Entre la Meuse et sa dérivation, le parc de la Boverie n’est pas si facile à trouver pour qui connaît peu Liège – où se garer ? – mais une fois la voiture laissée sur l’autre rive, cela ne manquait pas de charme de découvrir à distance la nouvelle galerie vitrée du musée de la Boverie, de longer l’eau à pied jusqu’au pont Albert Ier, puis d’aborder le site côté jardin à la française, en pleine saison des roses.
« En plein air », l’exposition inaugurale, correspond bien à l’esprit du lieu. Le nouveau musée de la Boverie, installé dans l’ancien Palais des Beaux-Arts de Liège construit pour l’Exposition universelle de 1905, vient d’être réhabilité. Pourquoi y a-t-on ajouté cette « nouvelle salle hypostyle » (21 colonnes élégantes quoique en béton conçues par Rudy Ricciotti, le bureau d’architecte qui a œuvré à la rénovation de l’Hôtel de Caumont) laissée quasi vide pour l’instant ? Sa fonction n’apparaît pas, mais ce vaste espace permet de jouir largement de la vue sur les alentours.
On entre au musée de la Boverie du côté du parc à l’anglaise – après la visite, nous le quitterons par là et découvrirons la manière sans doute la plus agréable d’accéder au site : descendre à pied de la gare des Guillemins (700 m), traverser l’esplanade et emprunter la nouvelle passerelle « la belle Liégeoise » qui mène au parc de la Boverie. On peut aussi y accéder avec la navette fluviale qui le relie au Grand Curtius.
« En plein air », en collaboration avec le musée du Louvre, montre à travers une centaine de peintures, la plupart de musées français et étrangers, que la nature n’a pas attendu l’impressionnisme pour inspirer les peintres. Au XVIIIe siècle, certains travaillaient déjà « sur le motif », comme Alexandre-François Desportes. Au fil du temps, les couleurs se feront plus claires, plus vibrantes. J’aurais voulu vous montrer une belle Vue de Villerville en Calvados (musée de Liège) où Daubigny annonce l’impressionnisme, et Cernay, avril en fleurs d’Emmanuel Lansyer, mais ces peintures ne sont pas visibles sur la Toile.
Avant de découvrir le parcours chronologique en sept thèmes, j’attire votre attention sur le « Transparent du paysage des quatre saisons » de Carmontelle qui défile en fac-similé à l’entrée de l’exposition. Je n’ai regardé que les « Scènes nocturnes » de ce long rouleau « animé » de 42 mètres, par ignorance. Le catalogue où il est reproduit (en petit) indique que l’original (aquarelle, gouache et encre de Chine sur 119 feuilles de papier doublé de soie) est conservé au musée de Sceaux.
Nicolas-Jean-Baptiste Raguenet (1715-1793), La joute des mariniers entre le pont Notre-Dame et le pont au Change, 1751
(Paris, Musée Carnavalet)
« Leçon d’amour dans un parc » : les sujets historiques et religieux font place, dans la peinture du XVIIIe siècle, à des sujets plus légers, plus proches de la nature et du quotidien, en tout cas pour les gens aisés. Dans Ascension d’une montgolfière à Aranjuez (1784), un prêt du Prado dont un détail est à l’affiche de l’exposition, Antonio Carnicero Mancio montre le public aristocratique rassemblé dans le jardin royal pour l’événement, mais aussi des bourgeois, des enfants, une marchande. Le musée des Beaux-Arts de Liège montre ici un des chefs-d’œuvre de ses collections : Promenade du dimanche au Bois de Boulogne (1899), signé Henri Evenepoel – on verra plus loin d’autres promeneurs sur l’esplanade des Invalides qu’il a peinte d’en haut.
Henri Evenepoel, Promenade du dimanche au Bois de Boulogne, 1899 (Liège, Musée des Beaux-Arts)
Les voyages des Anglais et des personnes fortunées en Europe et en Italie au XVIIIe siècle assurent le succès des « Vedute », ces panoramas de villes célèbres ou de paysages fameux à ramener chez soi, comme Vue du port de Toulon par Vernet. Une vue parisienne peinte par Raguenet en 1751 permet de revoir les habitations d’alors sur les ponts de la Cité, un Paris disparu difficile à imaginer aujourd’hui. Dans la même salle, un Monet prêté par le musée de Dallas montre avec une fraîcheur d’esquisse le Pont-Neuf un siècle plus tard, non loin du Louvre au printemps par Pissarro.
