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Le tempo de Pol Bury

Devant les sculptures en mouvement de Pol Bury (1922-2005), rien ne se passe si vous ne vous arrêtez pas. Le comble de son art cinétique, c’est qu’il nous immobilise devant l’œuvre : le temps d’attendre, d’observer, de guetter le frémissement d’un fil, d’une boule ou d’un cylindre. L’exposition « Pol Bury. Time in motion » au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (jusqu’au 4 juin) retrace tout le parcours de l’artiste belge, dont on ne connaît souvent que la part la plus célèbre : ses fontaines mobiles à Bruxelles, Paris ou New York.

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© Pol Bury, Fontaine installée pour l'exposition au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles

Sous l’influence d’Achille Chavée, poète, avocat et anarchiste, cet artiste né dans le Hainaut fait ses débuts de peintre dans la veine surréaliste, comme l’illustre bien La serrure inspirée par Magritte, puis fréquente CoBrA, évolue vers l’abstraction. Jignorais que Pol Bury avait commencé par peindre, Bozar offre une vision très complète de son oeuvre, je ne pourrai parler de tout. Les « Compositions » montrent d’abord des entrelacements, des superpositions, mais par la suite il travaillera surtout des formes géométriques.

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Vue partielle de la deuxième salle (Bozar)

Une exposition de Calder, en 1950, l’entraîne sur une toute nouvelle voie, celle des « Plans mobiles », des « Multiplans » et des « Girouettes ». Finis les aplats de couleurs sur toile, Pol Bury se met à construire des objets composés de panneaux colorés qui pivotent. Au début, le spectateur peut les faire bouger lui-même – le plus souvent, il s’amuse à le faire à toute vitesse – puis Bury décide d’y ajouter un moteur à propulsion électrique qui suscite un mouvement très lent. C’est lui qui décide du tempo, le spectateur n’a plus qu’à regarder.

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© Pol Bury, Multiplans (1957), Bois peint (détail)

Ni peintre ni sculpteur au sens traditionnel, Pol Bury signe en 1953 le manifeste du Spatialisme « dont les éléments essentiels sont le temps, la durée et le mouvement » (Guide du visiteur). A la recherche de nouvelles techniques, il vise un art plus démocratique qui s’intègre dans la vie quotidienne. Comme il le raconte avec humour, il ne s’approvisionne plus dans les magasins de « matériel pour artistes » mais dans les quincailleries où on lui demande souvent : « C’est pour quoi faire ? »

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© Pol Bury, Mélangeur, 1967, Bois teinté/moteur électrique

Pol Bury est non seulement polyvalent, artiste et bricoleur, mais il est aussi très facétieux et donne libre cours à son côté potache dans son travail d’illustrateur au Daily Bûl, revue et maison d’édition qu’il fonde en 1957 à La Louvière avec André Balthazar : L’art à bicyclette et la révolution à cheval, L’Art inopiné dans les collections publiques, entre autres. « A l’instar des discours incendiaires, la poésie a toujours la boîte d’allumettes en poche. » (Pol Bury)

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© Pol Bury, 1682 Points blancs, 1973, Bois teinté en noir/fil de nylon/moteur électrique, Collection privée, Bruxelles (détail)

Apparaissent alors les points blancs, qui s’agitent au bout de leur fil de manière imprévisible et aléatoire sur un fond noir, blanc, parfois rouge. Ses œuvres portent des titres souvent descriptifs (865 points), parfois suggestifs (Erectiles). La série « Ponctuation » consiste en panneaux perforés superposés où le mouvement modifie les virgules, apostrophes – ou phases de la lune, comme écrit Roger Pierre Turine – dans les petits cercles ouverts, et quelquefois la lumière (Ponctuation lumineuse). 

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© Pol Bury, Ponctuation 380, 1960, Masonite peint/moteur électrique, Kunstmuseum Krefeld

Si Pol Bury dispose dans l’espace des formes géométriques, en métal ou en bois, le mouvement lent et aléatoire auquel il les soumet introduit une autre dimension, celle de la durée, du temps. Il fait à la fois voir et percevoir ce que produisent le déplacement, suivi de la vibration pour les œuvres à fils, et le retour à l’immobilité. Dans quelques œuvres exposées, ce sont des tiges en métal martelé qu’il fait bouger, un jeu d’arabesques.

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© Pol Bury, 134 Chevilles de chêne sur fond de chêne, 1964, bois/moteur, Collection ?, Cologne (détail)

« Les déboulés de Pol Bury », titrait Roger Pierre Turine dans La Libre. Certains perdent la boule, Pol Bury la trouve, si j’ose dire, en la plaçant sur un plan incliné où elle ne roule pas, où même elle ira jusqu’à remonter la pente, défiant la loi de la pesanteur. Dans 16 boules, 16 cubes sur 8 rangées, une belle œuvre prêtée par la Tate (Londres), « il remplace la couleur originelle du bois par des variantes subtiles de couleur ocre, de rouges et de verts » (Guide du visiteur).

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© Pol Bury, 16 Boules, 16 cubes sur 8 rangées, 1966, Bois/nylon/moteur, Tate, Londres

Ce qui m’a frappée dans cette rétrospective, c’est la diversité, même si des procédés se répètent. Dans les années 70, Pol Bury crée des œuvres « à cordes » où des cylindres de bois accrochent la corde et déclenchent le son. Des gravures sur bois. Des bijoux, où il décline ses obsessions formelles en miniature. L’utilisation du métal poli l’amène à exploiter aussi le pouvoir des aimants pour déplacer les billes. Comme Capteurs de ciel, ses œuvres « design » au fini irréprochable sont loin des bricolages du début, et pourtant on perçoit le fil conducteur.

