Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

A la Sollers

Portraits de femmes, le dernier opus de Philippe Sollers, je l’ai ouvert d’abord pour Dominique Rolin – il parle d’elle magnifiquement. Les articles de Sollers font plus souvent mon bonheur de lectrice que ses écrits de fiction, que donnerait-il en portraitiste ? 

sollers,portraits de femmes,récit,portraits,littérature française,dominique rolin,julia kristeva,amour,écriture,culture
Femme écoutant un satyre (sculpteur non identifié) 

Eh bien, c’est comme en peinture, on reconnaît le sujet, mais autant et parfois davantage la manière de l’artiste. Sous une citation de Machiavel à propos de l’amour, Portraits de femmes commence ainsi : « On ne naît pas homme, on le devient. » Des portraits donc, et autant d’autoportraits en homme qui aime les femmes. « Supposons un réfractaire de naissance » : voilà sa famille, son enfance, « une mère, des sœurs, des tantes ». Un modèle : « Vous avez un grand maître pour jouer sur le théâtre du monde : Molière. L’amour est médecin, vous serez médecin dans cette région agitée et sombre. »

Sa mère, la plus jeune de trois sœurs, lui a donné beaucoup, « en positif comme en négatif ». Souvent malade, elle aime son petit dernier, un garçon « enfin » après deux filles. Elle n’est plus. « J’ai vécu ce charme discret de la bourgeoisie, qui a été emporté par le raz-de-marée du temps. » Sa sœur aînée, Laure, règne et le surveille « l’air de rien ». Sa mère préférait Proust, Laure lit Dostoïevski. Lors de ses maladies infantiles, c’était elle qu’il demandait à son chevet, pour la douceur avec laquelle elle lui caressait le bras – ça lui faisait un bien fou (« Voilà de l’érotisme torride ou je ne connais pas la musique. »)

Eugenia, son premier coup de foudre (elle a trente ans, lui quinze), vient du pays basque espagnol, c’est une anarchiste. « Brune, chaleureuse, ironique », elle fait le ménage « en attendant mieux ». Lui s’initie au « canto jondo », le chant profond, aux gestes précis. Il lui dédiera son premier roman. 

sollers,portraits de femmes,récit,portraits,littérature française,dominique rolin,julia kristeva,amour,écriture,culture
Photo Paris Match n° 2653, 30 mars 2000

Source : http://sollers.unblog.fr/

Le succès d’Une curieuse solitude lui vaut une rencontre avec une femme du jury Femina : « Stupeur : c’est Dominique, la plus belle femme que j’aie jamais rencontrée (photo), mélodieuse et rieuse. Coup de foudre immédiat de ma part. » (Pourquoi ces parenthèses ? Le livre ne contient pas de photos, excepté celle de l’auteur en bandeau). Dominique Rolin vit près de Paris, elle a 45 ans, lui 22. « Aucun doute : une déesse à séduire. » Son rire cascadant est irrésistible. Elle vient de perdre son second mari, dessinateur et sculpteur (Le lit raconte cette fin, un très beau récit).

Dominique aime les chiens. Caramel, son boxer, est jaloux. Entre eux deux, « tout de suite un accord de fond : la musique. Silence, écriture, amour, lecture, écriture, musique. » Elle voit mieux la peinture que lui, il lui fait entendre « le dessous des notes ». Voyages, partages, et puis « le bel appartement de Dominique » à Paris avec sa lumière « hollandaise » où ils aiment dîner en tête à tête et puis marcher, les soirs d’été, au bord de la Seine. Deux nuits par semaine. Pendant plus de trente ans, incognito, ils sont ensemble à Venise au printemps et à l’automne. Dans ses livres, elle l’appelle Jim. En 2000, Bernard Pivot le révèle en les invitant ensemble dans son émission.

Philippe Sollers a sa conception de l’amour, trouve « lumineuse la distinction sartrienne entre amours nécessaires et amours contingentes ». Il a accompagné Dominique dans la maladie, elle « est restée très belle jusqu’à la fin de sa vie. » Il parle de ses livres, les cite. « Domi, en musique, donne l’air suivant : DO MI LA DO RE / LA SI FA SI LA MI ».

