« Sans cette clé fondamentale, on ne saurait avoir accès à la civilisation chinoise », écrit Pierre Ryckmans dans son introduction aux Entretiens de Confucius (551-479 avant J.-C.), traduits et annotés par lui. Il s’agit en fait d’une compilation posthume, « des bribes, voire des miettes, de la conversation du Maître Confucius (…), sauvegardées un peu par hasard, au petit bonheur la chance par des disciples directs, ou plus probablement indirects. » (Anne Cheng, « Si c’était à refaire... ou : de la difficulté de traduire ce que Confucius n’a pas dit ».)
Confucius, gouache sur papier (The Granger Collection, New York), vers 1770
Avec une concision rare, ces Entretiens proposent, en vingt chapitres, un idéal nouveau à son époque, une voie morale, Confucius « substituant à l’ancienne notion d’élite héréditaire celle d’une élite qui serait déterminée par la vertu, le mérite, les compétences, le talent, indépendamment de la naissance et de la fortune. » (Ryckmans)
« Ce n’est pas un malheur d’être méconnu des hommes, mais c’est un malheur de les méconnaître. » (I, 16) L’humanisme de Confucius apparaît d’emblée dans son éloge de l’étude, de l’amitié, de la dignité – qui implique de respecter ses parents et d’honorer les morts – et son incitation à un mode de vie sobre et harmonieux.
Analectes de Confucius, couverture de 1533
A notre époque souvent en perte de repères, certaines réflexions font mouche, sur l’art d’enseigner, sur le savoir (comment ne pas penser à la crise que traverse l’enseignement ?), sur les qualités nécessaires pour gouverner : « Promouvez les hommes intègres et placez-les au-dessus des gens retors – le peuple vous soutiendra. Mais si vous placez les gens retors au-dessus des hommes intègres, le peuple cessera de vous soutenir. » (II, 19)
Pour devenir un « homme de qualité » selon Confucius, il faut le plus souvent emprunter la voie du milieu. « Quand le naturel l’emporte sur la culture, cela donne un sauvage ; quand la culture l’emporte sur le naturel, cela donne un pédant. L’exact équilibre du naturel et de la culture produit l’honnête homme. » (VI, 18)
Le sel des commentaires du Maître sur des personnalités de son temps, ses allusions à la situation sociale et politique en Chine, même éclairés par les notes du traducteur, échappent au lecteur peu formé à l’histoire de la civilisation chinoise. Confucius n’est pourtant pas « une sorte de pédant formaliste et vétilleux », comme on pourrait l’imaginer d’après certains de ses jugements sur la vie de cour, note Pierre Ryckmans, c’est « un homme pour qui les valeurs de contemplation priment sur toutes les autres ».
Quasi chaque chapitre offre ainsi l’une ou l’autre réflexion de portée universelle. Confucius balise la voie d’un développement personnel. A Fan Chi qui l’interroge sur la vertu suprême, il répond : « Etre digne dans la vie privée ; diligent dans la vie publique ; loyal dans les relations humaines. Ne pas se départir de cette attitude, même parmi les Barbares. » (XIII, 19) Un peu plus loin : « L’honnête homme cultive l’harmonie, mais pas la conformité. L’homme de peu cultive la conformité, mais pas l’harmonie. » (XIII, 23)
Manuscrit des Entretiens de Confucius découvert à Dunhuang
La dernière section des Entretiens, « fragments archaïques mal raccordés » (Ryckmans), revient sur l’art de gouverner, qui suppose selon Confucius de cultiver « cinq trésors » (qualités humaines) et d’éliminer « quatre fléaux » : « la Terreur qui cultive l’ignorance et pratique le massacre. La Tyrannie qui exige des récoltes sans avoir semé. Le Pillage qui se perpètre à coups d’ordres incohérents. La Bureaucratie qui dénie à chacun son dû. »
Observations, réponses à ses disciples, questions, ces paroles d’un sage qui a vécu si loin de nous, il y a si longtemps, continuent à éclairer. « Zigong demanda : « Y a-t-il un seul mot qui puisse guider l’action d’une vie entière ? » Le Maître dit : « Ne serait-ce pas considération : ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. » (XV, 24)
Commentaires
Quelle belle idée de lire Confusius dont on ne connait que quelques maximes éparses, sans réelle cohérence. Ce que tu en dis nous parle, est intemporel, et je me demandais, tu me connais, s'il y avait quelque chose sur les femmes?
Bonne fin de journée la belle.
Article intéressant, comme d'habitude. Quelle richesse dans la blogosphère! Bonne semaine et à bientôt Tania.
Confucius ne remet jamais en question l'infériorité des femmes dans la société chinoise de son temps. Il y a des passages méprisants à leur égard, je ne les ai pas notés, mais tu seras peut-être intéressée par cet article : http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2008.bui_tp&part=139896
Merci, je vais voir ce que tu nous annonces cette semaine.
Ton billet est très éclairant sur les aspects évoqués. J'ai suivi le lien que tu indiques à Colo, évidemment, c'est un aspect de l'homme nettement moins intéressant, mais ne sommes nous pas toujours le produit de notre époque ?
En effet. Je ne sais pas grand-chose de l'antiquité en Chine, mais je retiens de ces Entretiens une grande sagesse qui traverse les siècles et nous parle encore.
Alors que je suis très sensible à la littérature chinoise je n'aime pas beaucoup Confucius que je trouve très figé, très raide
je lui préfère de loin Zuang Zi plus jovial et complice
je ne connais effectivement confucius que par certaines citations, mais c'est tout - encore un livre donc à ajouter à cette horrible pal exponentielle, dont je ne vois pas la fin ;)
De belles paroles. Dommage que les femmes restent "évidemment au bas de l'échelle".
De belles paroles. Dommage que les femmes restent "évidemment au bas de l'échelle".
@ Dominique : La raideur dont tu parles apparaît surtout dans ses propos sur l'ordre social ou politique. Quant à Zuang Zi, je ne le connais pas, je vais voir sur ton blog si tu as déjà parlé de lui.
P.S. C'est l'autre nom de Tchouang-tseu, je l'ignorais, tu me l'apprends.
@ Niki : C'est plutôt un livre à ouvrir de temps à autre, on y trouve des redites et des variantes.
@ Danièle : Une autre belle parole de Confucius : "Le vrai savoir, c'est de reconnaître qu'on sait ce qu'on sait, et qu'on ne sait pas ce qu'on ne sait pas."
« Promouvez les hommes intègres et placez-les au-dessus des gens retors – le peuple vous soutiendra. Mais si vous placez les gens retors au-dessus des hommes intègres, le peuple cessera de vous soutenir. » (II, 19)
Et pourtant en France, en 2014, des hommes ont été réélus par le "peuple" même après avoir prononcé des discours "retors" ou été condamnés pour avoir piqué dans la caisse , pour conflits d'intérêts, etc....Preuve s'il en fallait encore, que le "peuple" dont parle Confucius n'est plus ce qu'il était .Et je ne parle même pas des fameux "sondages" d'opinion qui ont quelquefois de quoi faire frémir...
Nous vivons une époque formidable.
Très bonne semaine Tania.
Dans moins d'un mois, ce seront les élections en Belgique, et il nous est aussi de plus en plus difficile, en effet, de reconnaître les hommes et les femmes intègres à qui donner notre voix - et sans doute aussi aux élus de composer avec les autres pour honorer leurs engagements. Bonne après-midi, Gérard, merci pour votre passage.