Claude Monet, Le Pont-Neuf, 1871 (Etats-Unis, Dallas Museum of Art)
Aux promenades en ville, beaucoup préfèrent les bords de l’eau, les guinguettes au bord d’une rivière sont très populaires et c’est aussi un sujet de prédilection pour les peintres. Amusants, les costumes des dames dans Le chalet du Bois de Boulogne de Jean Béraud, « un de ces petits maîtres à grand succès » (catalogue). Dans Dimanche à Bougival de Félicien Rops, Léontine et Aurélie Duluc sont plus déshabillées. Max Liebermann peint les jeux de lumière et l’animation en terrasse au restaurant « De Oude Vink » à Leyde.
Félicien Rops, Dimanche à Bougival (Léontine et Aurélie Duluc), 1876 (Namur, Musée provincial Félicien Rops)
Dans la vaste salle vitrée, deux espaces cubiques accueillent quelques toiles pour illustrer « les jeux » en plein air et « chambre avec vue » (thème un peu usurpé). Un coup de cœur pour L’enfant dans la mare de Maurice Denis, une petite toile presque carrée prêtée par le musée de Zurich (comme le Liebermann).
Max Liebermann, Le restaurant « De Oude vink » à Leyde, 1905 (Zurich, Kunsthaus)
La dernière salle est consacrée aux vacances à la mer avec plusieurs scènes de plage de Boudin, des toiles du XIXe et du XXe dont un superbe Bonnard, Conversation à Arcachon ou Jeunes filles à Arcachon. D’autres artistes connus sont annoncés (Cézanne, Chagall, Dufy, Léger, Matisse, Picasso…), mais ne vous attendez pas à une succession de chefs-d’œuvre, la qualité est inégale. On peut voir dans un des petits films de Louis Lumière projetés à mi-parcours des enfants se jeter à l’eau du haut d’un ponton (1895).
Pierre Bonnard, Conversation à Arcachon, Jeunes filles à Arcachon, 1926-1930 (Paris, Musée du Petit Palais)
Les toiles choisies rendent compte de l’évolution de la peinture européenne du XVIIIe au XXe siècle : couleurs, lumière, mise en page, touche, la façon de représenter la nature et les loisirs n’a cessé de se transformer. « En plein air », première exposition de la Boverie, peut se visiter jusqu’au 15 août. N’hésitez pas à prendre un ticket combiné pour découvrir aussi les collections permanentes, elles en valent la peine.
Commentaires
Un tout grand merci pour ce beau billet, très documenté si on clique partout, qui donne envie d'habiter plus près! Magnifique ce tableau de Bonnard que je n'avais jamais vu.
Je ne connaissais pas cette Belle Liégeoise, si élégante!
En parcourant en diagonale le texte de Tania suivant la technique de la lecture rapide, Les cinq œuvres reproduites m’ont amené à me poser des questions quant à l’évolution de l’art qui en est arrivé à des extrêmes qui vont dans tous les sens. ---
Dans ce fatras où chacun va de son côté, il y a de tout, du génial au farfelu qu’on ne peut appeler de l’art, si ce n’est de la fantaisie graphique, souvent même en dehors de la raison, n’importe quoi sur une toile ou support et ça se vend cher à des investisseurs en art, non pas pour sa valeur artistique mais pour sa valeur de placement. --- et les gogos vaniteux en font leur gorge chaude ou les journalistes à l’affut de ce qui « marche ». ---
Ces réflexions me sont venues en regardant les œuvres retenues par Tania et qui représentent bien les prémices d’un mouvement de libération du travail méticuleux de vision de la réalité avec choix du moment, de la lumière, de l’endroit, du découpage et de l’originalité qui fait la valeur des grands maîtres figuratifs qui continuent à « besogner avec » talent. --- Nous possédons un tableau d’une belle-sœur, premier prix d’une exposition parisienne de renom (une mare avec petits poissons dans un coin perdu de la forêt de Soigne, qui est d'une beauté et luminosité rare ---
merci pour cette belle promenade tania - je connais très mal liège et ses alentours
@ Colo : Avec plaisir ! Oui, cette passerelle est élégante et agréable à emprunter, elle mérite bien son nom. Merci, Colo, bonne soirée.
