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Sans les hommes

Septième dans les meilleures ventes de livres en Suisse (Le Temps, 23 juillet 2011), Un été sans les hommes (The Summer without Men, 2011, traduit par Christine Le Bœuf)) est le dernier roman de Siri Hustvedt. Les lecteurs de fictions sont surtout des lectrices : Mia, la narratrice, une poétesse américaine, reviendra sur cette réalité et interrogera à d’autres occasions la sous-valorisation du féminin en littérature comme dans la société, encore aujourd’hui. 

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Mais d’abord le sujet : Mia, cinquante-cinq ans, perd le nord quand son époux neurologue, Boris, lui annonce après trente ans de mariage, sans signes prémonitoires, qu’il souhaite prendre une « pause ». La Pause, comme l’appelle Mia, est une collègue française de vingt ans plus jeune qu’elle. Mia en devient folle, se retrouve à l’hôpital en plein délire, éperdue de souffrance. Le Dr S. l’aide à en sortir. Elle décide alors de quitter Brooklyn pour passer l’été dans le Minnesota de son enfance, trouve un arrangement avec l’université et accepte d’animer là-bas, au Cercle artistique local, un atelier de poésie pour des jeunes. 

 

A Bonden, elle loue une petite maison non loin de la résidence où vivent sa mère et ses amies, baptisées par elle « les Cinq Cygnes » pour leur force de caractère et l’autonomie dont elles font encore preuve malgré diverses affections. Sa mère la soutient, sa sœur Béa aussi, qui l’a laissé pleurer dans ses bras à l’hôpital, moins impressionnée par son triste état que sa fille Daisy. 

 

« Il est impossible de deviner l’issue d’une histoire pendant qu’on la vit, elle est informe, procession rudimentaire de mots et de choses et, soyons francs : on ne récupère jamais ce qui fut. La plus grande partie en disparaît. » Mia trouve chez sa mère, dans une anthologie de poésie, le poème de John Clare intitulé « I Am » et se rappelle avoir écrit et réécrit « I am, I am Mia » pour contrer le mépris des autres. Au cours de la deuxième semaine de son séjour, au début de juin, elle se sent prendre un léger tournant. « La conscience est le produit du recul. »

Il y a d’abord les « amusements secrets » d’Abigail, 94 ans, bossue d’ostéoporose et quasi sourde, une artiste de l’aiguille. A Mia, elle montre ce qu’elle n’a jamais confié à personne, ce qui se cache à l’envers des dessins charmants de ses anciens ouvrages : des scènes secrètes, sadiques, étranges, érotiques  « j’étais complètement timbrée à l’époque ». « Que diable savons-nous de qui que ce soit ? » s’interroge Mia.  D’Ashley, la plus enthousiaste de ses élèves, l’assurée, l’amie d’Alice l’introvertie, elle reçoit un courriel où on la considère comme « un ange », et puis, d’un inconnu qui signe « M. Personne » : « Vous êtes Dingue, Cinglée, Siphonnée. » Enfin, Boris lui écrit qu’il souhaite, aussi pour leur fille, rester « en communication ».

Dans la maison voisine, Mia les découvre peu à peu, habitent la petite Flora et le bébé Simon, Lola et Pete, leurs parents, aux disputes fréquentes. Voilà bien des personnalités à observer, des relations qui s’ébauchent, de quoi distraire Mia de ses doutes à propos des « vaines fulminations d’une poétesse rousse isolée face aux ignares et aux initiés et aux faiseurs de culture qui n’ont pas su la reconnaître », même si un prix lui a offert un jour quelque reconnaissance. Les vieilles dames en particulier, sa mère et ses amies, sont des puits de réconfort et de lucidité pour Mia. Sa mère lui explique qu’elle s’attache à toucher ses amis – « dans un endroit comme celui-ci, beaucoup de gens ne sont pas touchés suffisamment. » Leurs propos sur les hommes de leur vie font écho à ses pensées sur son passé avec Boris et les hypothèses sur leur futur.