Autre portrait : Julia (Kristeva). On remonte le temps. Arrivée de Sofia à vingt-cinq ans (cinq de moins que lui), elle vient l’interroger à Tel Quel, il l’invite à La Coupole – « on ne s’est plus quittés depuis ». Ils se marient. Ils s’aiment. Elle devient la reine de sa maison dans l’île de Ré. Lectures, études, « Julia travaille beaucoup, je n’ai jamais vu quelqu’un travailler autant. » Sollers aime son essai « Le langage, cet inconnu », signé Julia Joyaux (sous le patronyme de Joyaux (Sollers), une introduction à la linguistique que je garde dans ma bibliothèque). Ils ont un fils, David. « Les femmes et les enfants, grand chapitre. Que vient faire un homme dans cette dimension ? J’ai trouvé : de la ponctuation. »

Vers le milieu du livre, Sollers se fait plus général : « L’enfance est un royaume dont les femmes ont la clé. » Il parle alors de ses romans – Femmes (1983), bien sûr – et de leur réception. Des changements dans les rapports entre les sexes. De la régression profonde en ce temps de crise, « sous des airs de libération ». D’autres prénoms féminins, d’autres lieux, d’autres temps. Quelques sentences sur ses contemporains.

Lesbiennes, homosexuels, prostituées, certains l’ennuient, d’autres pas. Il y a aussi les femmes qu’il aime en rêve, les femmes peintres et « à vrai dire, toutes les femmes des anciens peintres ». Actrices de cinéma, musiciennes, Cecilia Bartoli, of course. Et voilà Sollers au temps de Voltaire, côté femmes, ou bien pourfendant « la sorcière Duras ». Portraits de femmes tourne au monologue. Un coup par-ci, un coup par-là. L’actualité sexuelle, politique, littéraire, et des femmes historiques. Cléopâtre – celle de Shakespeare (Antoine et Cléopâtre), explications de texte.

« S’il faut recommander Portraits de femmes à une catégorie de lecteurs, ce sera aux jeunes hommes. Car ce livre est aussi un guide pratique de l’amour, de son usage, de ses raisonnables folies, de ses dangers, de ses bonheurs. Tous les conseils de Philippe Sollers. L’amour ou la liberté ? Non, l’amour et la liberté. » (Bernard Pivot) Je ne serai pas si tendre avec ce livre qui se délite en chemin, ni si sévère qu’Alice Ferney : « une collection de figures féminines, dans un style suffisant et ennuyeux. » Voyez plutôt la critique du Monde : « D'une page, voire d'une ligne à l'autre, le plaisir ou l’agacement l'emporte, constante oscillation qui sied au rythme soutenu du texte, comme à la matière disparate qu'il charrie. » (Florent Georgesco)

Commentaires

  • j'ai beaucoup aimé lire Sollers dans "Mystérieux Mozart" et dans "La guerre du goût" mais avec le livre dont tu parles ici, je ressens un certain malaise... ça me fait penser à du déballage amoureux dont je me demande si les principales intéressées seraient satisfaites...

  • Oh, ce n'est pas du tout du déballage, Sollers parle d'elles avec beaucoup de respect et de tact. C'est cette première partie, qui correspond le mieux au titre, que j'ai préférée. ("Eloge de l'infini" est une belle suite à "La guerre du goût".)

  • Diable d'auteur, j'aime beaucoup ses essais comme la Guerre du goût ou ses livres sur Casanova, Mozart ou Vivant Denon mais je l'aime moins dans la posture de l'homme amoureux

  • Il y a une dizaine d'années, il a tenu une conférence dans un luxueux hôtel près de la gare du midi (j'avais adoré "Passion fixe").
    Il y parlait déjà des femmes (conquises ou non) de manière anonyme et non sans respect certes, mais tout de même... "à la Sollers" comme tu dis. Sous la brume de ses clopes qu'il tenait dans sa main baguée, j'ai gardé de lui une image de quelqu'un de très suffisant, surtout par rapport à ces dames.
    J'aime assez ta femme écoutant un satyre ;-)

  • Son image médiatique est "posture" et il en joue. J'ai pour ma part l'impression que le meilleur de Sollers est réservé à ses intimes - sans doute parce qu'il est le Jim de Dominique Rolin.

  • Je l'ai toujours trouvé imbu de sa personne , ses livres m'ont toujours ennuyé et je n'en ai terminé aucun. Mais je me suis définitivement détourné de lui lorsqu'il a déclaré qu'il "fallait comprendre DSK" en décrivant le côté "romanesque" du personnage!
    Excusez-moi Tania, je suis plutôt dans la lignée d'Alice Ferney.
    Mais ça reste bien évidemment un écrivain incontournable et très "people".