@ Doulidelle : Est-ce l'art contemporain que tu vises ? Il y en a très peu à cette exposition-ci où les peintures réalistes sont nombreuses.
D'autres photos et illustrations ici :
http://mu-inthecity.com/2016/05/boverie-louvre-prennent-lair/
@ Niki : Un bon prétexte pour y aller cet été ? Il vaut mieux prendre un plan de Liège avec soi, je n'en ai pas trouvé au musée même.
Merci pour cette visite ! très beau et très intéressant !
Vous avez du passer là un bon moment. Et cette toile de Bonnard, elle me fait rêver....
Ce que j’ai voulu souligner c’est l’engouement actuel de nombreux soi-disant « connaisseurs » qui veulent étaler leur soi-disant « culture » en tenant des discours alambiqués et suffisants sur ce qui n’est plus de l’art mais de l’artisanat d’atelier ou même de farceurs, des lignes folles, des découpages mis n’importe comment, des sculptures de formes saugrenues sur endroits publics, enfin des « trucs » que les revues spécialisées n’hésitent pas produire avec commentaires savants. --- C’est contre ça que je m’élève avec bon sens contre le laxisme général de notre époque qui néglige l’essentiel par facilité. ---
Tania indique un lien qui permet de voir quelques œuvres d’une exposition qui vont bien dans le sens de ce que j’ai voulu avancer et qui mérite admiration. --- C’est rassurant de constater que certains organismes publics et officiels ne tombent pas dans ce travers du non-art ---
Quel billet agréable, nature et peinture en un seul lieu c'est assez rare pour être remarqué'
@ Maggie : Merci, Maggie.
@ Bonheur du jour : Oui, les musées sont aussi d'excellents antidotes à la météo tristounette (pas moyen de s'installer sur la terrasse ces jours-ci) et ce Bonnard gorgé de soleil est splendide. Bon week-end.
@ Doulidelle : Sur cette polémique récurrente - qu'est-ce qui est de l'art et qu'est-ce qui n'en est pas - et singulièrement à notre époque où les audaces et les provocations semblent sans limite, cet article du blog "Philosophia" rencontre, il me semble, ton questionnement : http://philosophia.over-blog.com/article-qu-est-ce-que-l-art-92580818.html
@ Dominique : Une proximité bienvenue, en effet, que j'ai beaucoup appréciée - j'aime allier visite et promenade.
Certains reprochent à la muséographie nouvelle de tirer trop peu parti de son bel environnement. C'est peut-être vrai en ce qui concerne la nouvelle salle vitrée, mais dans les salles des collections permanentes, il y a de belles vues sur la roseraie.
encore un bel endroit à visiter!
Il n'en manque pas, et celui-ci est très accessible en train.
Ce musée est riche et j'aime ce parc, ce qui me fait penser que je ne connais pas du tout cette ville! Encore une lacune à combler!
Oui, Liège vaut le voyage, et ce musée la visite, Claudialucia. Bonne semaine.
Un endroit qui, à mon soulagement, s'est vu redevenir le bel endroit vert et d'art (les permanentes compris vous le soulignez)que nous aimons à Liège. J'espère que vous avez trouvé l'endroit agréable, c'est un de nos préférés lorsque les premiers soleils se manifestent.
Je lis aussi avec intérêt l'avis de Doulidelle.
Se parquer à Liège ? Prenez le train...
Merci pour le compte-rendu complet.
Oui, le parc de la Boverie est un très bel endroit, très agréable, je comprends qu'il vous attire. J'ai pensé à vous sur la nouvelle passerelle, en me demandant si vous l'empruntiez régulièrement - c'est une réussite. Vous avez raison pour le train. Les collections permanentes méritent aussi un billet, je le ferai peut-être un jour bien que j'aie pris trop peu de notes.
Quelle promenade agréable dans ce parc et quelle belle exposition!
Merci pour le choix des reproductions. Certaines me font rêver aussi.
Merci à toi, Maïté, de venir animer ce blog dans l'ambiance un peu assoupie des vacances d'été ;-)