Succédant à son père, Marcel Thiry achète et revend des stocks de charbon, de bois, il voyage. « Son existence est à présent ponctuée d’échéances, d’horaires de trains, de chambres d’hôtels, de Bourses du Commerce, de buffets de gares. » (Bernard Delvaille) Nouvelles sources d’inspiration.
« Tu vends des peupliers au marché de Roermonde.
Tu es venu par le moins lyrique des trains.
Bourse aux arbres : la roue ironique du monde
T’arrête ici pour faire un calcul en florins.
Bientôt, wagons, vous nous aurez assez blasés
De notre ancien plaisir de passer les frontières ;
Seuils des pays, nous vous aurons assez usés,
Et les virginités des gares douanières.
Où est le voyageur-Psyché qui adorait
Les Eros endormis des wagons de seconde,
Et les trains plus aventureux que la forêt ? .
Il vend des peupliers au marché de Roermonde. »
(Statue de la Fatigue, 1934)
1935 est pour lui l’année de partage entre la paix et la guerre, à nouveau. La Hollande où il se rend pour ses affaires entre dans son univers poétique et surtout le thème de la fuite du temps, abordé aussi dans des nouvelles, des récits, des proses.
« L’ange A-quoi-bon descend quelquefois dans les villes.
C’est souvent par des soirs changeants, qu’il va pleuvoir,
Que la rose des vents s’effeuille au ciel des villes ;
Alors l’ange A-quoi-bon sort des squares tranquilles.
On passe à travers ses lins simples sans le voir,
On croit que c’est le vent qu’on a sur la figure
Et sur le dos des mains heureuses, mais c’est sa
Robe et son corps immatériel qu’on traversa,
Et l’on en garde un bleu immortel en vêture.
Car l’à-quoi-bon bleuit subtilement la ville,
Un bleuté d’aquarium vient délaver la vie.
Rare et heureux celui qui a traversé l’ange,
Connu son corps de vent caressant comme un linge
Et qui en sort vêtu d’un bleu indifférent.
Rien ne lui est plus rien de l’amour, du courant
Des tramways cristallins, de la mort, des lumières ;
Il passe à travers les passants et les matières
Comme l’ange à travers son passage a passé,
Il laisse un peu de bleu au tramway traversé
Et ses yeux sont lavés d’avoir traversé l’ange
Et sont plus clairs d’avoir été des yeux d’aveugle
Et sauront voir, quand il descendra vers le Fleuve,
L’Ange à-quoi-bon assis sur la berge à l’attendre. »
(Ages, 1935)
Le thème du temps destructeur gagne du terrain – Usine à penser des choses tristes – mais il l’envisage sans trop de mélancolie, serein, lucide. Il se réjouit que sa fille Lise (virologue renommée) accompagne son « grand âge ». Et chaque année, heureusement, ramène les fleurs de saison, jacinthes bleu-Pâques, asters, colchiques. Les arbres, il en fait commerce et il les aime, ils reprennent vie dans des vers libres :
« Tous les arbres que j’ai tués se mettront quelque jour à revenir
Non tels que je les aurai mutés par commerciales métamorphoses,
Non pas distribués comme ils le sont par mes contrats et mes factures
Au large du monde avide et réceptif… »
(Prose des forêts mortes in Trois longs regrets du lis des champs, 1955)
Marcel Thiry, poète, marchand, a aussi été très actif dans la vie publique : membre, puis secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique, membre à vie du Conseil international de la Langue française, cofondateur du Rassemblement wallon, un parti défenseur des francophones pour lequel il a été sénateur, puis sénateur européen. A l’écart des courants et des modes, « Marcel Thiry incarne en quelque sorte l'homme pressé de la poésie belge d'expression française » (Karel Logist )
« Hiver. Les révélés du noir sur vert et gris.
Hiver pour la fine écriture des branchages
Tracée en phrase collective au long des pages
De ciel, par longs dessins épiés incompris,
La diffuse arabesque au-delà des langages,
Dont même celle qui nous attend, notre lot
Final, elle la totale, n’a pas le mot. »
(L’Encore, 1975)
Commentaires
Il y a près de chez moi un "poète-ferrailleur" qui se nomme ainsi et qui récupère tout ce qu'il trouve pour en faire des oeuvres d'art , des marionnettes , des machines aussi inutiles qu'amusantes .
je connais aussi un médecin-brocanteur , un chômeur-écrivain , un dentiste-guitariste , une infirmière-peintre(sse), une commerciale-chanteuse ...
Ce qu'ils disent avec leurs mains ou avec leur voix d'autres l'écrivent .
La poésie est partout et nous permet de nous évader d'un monde qui nous étouffe . Mais elle nous permet aussi de "réparer" toutes les cassures de la vie .
Dans l'histoire, M. Thiry laisse les écrits d'un opposant lucide et déterminé face à la montée du Rexisme et donc face au poison du nazisme se répandant dans notre démocratie tandis que Léopold III était attiré par un régime fort.
Le 15 mai 1937, dans l'Action wallonne, il répétait ses mises en garde :
- "Rexistes larvés sur tous les bancs de la majorité, rexistes, plus ou moins larvés, dans tous les ministères, rexistes honteux à la tête de l'armée, où la thèse de la défense à la frontière n'est plus défendue que par une opposition dédaignée.., Le rexisme, en tant que maladie politique, triomphe. Car le rexisme, c'est essentiellement cet abandon des droits du Parlement à l'intérieur, des alliances française et anglaise à l'extérieur, Que cette politique-là marquée par le discours royal du mois d'octobre, par le voyage royal à Londres du mois d'avril, que cette politique-là soit menée par Rex ou par le roi, il ne faut pas être grand latiniste pour voir que c'est la même chose".
Cet Ange à-quoi-bon qui bleuit les villes!
"La poésie est quelque chose qui marche dans les rues" disait Lorca...et dans les bois.
Gracias amiga, un beso.
J'ai beaucoup aimé ses nouvelles. Pas assez lu ses poèmes.
Je crois qu'il est temps de remédier à la chose.
@ Gérard : "Ce qu'est un homme dans la vie m'importe peu. C'est son envie d'être autre chose qui m'excite." (Georges Perros, "Une vie ordinaire")
@ JEA : Un essai de Thiry, entre autres : "Hitler n'est pas jeune" (1940).
@ Colo : Plus d'un ange se promène dans ses vers... et ailleurs.
@ Lali : Tu y trouveras bien des choses, toi qui aimes explorer les univers poétiques. Merci pour tes commentaires.
Je suis toujours fasciné par ses lieux de découverte. Et, souvent je dis, je ne découvre pas, je me nourris...
Merci.
Souvent les blogs sont de slieux de découvertes. Tel est encore le cas. Et comme je dis quelquefois, je ne découvre pas, je me nourris. En sortant je fais un saut chez Filigranne. Et ce sera votre faute. Tiens.
@ Armando : Merci pour tes passages, Armando. Enchantée que tu puisses te nourrir ici comme moi en découvrant tes superbes photos.