  • Ah, si quelqu'un devait commenter cette illustration, ce serait toi - merci. Dans les vidéos que j'ai mises en lien, on voit cette attitude condescendante, qu'il prend aussi par rapport aux hommes, dans les débats, me semble-t-il. Bonne journée, MH.

  • Je vous comprends, Gérard. L'écrivain a de l'esprit, du style, une formidable érudition, l'homme... Dans un article de Libé (1996), ces paroles de Kristeva : « Je dis parfois à Sollers qu'il n'a pas besoin de faire tous ces passages à la télé. J'aurais préféré qu'il soit plus dans son oeuvre que dans ce jeu-là. Il me répond qu'on ne peut pas être pur, et qu'il faut être là pour le dire. » Lui : « Je suis aussi un auteur comique. Je passe par les voies du spectacle. Il faut une certaine "schiz."»
    http://www.liberation.fr/portrait/0101188936-la-vie-a-deux-julia-kristeva-et-philippe-sollers-tete-a-tete

  • Le dernier livre de Sollers que j'ai lu est "Le dictionnaire amoureux de Venise". Il y est beaucoup question de Dominique Rolin, puisqu'ils ont honoré ce rituel de s'y installer régulièrement pour y écrire, ensemble. On ne peut lire Sollers sans osciller entre ravissement (sa culture, sa joyeuse liberté de ton) et agacement (suffisance, jugements péremptoires, mépris sous-jacent pour tous ceux qui ne sont pas des inconditionnels de sa prose et vivent des vies moins brillantes que celle de ce germanopratin). Je n'achèterai pas cet opus, mais s'il me tombe sous la main, je sais que j'aurais envie de le feuilleter, à tout le moins.

  • Ce Dictionnaire amoureux vous a-t-il transportée, Zoë ? Y avez-vous retrouvé vos impressions de Venise ? Vous décrivez très bien l'auteur et ce titre, je l'ai vu sur une table de la bibliothèque, vous connaissez la suite.

  • C'est sans conteste un vrai amoureux de Venise. Oui, je m'y suis sentie en familiarité, d'autant qu'il parle de Titien, Vivaldi et de tous les illustres qui ont œuvré dans la Sérenissime ou seulement cédé à son charme avec un trait acide vers Régis Debray qui n'a rien compris à Venise. Il cite une de ses phrases et conclut "rideau".

  • Merci pour votre réponse, Zoë. Sans conteste une lecture pour préparer ou accompagner un voyage à Venise, c'est noté.

  • J'ai toujours été rebuté par Philippe Sollers, surtout quand il écrit sur les femmes. Il me rappelle trop de mauvais souvenirs, toutes ces attitudes ou ces paroles qui agacent ou pire blessent. Donc pas pour moi Tania !

  • Nous avons tous & toutes des blocages par rapport à certains auteurs. A bientôt pour une invitation qui te plaira davantage, j'espère. Bonne soirée.

  • Mes expériences antérieures (loin) de Sollers n'ont jamais été des coups de cœur, pire, je le trouvais quasi illisible. Avec la maturité, j'aurai sans doute une autre lecture, encore que votre billet mitigé ne me pousse pas à franchir le pas avec celui-ci.

  • Bonjour, Christw. Vous avez la possibilité, pour le meilleur selon moi, de feuilleter en ligne "La Guerre du goût" ("L'écrivain et la vie" ou sur la peinture, la musique, il y a le choix).
    http://flipbook.cantook.net/?d=http://www.edenlivres.fr/flipbook/publications/6225.js&oid=42&c=&m=&l=&r=

  • Je suis très oscillante au sujet de Sollers dont la préciosité et la suffisance m'agacent, mais c'est un écrivain comme Mazneff qui m'irrite tout autant.

  • Pour vous, Armelle, ces lignes tirées de "Proust et l'expérience intérieure" : "On le prend pour un chroniqueur, alors qu'il compose une formidable orchestration des apparences et de leur envers. Là où la plupart de ses contemporains vivent sur une actualité se déroulant sur une ou deux lignes, avec un passé réduit à une monodie, lui perçoit tout sur dix lignes superposées, avec présent-passé polyphonique anticipant sur le futur. " (Philippe Sollers, "La Guerre du Goût")

Écrire un commentaire

Optionnel