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Un conte cruel

Dès la première rencontre entre Katya Spivak, seize ans, et Marcus Kidder, soixante-huit ans, devant une boutique de luxe à Bayheard Harbor (New-Jersey), Joyce Carol Oates suggère que Le Mystérieux Mr Kidder (2009, traduit de l’anglais par Claude Seban) aura tout l’air d’un conte de fées. 

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Le titre original, A Fair Maiden, met l’accent sur la jeune fille, engagée comme nounou pour l’été par les Engelhardt. Elle promène un bébé en landau et une petite fille de trois ans, Tricia, quand Marcus Kidder la surprend devant une vitrine de lingerie : « Et que choisiriez-vous, s’il vous était accordé un souhait ? » Katya se retourne sur un vieux monsieur distingué, des cheveux blancs et des yeux « d’un bleu de glace » : impossible de désigner l’ensemble en dentelle rouge qu’elle admirait, aussi, comme il insiste, montre-t-elle une chemise de nuit en mousseline blanche – « Ah ! Votre goût est impeccable. Mais ne regardiez-vous pas autre chose ? » ose Mr Kidder.

Dans cet échange entre le « résident d’été de Bayheard Harbor depuis de longues années » et la jeune fille très consciente de « ce que pouvait promettre une voix masculine cordiale parlant de souhait », il apparaît vite que, même si les employeurs de Katya sont membres du Yacht Club, Mr Kidder n’a que du mépris pour les nouveaux venus « qui se multiplient comme des mouches à miel sur la côte du Jersey. »

La richesse, l’amabilité et l’élégance font beaucoup d’effet à cette fille originaire d’une petite ville « déshéritée », mais lorsque son admirateur lui laisse sa carte avec son adresse et son numéro de téléphone en l’invitant pour le thé le lendemain, elle répond « peut-être » et intérieurement « pas question ». Ensuite elle se souviendra de son père, « un joueur maladif », parti il y a longtemps, qui disait toujours : « Aux dés de décider ». Katya sait qu’un homme âgé « qui avait un faible pour elle » peut être un « gogo » à exploiter. Elle le reverra, mais décide de le faire attendre un peu.

C’est donc la semaine suivante qu’elle emmène les petits Engelhardt dans la partie « historique » de la ville, à la découverte d’un quartier de résidences anciennes et spacieuses où même l’air porte « une odeur d’argent particulière ». La « vieille maison digne » à bardeaux de Mr Kidder ressemble à « l’illustration d’un conte pour enfants » et c’est comme le début d’une aventure pour  Katya d’appuyer sur la sonnette et de surprendre à son tour son occupant, nettement moins à son avantage en short et chemise froissée, les pieds nus dans ses sandales.

Jeune fille pauvre et vieil homme riche, le schéma paraît simple. Mais les intentions le sont moins. Ils sont deux à s’observer, à jouer leur rôle, à soigner les apparences et à écouter les sous-entendus. La petite Tricia reçoit ce jour-là un livre d’images, « L’anniversaire de Ballot Lapin » – Katya découvrira plus tard que Kidder en est l’auteur. Et au moment du départ  apparaît le cadeau qu’il lui destine, une boîte rose contenant un « caraco de dentelle rouge sexy et la culotte assortie » qu’elle refuse, choquée et furieuse.

Le mystérieux Mr Kidder est un conte cruel, l’histoire d’un été, avec sa magie luxueuse et ses maléfices. Joyce Carol Oates sait installer une atmosphère trouble autour de ses personnages : tous deux ont leurs forces et leurs faiblesses. Marcus a pour lui l’expérience et la richesse, mais il est vieux et très seul. Katya n’a jamais été traitée aussi gentiment dans sa désastreuse famille, mais elle y a pris « de mauvaises habitudes ». 

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Le mystère annoncé dans le titre tient jusqu’au bout du roman, qui ne se résume pas à un sordide piège sexuel, même si le sexe est un thème récurrent dans l’œuvre de Joyce Carol Oates, qui sait observer les attentes et les névroses de ses contemporains. La romancière joue ici au chat et à la souris, et il est bien difficile de prévoir qui, dans ce suspense psychologique, va gagner ou perdre la partie.

Commentaires

  • La description de ce roman me fait penser à une autre oeuvre de Joyce Carol Oates "La fille tatouée" paru en 2006 où haine et désirs se côtoient, où pauvreté et richesse engendrent les mêmes névroses. Même atmosphère angoissante, glauque et troublante. Joyce Carol Oates a apparemment le goût pour la peinture au vitriol d'une Amérique où le rêve peut côtoyer le cauchemar.
    Je note , je note..pour mes vieux jours :) Très bon week-end Tania

  • C'est une auteure qui me reste hermétique, je n'entre pas dans son univers. Peut-être un jour ..

  • ça donne envie de pénétrer dans ce monde, vous en parlez si bien que je n'ai pas pu m'empêcher de lire votre billet jusqu'au bout. Toute relation humaine serait-elle un combat ?

  • @ Gérard : Je n'ai pas lu ce roman-là, il faut dire que Carol Oates est une romancière prolifique, de quoi bien occuper nos vieux jours, comme vous dites. Belle journée, Gérard.

    @ Niki : Bonne lecture, Niki.

    @ Dominique : Le roman n'est pas très long, 200 pages sur papier, il est du genre qui ne se lâche pas facilement.

    @ Aifelle : Cela nous arrive avec certains écrivains, à toi de voir. Celui-ci me semble particulièrement accessible.

    @ Saravati : Je n'oublie pas votre remarque et je m'en suis tenue à la situation initiale. Ah, sur les relations, sur les rapports de force, il y aurait tant à dire...

  • Merci Tania, d'être l'aiguillon qui donne envie de prendre son élan :-) Avec vos références constantes, ma pile s'allonge et mes nuits s'écourtent...

  • Mis à part "La foi d'un écrivain", très beau livre, je ne la connais pas bien dans ses romans. En lisant le billet, on découvre des thèmes habituels chers à cette habituée des tourments psychologiques. Un nom incontournable de la littérature américaine que je me promets de lire un jour... Celui-ci, why not a thriller ?

  • Merci de me rappeler ce titre, Christw, il fait partie des essais personnels de JCA que je lirai certainement. Oui, ce roman-ci peut être considéré comme un thriller et il n'est pas long, ce qui n'est pas pour vous déplaire, je crois. Bon week-end !

  • Souvent primée aux Etats-Unis, citée pour le Nobel de littérature, prix Femina étranger, Joyce Carol Oates est un grand nom de la littérature américaine. Bon week-end, entre les gouttes.

  • Nous avons eu la même perception de ce roman que je viens de chroniquer... Bonne fin de soirée !

  • Merci, Margotte. Je viens de lire cette chronique sur "Le bruit des pages" et nos impressions se rejoignent, en effet. Bonne journée.

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