Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Tu crois

    Nuages au ciel couchant.JPG

     

    Tu crois posséder, tu n'as rien.

    Tu crois avancer, tu n’as pas bougé.

    Tu crois appartenir, tu échappes.

    Tu crois habiter, tu traverses.

    Tu crois finir, tu commences.

     

     Liliane Wouters, Journal du scribe
    (in Francis Dannemark, Ici on parle flamand & français)

     

     

    * * *

     

    Un nouvel appel de Doulidelle à agir concrètement en faveur d'Haïti,
    avec un rappel historique :
    cliquer sur http://philippemailleux.blogs.lalibre.be/archive/2010/01/29/haiti-un-octogenaire-reveille-les-consciences.html

     

     
  • flamand & français

    La poésie est une respiration. Je n’ai pas dit une pause. Encore moins une pose – la poésie est sans affectation. Sur la page, le poème prend la place qu’il veut, il l’occupe comme lui seul peut le dire. Il ouvre un autre temps, il ne suit pas l’actualité. L’éternité ? Peut-être. 

    Chat au jardin.JPG

     

    Francis Dannemark a publié en 2005, « comme une boîte de chocolats, sans explication ni mode d’emploi », un recueil de poèmes belges sous le beau titre 
    Ici on parle flamand & français : « J’ai voulu rassembler ici un petit nombre de poèmes (et quelques aphorismes) parmi tous ceux qui ont été composés depuis un siècle dans le pays où je suis né et où je vis encore aujourd’hui. C’est un petit pays à la frontière de deux mondes (on dit deux pour faire simple, en réalité ils sont bien plus nombreux) et l’on y parle principalement le flamand et le français. » Dans une même anthologie en langue française se côtoient deux univers linguistiques, par la grâce de la traduction et de l’esperluette.

     

    Des poètes connus, méconnus. J’y ai glissé tant de signets qu’il m’est difficile de choisir. En citer plusieurs ? C’est tentant, mais non. J'écarte aujourd’hui les plus joyeux, les plus tristes. A chacun sa page, son heure, son jour – ou sa nuit. Place à Leonard Nolens (un Anversois né en 1947), traduit par Marnix Vincent.

     

    Vermoeidheid / Lassitude

     

    Quand nous, les grandes personnes, sommes las

    De causer les uns avec les autres,

    Quand nous sommes las de dormir

    Les uns avec les autres, de nous promener

    Et de commercer les uns avec les autres,

    De dîner et de guerroyer

     

    Les uns avec les autres, quand nous sommes si las

    Les uns des autres, de toute cette réciproquerie

    Des uns et des autres, alors nous posons le chat

    Sur notre épaule, entrons dans le jardin

    Et cherchons les voix enfantines derrière

    Les hautes haies et dans la cabane de l’arbre.

     

    Et silencieux, nous couchons notre lassitude

    Dans l’herbe, et les années qui, lourdes

    Et sombres, dormaient dans l’ourlet

    De notre manteau se dénudent là-haut

    Dans un gosier de gamin et dansent en

    Sautillant dans une bouche humide de fillette.

     

    Quand nous, les grandes personnes, sommes las

    De causer,

    De causer,

    De causer les uns avec les autres,

    Nous entrons dans le jardin et nous nous passons sous silence

    Dans le chat, dans l’herbe, dans l’enfant.

     

     (Laat alle deuren op een kier / Laissez toutes les portes entrouvertes, 2004) 

  • Messager du sommeil

    « Tout le monde avait un messager du sommeil. Dans la journée, il se retirait quelque part au fond d’une forêt lointaine d’où il sortait la nuit pour visiter son maître. Et il frappait sur les osselets au fond de nos tympans. En entendant ce signal, les gens tombaient dans le sommeil. Le messager remplissait fidèlement sa mission. Qu’il neige ou qu’il vente, il réitérait ses visites sans se reposer. Mais un jour il s’affaiblissait. Il restait de plus en plus souvent anéanti dans sa petite cabane entourée de conifères. Toutefois, il n’oubliait pas ses visites. Il partait, même en rampant. Un après-midi, à l’abri des regards, le messager rendait son dernier soupir. C’était la mort… Voici ce que je pensais. »

    Yoko Ogawa, Les ovaires de la poétesse in Les paupières

     

    Brunin André, La sieste (détail).JPG
    André Brunin, La sieste (détail)

  • Ogawa la sensitive

    En lisant Les paupières de Yoko Ogawa, on reconnaît l’univers de La Marche de Mina ou de La Formule préférée du professeur, entre autres romans de cette romancière japonaise. Fermer les yeux, s’endormir, ouvrir les yeux, observer – le corps et l’appréhension du monde et des autres par tous les sens, voilà le fil conducteur des huit nouvelles de ce recueil au titre tout à fait approprié.
    Des récits à la première personne.
     

    Foujita NU.jpg

    Nu de Foujita


    C’est difficile de dormir en avion rapproche une jeune femme qui se rend à Vienne et un homme d’une trentaine d’années. En manque de sommeil, dérangée d’abord par son voisin, elle l’écoute ensuite avec intérêt : il ne travaille jamais à bord d’un avion où il sent comme dans un « labyrinthe temporel » « Il n’y a qu’à rester immobile, les yeux fermés, en attendant d’arriver à la sortie, sans se laisser distraire par les réalités terrestres, comme les dossiers ou les documents. » Lorsque elle lui confie ses difficultés à s’endormir, il lui explique comment « dans l’obscurité se déroule le récit qui (le) conduit au sommeil. » Pour lui, c’est l’étrange rencontre, un jour, avec une vieille dame viennoise dans l’avion qui la ramenait du Japon. Elle s’y était rendue sur la tombe d’un homme à qui elle écrivait depuis trente ans et dont elle avait une photo. En se rendant chez lui, elle avait compris que ses lettres étaient mensongères et même la photo (celle d’un acteur). La vieille dame, jamais mariée, tenait un commerce de tissus. Mais son allergie aux crevettes avait bouleversé la fin du voyage. Une fois cette histoire terminée, vient le moment pour les deux voyageurs de fermer les yeux.

