« Sa phrase à peine achevée, un silence de plomb s’abattit dans le salon de coiffure.
Il fallait pour cela qu’un grand nombre d’événements, en eux-mêmes déjà totalement improbables, coïncident miraculeusement. Il fallait par exemple que cessent les klaxons assourdissants des voitures qui s’engageaient à la queue leu leu dans la rue Jurnal pour éviter la circulation de l’axe principal, et provoquaient un chaos indescriptible ; que s’arrêtent les cris du marchand de pastèques qui avait installé son étal au coin de la rue et les haut-parleurs de son concurrent qui, à bord de son antique camionnette, sillonnait sans répit le quartier, repassant au même endroit toutes les vingt minutes ; et il y avait bien sûr les enfants, qui emplissaient à dix mètres de là le parc de jeux coincé entre les immeubles, équipé de deux balançoires, d’une planche à bascule et d’un pauvre toboggan dont le métal chauffait si vite sous le soleil qu’on s’y brûlait le derrière ; il fallait que tous ces bruits, comme s’ils se passaient le mot, cessent d’un seul coup et en même temps. »
Elif Shafak, Bonbon Palace
Un lien vers "A tantôt." A jamais. par Francis Matthys (La Libre Belgique, 16/2/2010)
Commentaires
J'ai repensé à ton dernier billet sur ce roman et me demande si tu connais le livre de Rosie Pinhas-Delpuech qui raconte son enfance et sa jeunesse à Istanbul. Un deuxième thème fort est abordé, celui du rapport à la langue. Son père parle une langue, sa mère une autre et à l'école elle en pratique une troisième. Une centaine de pages dont je garde un très bon souvenir, plein de mélancolie.
@ Aifelle : fais-tu allusion à sa "Suite byzantine" ? Je ne connais pas cet auteur, merci pour la référence.
"Silence de plomb", aussi rare - et parfois inquiétant - en ville qu'à la campagne. Bel extrait Tania.
@ Colo : une gamme à écrire, celle des silences - en commençant par le plus léger, le silence de plume ?
Oups, j'avais oublié de mentionner le titre. Oui, c'est celui-ci, si tu as du mal à le trouver, je peux te l'envoyer.