Lola, un peu plus âgée que sa fille, intéresse Mia avec sa vie morose entre ses jeunes enfants et un mari anxieux et colérique. Elle fabrique des bijoux en fils d’or mais a du mal à les vendre. Elles se racontent l’une à l’autre. Boris informe Mia de son installation provisoire avec sa nouvelle compagne dans leur appartement. Dans un sens, elle s’avoue qu’elle est « mieux sans lui », mais que de bons souvenirs en commun…

Et puis, l’ambiance s’électrise : Mia trouve un mouchoir taché de sang sur son bureau au Cercle artistique, elle finit par questionner M. Personne – « Qui êtes-vous et qu’attendez-vous de moi ? » –, une crise se produit dans la maison voisine et de plus, « quelque chose mijote, oh oui, il y a un frichti de sorcières qui mijote. » D’après sa fille Daisy, Boris n’a pas l’air bien.

Siri Hustvedt tient ses lecteurs en haleine, alterne les épisodes narratifs, les plongées introspectives, les réflexions générales sur la vie en couple, les femmes et les hommes, mais aussi sur les différentes facettes que la vie taille à même notre peau. Graves, drôles, imaginaires, pertinents, combatifs, les « flux de mots » intérieurs de Mia se muent parfois en poèmes, parfois en messages, parfois en apostrophes directes aux lecteurs. De cet été entre femmes, entre filles, les hommes ne sont pas exclus, on l’aura compris, mais Un été sans les hommes, avec acuité et franchise, les laisse à leur place et décrit, à travers des voix de femmes de plusieurs générations, comment celles-ci vivent la vie sans eux et trouvent entre elles, en elles, des ressources vitales.

Commentaires

  • Ton enthousiasme pour ce roman est contagieux! Merci, je ne manquerai pas de le lire.
    J'aime beaucoup la façon dont Siri Hustvedt mène ses récits, navigant entre fiction et réflexions, étrange et réel.
    Le "frichti des sorcières" me fait sourire, m'est familer!!! hihi.
    Belle semaine Tania, un beso.

  • En lisant le titre de ce billet, j'ai tout de suite pensé au livre très puissant de Jacqueline Harpman : "Moi qui n'ai pas connu les hommes"... qui se déroule comme un thriller surréaliste et qui est pour moi un des meilleurs romans de Harpman.
    Rien qu'à voir la couverture, "Sans les hommes" a l'air nettement plus léger !! voilà un livre que je lirais volontiers (j'ai bcp aimé "Tout ce que j'aimais";-)où l'art est un vrai personnage !).
    Merci pour cette belle présentation.

  • voilà un billet qui me fait regretter de ne pas avoir acheté ce roman lors de mes récentes vacances :-/
    pas grave, je vais me rattraper à bruxelles !

  • « … sous-valorisation du féminin en littérature comme dans la société, encore aujourd’hui » … mais plus que jamais aujourd’hui malgré les « bonnes intentions » de certains qui nous dirigent …

    Mais qu’est-ce « cette pause thérapeutique dans le couple » dont prétexte ce « vieux » pour aller vers de jeunes « seins éloquents » … sinon une lâcheté masculine pour satisfaire des réveils libidineux … On ne peut s'empêcher de partager la souffrance de l'auteure et sa colère ...

    Plus l’être humain évolue et s’éloigne de l’animalité, plus il doit s’imposer une morale élémentaire d’égalité des sexes … Cette égalité ne va pas sans respect de l’autre partenaire … ce respect impose la fidélité qui se construit lentement, jour après jour, dans la constance …

    Quant à l’amour, c’est un édifice qui s’élève doucement, pierres après pierres, que l’estime et la considération de l’autre scellent … L'amour-passion ou "coup de foudre" est surtout littéraire ...

    Le vieil octogénaire, moralisateur malgré lui … (il s’en excuse) !

  • Je devrais le recevoir bientôt et je m'en réjouis, j'avais aimé "tout ce que j'aimais".

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