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Emotion contenue

Mingarelli ? Un nom déjà aperçu dans la presse ou dans la blogosphère, que je lis pour la première fois avec ce roman, La Promesse (2009), une centaine de pages à l’émotion contenue. « Le ciel et l’eau du lac de retenue », premiers mots du récit, sont les éléments essentiels du paysage où Fedia, seul sur son bateau, entame une longue remontée des eaux à l’écoute des bruissements secrets sur les berges, sans que l’on sache d’abord pourquoi – même à Sachs, son fils, triste de ne pas pouvoir l’accompagner, il a refusé de le dire tout en lui jurant que ce n’est pas un secret, mais une de ces choses « qu’on doit faire tout seul ». 

 

En passant au large des barques de pêcheurs, rameur discret pour ne pas s’attirer leurs insultes, il est étonné que l’un d’entre eux lui fasse signe d’approcher, craint l’algarade, mais l’homme ne veut que du feu pour allumer un réchaud et lui offre du café. Fedia repart, le jour se lève. « Le soleil était encore bas sur l’horizon lorsqu’il aperçut une anse bordée d’arbres. Il mit le cap dessus. » Après avoir amarré le bateau à une branche de saule, il passe sous les arbres et cherche un sentier. Du sommet, le lac paraît immense. C’est là-haut, assis dans l’herbe, qu’il sort de sa poche une petite boite en carton contenant des cendres, mais qui a gardé l’odeur des petits cônes d’encens qu’elle renfermait avant. Une cigarette. « J’aimerais avoir du chagrin, mais je n’en ai pas. »

 

Où verser le contenu de la petite boite ? Retirer le couvercle et laisser le vent s’en charger ? Le verser dans l’eau claire près des iris ? Il lui semble qu’un endroit s’imposera de lui-même, remet la chose à plus tard. En quittant la berge lui revient le temps de l’école des mécaniciens de la flotte où le premier-maître Goussegov réveillait les internes en ouvrant tout grand la fenêtre : « De la Baltique arrivaient les nuages couleur de fer, ou la brume et l’air froid. » Fedia s’y était lié d’amitié avec Vassili, son voisin de chambre.

 

Deux femmes l’appellent, pour qu’il dépose un vieil homme plus loin au bord du lac, ce sera plus rapide que d’attendre l’autobus. Son passager, après quelques mots échangés, le fait s’arrêter bien avant l’endroit prévu. Souvenirs de haschich fumé avec Vassili, de feux nourris d’algues sèches, de conversations sur l’avenir, de visites ruineuses « chez les Polonaises », d’une maquette d’avion construite ensemble. A l’aube, Fedia espérait voir un martin-pêcheur, mais le jour lui offre une autre rencontre inespérée : « Une biche le regardait. Elle était là tout près à la lisière des taillis, si près qu’il pouvait voir ses flancs se soulever à chaque respiration. » Fedia décide de s’arrêter là pour déjeuner. Soudain il s’adresse à Vassili en pensée, malgré lui : « Regarde, je suis en train de manger, et il fait bon » et en sourit un peu.

 

Hubert Mingarelli tire sur ces deux fils tour à tour, la remontée du lac vers la rivière, avec toutes les sensations qu’elle éveille, les détails du parcours, et la remontée de la mémoire vers les rêves et les sentiments de deux apprentis matelots qui n’arrivaient plus à s’imaginer la vie l’un sans l’autre. Etrange, l’envoi par la femme de Vassili de ses cendres dans un sachet – « Elle ne disait pas pour quelle raison Vassili s’était tué ni comment il l’avait fait, mais de toute façon, comment le dire ? » Roman
du non-dit, La promesse allie le chant de la nature aux eaux souterraines de l’être.

Commentaires

  • Présentation très séduisante! Je suppose que le livre doit l'être tout autant!

  • Je retrouve dans ce billet tout l'attrait pour Mingarelli, son premier roman "une rivière verte et silencieuse" date d'au moins vingt ans et je me souviens de mon émotion à sa lecture

  • La peinture est magnifique et accompagne parfaitement le billet. J'en profite pour noter également le titre de Dominique, très attirant.

  • Je viens de subir avec ravissement quelques jours « d’envahissement » de mes petits-enfants et je suis retombé en enfance, à mon âge c’est normal, me direz-vous … Je n’avais plus une minute à moi … et plus du tout la tête à suivre les « études subtiles » de Tania … J’admire son courage et sa ténacité à poursuivre son entreprise de haute culture intellectuelle, malgré sa chute sur le poignet … Ce doit être très difficile et lent de travailler d’une main quand on est habitué à la dextérité combinée des deux … Je lui souhaite un prompt rétablissement …

    J’ai essayé de m’y remettre avec ce Mingarelli et j’ai lu attentivement son interview qui nous apprend beaucoup de choses intéressantes sur le style dépouillé, mais j’ai été très étonné de sa discrétion « voulue » de l’élément féminin … peur ou fuite … ?

  • @ Mango : Oui, c'est un roman d'atmosphère, de bout en bout.

    @ Dominique : Je lirai volontiers ce premier roman dont le titre aurait pu convenir aussi à celui-ci, quoique "La promesse" donne mieux le ton.

    @ Aifelle : Je rêve de voir un jour une exposition Levitan.

    @ Damien : Merci !

    @ Doulidelle : J'imagine ton bonheur à recevoir tes petits-enfants en me rappelant les bons moments passés chez mon parrain quend j'étais petite. La main droite commence à se débrouiller seule, merci pour tes encouragements.

  • Vite un mot avant que ton prochain billet ne soit en ligne. Il vaut mieux pour tes proches que tu contiennes tes émotions...je parle d'un coup de plâtre. Sois patiente guapa.

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