     

    Une autre vieille femme, dans L’art de cultiver les légumes chinois, fait du porte à porte pour vendre ses légumes, par nécessité. La narratrice, celle qui lui ouvre sa porte, s’étonne du vernis rose sur les ongles de ses mains ridées et brûlées par le soleil, alors que le visage ne porte aucun maquillage. La vieille insiste tellement qu’elle lui achète quelque chose. En prime, elle reçoit des graines d’un légume chinois assez rare à faire pousser à l’intérieur et à l’ombre. Au bout d’une semaine apparaissent des pousses, puis les légumes grandissent à vue d’œil, quoique frêles comme des nouilles. L’acheteuse et son mari hésitent à en manger. Une nuit, ils se rendent compte que les légumes brillent, quasi phosphorescents, « comme si leur corps couleur crème déteignait tranquillement dans l’obscurité. » Comme la première nouvelle, celle-ci débouche sur une enquête et sur un mystère.

     

    Ogawa aime mettre en contact des générations différentes. La nouvelle éponyme, Les Paupières, montre une jeune fille de quinze ans si sensible à la vue d’un homme mûr qui saigne du nez à la suite d’une chute, en pleine ville, qu’elle sort son mouchoir pour lui essuyer la figure. Il n’est pas du tout ivre, comme l’ont vite supposé d’autres passants, et elle l’accompagne chez lui, dans sa toute petite maison sur l’île où on se rend avec le ferry. Ils sympathisent. Chaque fois qu’elle est censée se rendre au cours de natation, qu’elle n’aime pas, la jeune fille se rend avec son sac de bain chez N qui lui montre son hamster. Un jour, il l’invite au restaurant, lui raconte comment autrefois il est tombé amoureux d’une violoniste qu’il adorait regarder jouer : « La forme de
    ses paupières, alors, était belle. Elles dessinaient une courbe parfaite. Comme
    les tiennes. »
    « Je n’avais jamais fait attention à mes paupières. Je ne savais même pas qu’elles avaient une forme. Je clignai des yeux. » Avant de rentrer chez elle, elle prend une douche pour mouiller son maillot de bain et ses cheveux, devant lui. Jusqu’au jour où l’homme se fait arrêter.

     

    Le cours de cuisine - une grosse dame donne des leçons à une seule élève dans sa vieille maison tourne presque au fantastique avec l’arrivée d’ouvriers qui proposent le nettoyage des canalisations. Moins inquiétant, tout de même, que La collection d’odeurs, le récit suivant. Un homme est tombé amoureux d’une jeune fille qui a pour passe-temps « de rassembler toutes les odeurs du monde ». Partout, elle prélève des échantillons qu’elle enferme dans des pochettes en plastique, puis dans des bocaux, chez elle, qui s’accumulent, soigneusement étiquetés, sur des étagères. Il adore que cette collectionneuse particulière le coiffe ou qu’elle lui coupe les ongles.
    Un soir où elle tarde à rentrer, il regarde de plus près les flacons de verre posés sur l’étagère la plus élevée et y fait des découvertes surprenantes, pour ne pas dire davantage.

     

    Backstroke conte l’étrange destin d’un garçon doué pour la natation et de sa sœur obsédée par les piscines. Les ovaires de la poétesse, l’histoire d’un séjour dans une ville étrangère dans le but premier de reconquérir un sommeil perdu. Un jour, une voyageuse insomniaque est invitée à visiter un musée méconnu, la maison d’une poétesse, gardée intacte par sa petite-fille. Dans Les jumeaux de l’avenue des Tilleuls, un écrivain rend visite en Autriche à Heinz, son traducteur allemand, qui vit avec son frère jumeau au quatrième étage d’un immeuble. En s’intéressant à l’histoire de leur vie et en découvrant qu’à la suite d’un accident, Heinz n’en est plus sorti depuis des années, l’écrivain décide de le prendre sur son dos et de l’emmener en promenade.

     

    Comment se passent nos rencontres, avec des inconnus ou avec ceux que nous croyons connaître ; comment les gestes parlent ou troublent ; comment nous occupons notre temps ou laissons le temps s’occuper de nous ; comment le passé affleure le présent ; comment les failles du quotidien s’ouvrent à l’irraisonné – voilà quelques thèmes qui reviennent dans les nouvelles apparemment simples et très « kinesthésiques » de Yoko Ogawa, une sensitive qui écrit au plus près des perceptions humaines.

  • Comme une offrande

    « Il aurait fallu qu’elle lui dise mieux la beauté du monde. Pourquoi, quand on évoque un voyage, n’en raconte-t-on d’abord que les épreuves ? Alors que ce
    qui vous reste, à vous, le plus souvent, ce sont des moments où il ne se passe rien, où le monde vous vient comme une offrande – à la condition de se rendre transparent. Peut-être parce que ce reste-là, la seule chose vraiment importante, était indicible. »

    Michel Le Bris, La beauté du monde

    Buffles d'Afrique (african buffalo kenya sur wikimedia commons).jpg