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© Pol Bury, Capteurs de ciel (détail), 1980, Collection privée, Bruxelles

Enfin, les plans sur lesquels il installe sphères et cylindres vont laisser la place à des œuvres monumentales, ses fontaines en acier inoxydable. Tantôt à boules, tantôt à cylindres, toujours en mouvement ; cette fois, c’est le poids de l’eau qui mène la danse. On en a installé une à la sortie de l’exposition, qu’on aurait préféré voir entourée d’un peu de verdure, comme disait la personne qui m’accompagnait. Pour ma part, je suis restée sous l’impression du magnifique paravent de chêne noir prêté par le Centre Pompidou, parsemé de barrettes en hêtre, 4087 cylindres érectiles.

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A l'arrière-plan : Pol Bury, 4087 cylindres érectiles, 1972, MNAM, Paris © Centre Pompidou

L’artiste qui cachait soigneusement ses mécanismes ne serait pas heureux de voir des fils électriques pendre sous certaines pièces. L’article de Guy Duplat sur Paul Gillard, « l’homme qui répare les œuvres de Pol Bury », explique les problèmes de conservation et l’instauration de pauses pour éviter l’usure trop rapide. Quoi qu’il en soit, je vous invite à faire l’expérience de la lenteur et du hasard avec Pol Bury, artiste et poète : « Le cube caressé prend de la rondeur (pour peu, on l’entendrait ronronner). »

Commentaires

  • Coup de cœur effectivement pour ce paravent "chinoisant" !!! Les créations sont joyeuses, on sent l'amusement de l'artiste à étudier des formes et leurs comportements, c'est poétique. Je vais aller voir ses peintures. Merci Tania, je ne connaissais pas cet artiste et c'est toujours enrichissant de faire des découvertes. Bises et douce journée à toi. brigitte

  • Tu ne trouveras pas beaucoup de toiles de Pol Bury en ligne, je le crains, en tout cas je n'ai pas trouvé celles qui m'avaient plu à l'expo mais que mes photos sans flash ne rendent pas bien. Je t'en enverrai une.
    J'aime aussi ce côté ludique dans la création, avec une grande sobriété, et beaucoup de ses oeuvres en bois. Bises.

  • je suis impatiente d'y aller moi aussi :)
    merci pour ce billet qui m'en donne encore plus envie

  • Félicitations à Tania d'avoir réalisé la prouesse de parler de cet art devenu indéfinissable et controversé. Elle le fait avec adresse, clarté, sans prendre position et avec intelligence. De nos jours l'art ou les beaux-arts sont galvaudés et les critiques sont en transes ! Celui qui nous est présenté a de l'imagination dans l'insolite et c'est ce côté que j'apprécie.

  • @ Niki : Bonne visite, Niki !

    @ Doulidelle : Cher Doulidelle, merci pour ton éloge. Pour ce qui est de donner mon avis, plusieurs réponses à te donner : d'abord, je ne parle en principe jamais de ce que je n'aime pas du tout (que ce soit en littérature ou en art), ensuite j'essaie de décrire objectivement ce que j'ai vu, ce que l'artiste propose, plutôt que de juger. Enfin, j'exprime tout de même mon degré d'enthousiasme, volontairement et sans doute involontairement. Oui, Pol Bury surprend, amuse, j'aime sa fantaisie. Il faut bien sûr que le visiteur soit d'accord de prendre le temps et d'entrer dans son jeu. Bonne soirée !

  • tu vois, moi je ne le connais que de nom, j'ai l'impression de voir ces oeuvres pour la première fois!

  • Il me semble qu'il avait installé une fontaine au parc du Botanique à Bruxelles, mais je ne la trouve pas sur la toile. Dans le genre de celle de Martigny photographiée ici : http://3.bp.blogspot.com/_7Ih3bUAilOQ/TMSdI79ZAcI/AAAAAAAACcg/wHSMEQECbXs/s1600/DSC_0156.JPG
    Sinon je n'avais jamais vu d'exposition aussi complète que celle-ci, parfaite pour faire connaissance ;-)

  • Un artiste étonnant ! j'ai suivi le lien sur les fontaines, avec les vidéos. Je me souviens être restée un moment devant celle de la Fondation Maeght, mais je n'avais pas mémorisé son nom.

  • N'est-ce pas ? C'est souvent le cas avec les sculptures en plein air : on les regarde, on s'en souvient, mais on ignore souvent le nom de leur créateur.

  • Je sens que j'aimerais beaucoup ce genre d'oeuvres si pleines d'inventivité et de surprises. L'art contemporain est parfois déroutant mais il est aussi souvent ludique et c'est agréable et enrichissant de s'amuser avec l'artiste.

  • J'ai visité cette exposition il y a deux semaines après celle de Rik Wouters. De Pol Bury, je ne connaissais que les fontaines publiques mobiles. Le grand intérêt de cette exposition est de montrer ce qu'il a fait d'autre dans sa carrière, mais les fontaines restent la part de son oeuvre qui me plaît le mieux. Elles nous invitent à prendre le temps d'observer les mouvements et ce thème reste plus que d'actualité dans notre société actuelle où on court tout le temps.

    Bon week-end Tania.

  • @ Claudialucia : Heureuse que cela te plaise aussi, Claudialucia.

    @ Un petit Belge : J'aime ses fontaines en inox et certaines oeuvres en bois m'ont particulièrement plu, comme ce jeu de sphères et de cubes aux couleurs douces. Bon week-end !

  • Très intéressant : ton reportage et sa démarche, ses productions ! Stimulant.
    Merci.

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