pas le côté explorateur de différents moyens d'expression de F. Léger, comme ces vitraux de toute beauté, si lumineux!
    C'est en "travaillant" si j'ose dire, pour un billet sur Juan Gris et un autre sur María Blanchard, que je suis entrée dans le monde du cubisme. Depuis je crois que je le comprends mieux, en tout cas j'aime regarder les tableaux longuement.
    Merci pour ce beau billet!

  • C'est l'avantage des rétrospectives de présenter les différentes facettes de l'artiste et de son oeuvre. D'accord avec toi, il faut regarder longuement ces peintures au premier abord déconcertantes et qui ne se découvrent que petit à petit, comme ce cavalier bleu dans "Le cirque Médrano", entre autres détails. Ravie que ce billet t'ait plu ! Bonne soirée, Colo.

  • j'ai beaucoup de mal avec ce style de peinture, vraiment.
    Mais le beau est partout, c'est sûr, quand j'étends mon linge je le fais toujours selon les couleurs de l'arc-en-ciel, "het oog wilt ook wat" dit-on chez nous :-)

  • Dommage que je ne puisse pas venir voir cette expo pour me réconcilier avec le cubisme ! J'aime beaucoup ton billet et les illustrations qui nous permettent tout de même de comprendre l'esthétique de F. Léger. Je connaissait ses illustrations de Cendrars mais je ne savais pas pour les Illuminations.

  • J'ai du mal avec Fernand Léger mais je ne vais pas rater la rétrospective. Très beau billet !

  • je n'ai pas encore été voir l'expo, mais j'ai eu le plaisir de prendre la fresque en photo :)
    elle égaie le quartier

  • Incroyablement visionnaire ce peintre qui introduit l'art dans ce qu'il y a de moins sensible au monde, l'industrie et la mécanique et d'en avoir humanisé la raideur et la froideur. Cette exposition doit être passionnante.

  • @ Adrienne : Bel exemple du "Beau" dans la vie quotidienne ! J'ai relu un texte d'Apollinaire sur "Les peintres cubistes" et pensé que cette comparaison avec la musique t'intéresserait, le texte date de 1913.

    "Si le but de la peinture est toujours comme il fut jadis : le plaisir des yeux, on demande désormais à l'amateur d'y trouver un autre plaisir que celui que peut lui procurer aussi bien le spectacle des choses naturelles.
    On s'achemine vers un art entièrement nouveau, qui sera à la peinture, telle qu'on l'avait envisagée jusqu'ici, ce que la musique est à la littérature.
    Ce sera de la peinture pure, de même que la musique est de la littérature pure.
    L'amateur de musique éprouve, en entendant son concert, une joie d'un ordre différent de la joie qu'il éprouve en écoutant les bruits naturels comme le murmure d'un ruisseau, le fracas d'un torrent, le sifflement du vent dans une forêt, ou les harmonies du langage humain fondées sur la raison et non sur l'esthétique.
    De même, les peintres nouveaux procureront à leurs admirateurs des sensations artistiques uniquement dues à l'harmonie des lumières impaires."

    @ Maggie : J'ai noté que ce Rimbaud illustré vient de la Bibliothèque Jacques Doucet à Paris.

    @ Nadezda : Merci beaucoup, Nadezda, bonne visite !

    @ Niki : Oui, et c'est vraiment dans l'esprit de ce que voulait Léger.

    @ Armelle : C'est vrai et cela, il y a plus d'un siècle !

  • Je connais peu la peinture de Fernand Léger, y étant peu sensible, non par les sujets ou les couleurs, plutôt les formes je crois. Tes explications sont bienvenues. Je découvre également qu'il a été illustrateur.

  • @ Maggie : OK.

    @ Marilyne : J'ai moi-même du mal avec les formes au cerne noir épais, d'autres compositions m'enchantent.

  • Je me souviens d'avoir visité le musée de Biot, il y a très très longtemps. Pourtant j'en ai gardé un très bon souvenir notamment des céramiques, rondes, lisses et colorées.
    Je trouve qu'il y a de l'optimisme, de la force, dans ses toiles, une forme de joie aussi, si bien rendue par les couleurs vibrantes. Un choc, aujourd'hui où nous baignons trop souvent dans le gris et le noir. Même les blouses du personnel médical sont noires...

  • Merci d'ajouter ici cette note optimiste, qui correspond bien à l'oeuvre de F. Léger. Celui-ci estimait que "la couleur est une nécessité vitale. C’est une matière première indispensable à la vie, comme l’eau et le feu. On ne peut concevoir l’existence des hommes sans une ambiance colorée."
    (Des blouses noires pour le personnel médical ? Je n'en ai jamais vu.)

  • Bonjour Tania, j'aime beaucoup les couleurs. Cela a un côté joyeux. Bonne journée.

  • Léger ose le choc des couleurs. Il y a bien sûr des toiles plus sombres que celles que j'ai choisies. Bonne après-midi, Dasola.

  • Comme beaucoup, j'ai eu du mal avec Fernand Léger. C'est sans doute l'occasion de soigneusement visiter l'exposition pour mieux connaître cet artiste engagé et militant (par ailleurs, le cirque Medrano est en effet très attirant). Et tous les aspects de son oeuvre.

  • Rien de tel qu'une rétrospective pour mieux le découvrir, oui.
    Bonne visite si tu vas la voir.

  • Je ne suis pas adepte de son œuvre en général; cependant je reconnais le rôle qu'il a joué dans l'art et à ce titre, je trouve toujours intéressant de mieux connaître ses tableaux. Par contre, j'aime beaucoup les œuvres des trois artistes qui ont fréquenté son atelier, à savoir Vieira Da Silva, Louise Bourgeois et la profusion de ses créations et bien sûr Nicolas de Staël.Je suis très sensible au fait qu'il ait illustré le poème "Liberté" d'Éluard.
    Merci pour cette visite d'exposition et sa retranscription.

  • Tout le plaisir était pour moi, Maïté. J'ignorais qu'il avait enseigné à tant d'élèves, beaucoup de femmes artistes sont passées par son atelier.

  • Fraîchement arrivé à Bruxelles, j'éprouve un attrait exceptionnel de visiter cette expo qui rend hommage à l'Immortel Ferdinand Léger. Oui, le beau est partout, en nous et autour de nous, mais "il faut le voir". Je viendrai donc le voir.

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